L’Habitation Turpin est encore un espace méconnu à Pétion-Ville. Logé entre les murs du mythique restaurant Chez Gérard, ce restaurant/espace culturel suit sa propre trajectoire, délaissant les ambiances mondaines qui sont de plus en plus la norme à Pétion-Ville pour une expérience authentique qui entremêle gastronomie, histoire, folklore, culture
et passion.
Dès les premiers pas, le visiteur est plongé dans un décor fascinant. Murs de briques, objets historiques sauvegardés précieusement, un vieux phonographe qui, malgré les apparences, est toujours fonctionnel et intrigue les visiteurs. Les heureux propriétaires des lieux sont Henry Robert Marc Charles (Bobby pour les intimes) et Anne-Rose Schoen. Il est Haïtien, elle est Allemande. Ils partagent une vision pour cet endroit qu’ils ont rêvé et qu’ils construisent au quotidien. Les voir danser, valser au centre de la piste ne laisse aucun doute sur la passion qui les habite.
Anne-Rose qui, dans sa jeunesse, travaillait dans un bar en Allemagne, a toujours caressé l’idée d’avoir son propre restaurant. Arrivée en Haïti comme guide touristique en 1980, elle y est restée malgré la crise du secteur touristique. En 2015, avec Henry, l’idée de lancer une association culturelle germait dans leur esprit. La vie les a conduits dans l’ancienne demeure de Chez Gérard et le coup de foudre fut instantané.
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Une ambition culturelle
À l’habitation Turpin, on peut bien évidemment manger des plats typiques haïtiens, boire des cocktails variés et du bon vin. Il est même possible de déguster du clairin allemand ! Bien que la cuisine y soit très bonne (les crevettes sur sel de mer sont à ne pas rater), c’est l’ambiance unique qui vaut le détour. Anne-Rose et Henry sont des passionnés de l’histoire d’Haïti et ils peuvent passer des heures à la partager sans filtre. Sans prétendre être un centre culturel, ils accordent une place privilégiée à la culture et à l’histoire, tant par l’exposition de pièces historiques que par des activités artistiques. Chaque mardi soir, sans frais d’entrée, ils présentent un spectacle de danses folkloriques du patrimoine national. Cela rappelle une époque où les hôtels de la zone métropolitaine se faisaient un devoir de faire découvrir le patrimoine culturel haïtien. En plus de cette activité du mardi, il est possible d’assister à des concerts mettant à l’affiche des artistes de talent. La Cinémathèque de Pétion-Ville a également pris ses quartiers à l’Habitation Turpin et propose des soirées cinéma gratuites.
L’histoire est partout
Sur chaque table du restaurant est installé un napperon rappelant la référence du choix d’Habitation Turpin comme nom du lieu. On peut y lire cet extrait : « Selon Beaubrun Ardouin, Boukman a donné le signal à partir de l’Habitation Turpin dont il était l’un des commandeurs. Après avoir rassemblé les esclaves autour d’une cérémonie au Bois Caïman, situé sur l’Habitation Lenormand de Mézy, dans la nuit du 14 août 1791, l’intrépide Boukman se mit, le 22 août à dix heures du soir, à la tête de l’atelier de l’Habitation Turpin, entraîna ceux des Habitations Flaville et Clément, et se porta sur l’Habitation Noé. Là, le feu fut mis aux cases… » Selon l’historien Alain Yacou et se référant à L’Etat des indemnités, Flaville et Turpin sont des noms que l’on retrouve dans la même succession, celle concernant l’Habitation dite Acul, propriété de René Charles de Turpin et de Marie-Elisabeth de Nogérée, parente ou mère de Gaston-François de Nogérée, lequel était, en 1801, parmi les conseillers de Toussaint Louverture qui ont participé à l’élaboration de sa Constitution autonomiste. Il semblerait qu’alors les habitations Turpin et Flaville n’en formaient qu’une seule dont le nom, d’après les héritiers indemnisés, était celui d’Acul. L’Habitation Turpin ou « Flaville et Nogérée » était par ailleurs la seule habitation à Saint-Domingue à disposer d’un moulin à vent. Le témoignage du procureur de l’Habitation Clément révèle cependant que Boukman était cocher de cette habitation, plutôt que l’un des commandeurs de l’Habitation Turpin, comme on le croit généralement. Son nom supposé de Dutty pourrait par ailleurs tout aussi bien être celui de l’Habitation Datty de Port-de-Paix. Au moins trois des principaux chefs de l’insurrection de 1791 – Jean-François Papillon, Boukman Dutty et Toussaint Louverture – étaient des cochers, aptes donc à se déplacer très rapidement pour la coordination, la logistique des actions, à la fois par leur connaissance des lieux, routes et chemins, par leur réseau relationnel et la disposition de voitures.
Référence à la révolution historique haïtienne, Anne-Rose et Henry aspirent à faire leur petite révolution culturelle à Pétion-Ville dans les murs de leur Habitation Turpin. Partager l’histoire, la culture et l’esprit vif des artistes et artisans du pays est la mission qu’ils se sont attribuée. A découvrir avec gourmandise.
Carla Beauvais