Publiée en janvier 2017, sept ans après son adoption, la loi sur la régularisation des frais scolaires reste méconnue du système éducatif haïtien qu’elle est pourtant amenée à améliorer. Élèves, parents, enseignants, responsables d’écoles font preuve d’une très grande ignorance du document et ne semblent pas enclins à connaître ses prescriptions, encore moins à les appliquer. Toutefois, certains parents avisés s’organisent pour engager des poursuites judiciaires contre des directions d’écoles qui prennent plaisir à augmenter les frais scolaires.
Par Guamacice Delice
La loi portant régulation des frais scolaires n’est pas appliquée. Si elle l’est quelque part en Haïti, ce n’est pas de manière consciente et certainement pas dans sa totalité. Des responsables d’écoles affirment plus ou moins vaguement avoir entendu parler de cette loi à la radio ; d’autres en ont pris connaissance à travers des articles de presse . Gérard Franck est dans l’enseignement depuis treize ans. Il se souvient que la proposition de loi avait fait beaucoup de bruit dans la société il y a sept ans de cela. Cependant, il n’était pas au courant de sa publication dans le journal officiel. En ce qui concerne son contenu, celui qui enseigne au niveau fondamental sait à peine que le document implique des restrictions face à l’augmentation des frais scolaires. « Je sais que le texte s’adresse en particulier aux directeurs et pour cette simple raison je n’ai pas pris la peine de le lire », raconte le trentenaire, qui espère que l’État sera plus impliqué dans l’éducation des Haïtiens.La loi portant régulation des frais scolaires n’est pas appliquée.
Si elle l’est quelque part en Haïti, ce n’est pas de manière consciente et certainement pas dans sa totalité. Des responsables d’écoles affirment plus ou moins vaguement avoir entendu parler de cette loi à la radio ; d’autres en ont pris connaissance à travers des articles de presse . Gérard Franck est dans l’enseignement depuis treize ans. Il se souvient que la proposition de loi avait fait beaucoup de bruit dans la société il y a sept ans de cela. Cependant, il n’était pas au courant de sa publication dans le journal officiel. En ce qui concerne son contenu, celui qui enseigne au niveau fondamental sait à peine que le document implique des restrictions face à l’augmentation des frais scolaires. « Je sais que le texte s’adresse en particulier aux directeurs et pour cette simple raison je n’ai pas pris la peine de le lire », raconte le trentenaire, qui espère que l’État sera plus impliqué dans l’éducation des Haïtiens.L’explication de Mondésir Beauprince n’est pas si différente de celle de Gérard Franck. La seule différence dans leurs positions respectives réside dans le fait que ce directeur d’école a suivi la loi depuis sa phase de proposition jusqu’à sa publication parce qu’il est lecteur régulier d’un quotidien haïtien qui a toujours repris les moindres étapes du processus. Il n’espérait néanmoins pas grand-chose en termes de mesures visant son application. Il pensait qu’il s’agissait une nouvelle fois d’une loi comme tant d’autres, conçues pour être ignorées et violées.Il n’empêche que des organisations de la société civile, à l’instar du REPT (Regroupement Éducation pour Toutes et pour Tous), pressent les autorités compétentes de mettre tout en œuvre pour que les parents cessent d’être les victimes du système éducatif en faisant appliquer la Loi portant régularisation des frais scolaires. REPT craint que le laxisme des autorités ne profite aux responsables d’école, dont certains n’éprouvent aucune gêne à doubler les frais scolaires d’une année sur l’autre. L’organisation, qui souhaite que l’État subventionne les manuels scolaires cette année encore, encourage le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) à sensibiliser les parents afin qu’ils fassent valoir leurs droits auprès des directions d’école.Le député Francisque Delacruz compte parmi les rares autorités établies à avoir évoqué début août la nécessité de faire appliquer les prescrits de cette loi pour soulager les parents à la rentrée. La loi portant régularisation des frais scolaires, votée le 10 septembre 2009 au Sénat haïtien et trois jours plus tard à la Chambre des Députés, est une réponse aux cris d’alarme des parents face à l’augmentation régulière des frais annuels de scolarité, laquelle constitue l’une des barrières principales à l’éducation, comme il est indiqué dans le préambule. Adoptée sur proposition du sénateur Kelly C. Bastien, la loi est divisée en quatre chapitres. Le premier sur le contrôle et le paiement des frais scolaires s’adresse aux directions d’écoles et aux parents. Les enseignants, les directions d’établissements scolaires et les parents sont aussi visés dans le deuxième chapitre traitant des activités commerciales parascolaires. Quant au troisième chapitre sur les recours et le service des contentieux, il contient des obligations que la loi impose au Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, garant de son respect, ainsi que les sanctions à appliquer en cas de violation. Ensuite vient le chapitre des dispositions finales, soulignant l’abrogation des lois traitant la question antérieurement.

Le contrôle et le paiement des frais scolaires
Ce chapitre et ses sept articles contiennent deux interdits qui portent sur les frais de réinscription(2) et ceux pour les cérémonies de graduation(5) en Maternelle. Dans le cas où les parents des élèves de la Terminale consentiraient au préalable à l’organisation de la cérémonie de graduation, la cotisation ne doit pas dépasser l’équivalent de deux mois de scolarité. Et comme l’indique l’article 1er « tous les frais de scolarité sont payables en monnaie nationale ». L’article 4 de la Loi Bastien permet l’augmentation des frais d’entrée annuels et de scolarité mensuelle. Mais cela doit se faire tous les quatre ans et l’ajout ne doit pas dépasser les 10 %. Quant aux modalités de paiement des frais annuels, les législateurs les déclinent comme suit : « 50 % à la rentrée des classes, 25 % au début du second trimestre et 25 % au début du troisième ». Dans l’article 3, ils font obligation au ministère de l’Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports d’identifier « les charges couvertes par le paiement des frais annuels », parmi lesquelles eau potable, électricité, matériels d’examens, matériels de travail, kits d’hygiène, sport, frais d’assurance, toilettes, etc. « Le montant des frais scolaires ne doit, en aucun cas, dépasser l’équivalent de deux mois de scolarité pour le préscolaire et de trois mois de scolarité pour le fondamental et le secondaire », conclut le même article.
Des activités commerciales parascolaires
Contre toute attente, les législateurs n’interdisent pas les cours particuliers dans les écoles. Toutefois, ces activités doivent être entreprises avec « le consentement préalable et éclairé des parents, ainsi que du conseil pédagogique de la direction(4) ». Dans le cas où une école se livre « à des pratiques de vente de tissus d’uniforme(5), (elle) doit détenir une patente de la DGI et remplir toutes les formalités y relatives, notamment le paiement des impôts et taxes ». La Loi exige également que les directions d’école tiennent leurs livres comptables à jour aux fins de consultations et de vérifications.

Les recours ou le service de contentieux
À la veille de la rentrée, des parents se sont déjà sentis lésés. Ils se détournent des prescriptions de la Loi en la matière pour engager des poursuites judiciaires contre des responsables d’école. La direction de l’École Colosso peut en témoigner. En effet, un groupe de parents de Saint-Marc s’engage dans un bras de fer contre elle pour avoir augmenté cette année les frais scolaires. Des poursuites judiciaires sont même envisagées en violation des articles 9 et 9.1 de la loi portant régularisation des frais scolaires. Celle-ci prévoit un service de contentieux au niveau de chaque direction départementale du MENFP (9), entité à laquelle les parents, élèves, enseignants et directeurs d’écoles peuvent s’adresser au cas où ils se sentiraient lésés (9.1). Le directeur de l’établissement basé à Port-au-Prince confirme « une assignation de la part de parents qui se font passer pour des avocats ». Reynald Dubuisson en profite pour régler ses comptes avec les législateurs, notamment le sénateur Kelly C. Bastien, à qui la paternité de cette loi est attribuée. Selon lui, le Parlement aurait dû s’efforcer de préférence « à faire respecter la constitution haïtienne qui prescrit une éducation gratuite ».
Un parent dont l’enfant entre en deuxième année de maternelle reproche à la direction d’avoir ajouté 6 500 gourdes d’un coup sur les frais scolaires, soit une augmentation de 35 %. M. Dubuisson affirme avoir agi en conformité avec la « Loi Bastien ». Ceci sous-entend que les frais ne seront pas augmentés sur les trois prochaines années. Le directeur de l’École Colosso voit d’un mauvais œil le fait que durant les 4 prochaines années ses professeurs ne bénéficieront pas d’une quelconque augmentation salariale. Il déplore que le travail soit fait en aval alors qu’il aurait dû être engagé dans les deux sens. « La loi est mal conçue, elle ne tient pas compte de la réalité », se plaint l’éducateur qui prédit un grand débat à l’occasion de la rentrée. « Un débat est indispensable autour de la mise en œuvre de la loi », estime pour sa part le sénateur Denis Cadeau, ancien directeur général du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle. Néanmoins aucune des deux positions n’ose citer le potentiel initiateur de ces prétendus échanges. D’autres établissements devraient être engagés en justice, s’insurge Jean-Claude, père d’un élève de troisième année fondamentale à l’institution Saint-Louis de Gonzague. La direction de cette école congréganiste, subventionnée par l’État, serait des plus intransigeantes, selon les parents d’élèves. Cette année encore, les parents doivent débourser beaucoup plus. Jean-Claude déplore que l’augmentation ait atteint un peu plus du tiers des frais de l’année dernière. Un parent de Chez Madan Amédée, à Pétion-ville, attend désespérément que l’État intervienne. La direction a augmenté de 15 000 gourdes les frais scolaires et son enfant est en deuxième année Maternelle.Des établissements comme Frantz Paillière ou Dominique Savio n’augmentent pas les frais scolaires cette année, à la satisfaction des parents. Mais cela n’a rien à voir avec la loi sur les frais scolaires, réagit un membre du Collège Frantz Paillière qui préfère attribuer la décision à « la politique de l’école ».En fin de compte, la loi portant régularisation des frais scolaires impose une amende de 50 000 gourdes aux directeurs d’école coupables de violation ou de complicité de violation. Si le contrevenant est un parent, un élève ou un enseignant, l’amende est de 5 000 gourdes. C’est la Direction Générale des Impôts qui encaisse ce montant pour le compte du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle.