Jusqu’au 18 mai à l’Université Quisqueya, Roberto Stephenson présente Made in Haiti, art de la débrouillardise urbaine. Avec le soutien de l’ambassade de Suisse en Haïti, cette exposition photographique met en valeur les objets du quotidien pour mieux s’interroger à leur sujet.
NÉ À ROME EN 1964 d’un père haïtien et d’une mère italienne, Roberto Stephenson a vécu en Europe, en Asie et en Amérique avant de s’installer à Port-au-Prince. Après une formation en graphisme, il a travaillé durant deux ans comme assistant photographe puis s’est spécialisé dans les photos d’architecture. Ses photos ont été publiées dans plusieurs revues spécialisées mais c’est avec son exposition Urban landscape qu’il a vraiment émergé dans le monde de la photographie. Il revient avec une exposition photographique qui met en évidence le passé caché, l’utilité parfois oubliée de certains objets du quotidien. Des objets visibles qui, pourtant, ne captent guère l’attention ou qui ne suscitent aucune réflexion. Pour Roberto Stephenson, l’importance de ces objets dans la vie des gens et dans l’économie du pays est indéniable. Ce sont des objets qui permettent à une majorité de citoyens haïtiens de gagner leur vie et de créer des commerces de subsistance, alors que peu de possibilités d’emplois décents se présentent à eux.
Donner une autre dimension aux objets
Made in Haiti, art de la débrouillardise urbaine, exposition présentée jusqu’au 18 mai à l’Université Quisqueya, capte l’œil par la qualité et la technique photographique ! Ces objets, extirpés de leur environnement et détachés de leurs propriétaires, sont présentés sur fond blanc de façon simple et épurée. Des outils, des jouets et des accessoires du quotidien désormais presque disparus dans le reste du monde. Une certaine froideur émane des photographies car l’absence des couleurs vives, la chaleur humaine et le quasi chaos des rues bondées de la capitale manquent à leur souffle. À la question de la raison d’avoir isolé les objets de leur contexte, Stephenson précise : « Quand on élimine les éléments externes pour se concentrer sur l’essentiel uniquement, cela laisse plus de place pour que l’objet puisse être considéré pour ce qu’il est. Les détails sont plus frappants. » A-t-il voulu masquer la misère en isolant ses sujets ? « Pas du tout, répond-t-il. J’aimerais, à travers cette exposition, que nous puissions nous regarder en profondeur sans avoir peur de qui nous sommes ! Que nous nous rappelions où nous sommes et notre contexte de misère. Je n’ai pas honte de ces objets ni de les voir mais j’aimerais qu’on puisse les voir en réfléchissant sur notre société. Mettre le focus sur les petits détails que l’on voit en grand plan nous permet de mieux nous comprendre. J’aimerais aussi que ces objets disparaissent un jour, cela voudra dire que le pays ne serait plus que misère. »
En parcourant la série de photographies, le regard se pose de façon plus réfléchie sur chacun des objets, tentant de deviner son histoire ou celle de la personne qui l’utilise. Roberto Stephenson permet à ces objets de vivre à nouveau en leur donnant une autre dimension. Si, pour l’artiste, les fragments de ces objets en sont à leur deuxième ou troisième réincarnation (utilité), c’est que le recyclage est fondamental dans les pratiques du peuple haïtien. Une boîte de cireur de chaussures, un tabouret, une table de réparation, une charrette de frèsko, un réchaud de charbon, un panier de fruits, une brouette de glace, une pharmacie ambulante, un étal de cosmétiques, une pharmacie de clairin, tant d’objets qu’il est possible de redécouvrir à travers l’exposition Made in Haiti qui est née avec le soutien de l’ambassade de Suisse. L’exposition est accompagnée d’un catalogue enrichi de textes d’analyses sociologiques et esthétiques qui permettent d’approfondir la réflexion sur la vie de ces objets.
Carla Beauvais