Conscient de la nécessité que lumière soit faite sur l’utilisation des fonds PetroCaribe comme le réclament les citoyens, Renald Lubérice fustige le comportement barbare des politiciens qui en profitent pour créer l’instabilité dans le pays.
Par Georges Allen
Né à Belladère dans le département du Centre, Renald Lubérice a fait ses études primaires et secondaires dans cette même commune. Il s’est ensuite rendu en France où il a obtenu une Licence en Géopolitique, une Maîtrise en Sociologie politique et un Master en Science Politique et Relations internationales à l’Université Paris VIII. Lauréat de la bourse doctorale (Contrat doctoral) de l’État français au sein de cette même université, il a poursuivi des études doctorales en Relations Internationales, dans le cadre d’un programme de cotutelle avec le Canada, à l’Université Laval à Québec. Il a enseigné la Science Politique à l’Université Paris VIII et à l’Université Laval. De retour en Haïti en 2011, Renald Luberice a enseigné les Relations Internationales à l’Université Quisqueya avant de se rendre à Bruxelles (Belgique) en tant que Conseiller à l’Ambassade d’Haïti. Revenu en Haïti en mars 2013, M. Lubérice a travaillé comme consultant en renforcement institutionnel pour la Banque Interaméricaine de Développement (BID) au Fonds d’Assistance Économique et Sociale (FAES) avant de gagner le Cabinet du Président de la République à titre de Conseiller pour les Affaires internationales et Coordonnateur de la Cellule diplomatique. Il a par la suite rejoint la campagne de Jovenel Moïse dans les fonctions de Conseiller Politique, puis Responsable du Bureau politique. Parallèlement, depuis 2014, M. Lubérice est nommé professeur à l’Université d’État d’Haïti où il enseigne la Science Politique. Le 9 février 2017, M. Lubérice a été nommé, par Arrêté présidentiel, Secrétaire Général du Conseil des Ministres, avec rang de ministre.
L’INTERVIEW
Depuis que le mouvement PetroChallenges a été récupéré par des politiques, nombreux sont ceux qui pensent que les jours du président Jovenel Moïse sont comptés. Que diriez-vous pour les rassurer ?
«D’abord, je dirais que ça aurait été trop curieux de lier le mandat du président de la République à des mouvements sociaux, que ça soit PetroChallenges ou autres. Le mouvement PetroChallenges et bien d’autres sont dus à une contestation profonde du système politico-économique, résultant des choix qu’on a faits et de ceux qu’on n’a pas faits durant les cent dernières années. Je veux dire que ces mouvements-là ne sont pas nés avec Jovenel Moïse. Le Président a un mandat quinquennal défini par la Constitution. On ne peut pas profiter d’un mouvement pour créer de l’instabilité dans le pays, du chaos susceptible d’empirer la situation. Aujourd’hui qu’est-ce qu’il faut, c’est une réforme sociopolitique et cette réforme en question doit s’effectuer sur un temps plus ou moins long. PetroChallenges est le symptôme d’un système qui est en crise, d’un système qui ne permet pas aux jeunes de se projeter dans l’avenir, qui ne permet pas en fait aux Haïtiennes et Haïtiens de s’imaginer un futur meilleur. Ce sont là les thématiques du président de la République lorsqu’il était en campagne. Les Haïtiens ne devraient pas avoir à s’exiler d’Haïti dans le but d’avoir un avenir meilleur. C’est pourquoi Jovenel Moïse insiste sur le fait qu’Haïti a tout pour se construire, pour se développer. Cependant, nous n’arrivons pas à exploiter toutes nos potentialités. C’est sûr que les gens sont pressés, c’est sûr qu’il y a aussi des actions structurelles à poser et qui prendront du temps. On ne peut pas résoudre le problème socio-économique d’Haïti en douze mois, ni en vingt-quatre. Je ne connais pas un seul pays au monde qui ait pu se développer sans la mise en place d’infrastructures adéquates.»
Est-ce qu’au niveau du pouvoir vous êtes convaincus de faire une bonne gestion du dossier PetroCaribe?
«L’affaire PetroCaribe c’est comme la fameuse fable de Lafontaine : Le meunier, son fils et l’âne. C’est-à-dire, quelle que soit la décision prise, des gens seront toujours prêts à la contester. Ils ont toutefois le droit d’afficher leur contestation puisque nous sommes en Démocratie, et cela fait partie de nos mœurs et de nos habitudes politiques également. Que fait le Gouvernement dans ce dossier ? Le Gouvernement décide d’accompagner la justice en lui donnant les moyens nécessaires. Pour témoigner de sa bonne foi, le Gouvernement a demandé aux acteurs de se constituer en commission pour aller observer ce qui va se faire. Beaucoup d’entre eux désapprouvent la démarche gouvernementale. Moi je suis d’accord avec la désapprobation de ceux qui ne veulent pas de commission. Mais, toujours est-il qu’il faille reconnaître que l’Exécutif a voulu montrer sa détermination dans cette affaire. J’entends des gens dire que le Commissaire du Gouvernement ne devait pas s’immiscer dans le dossier parce qu’un juge d’instruction s’en est déjà saisi. Si le dossier est déjà devant le cabinet d’instruction, pourquoi manifester alors ? Est-ce une tentative pour influencer la justice ? Ce qui serait totalement anormal et inacceptable en Démocratie. Il y a beaucoup d’amalgames et ainsi il faut continuer à clarifier tout ça et c’est ce que le Gouvernement est en train de faire.»
Le grand coup de balai effectué par le chef de l’État dans son entourage …Donc, Jovenel Moïse serait ébranlé?
«Certains disaient que, parce que le chef du cabinet du président de la République, Wilson Laleau, le secrétaire général du Palais national, Yves Germain Joseph, sont indexés dans le rapport sénatorial sur PetroCaribe, ceux-ci ne sont pas dignes d’occuper leurs fonctions. Le président Jovenel Moïse a prêté oreilles à cette demande en écartant ces Messieurs qui, j’ai eu l’occasion de le voir, faisaient honnêtement et correctement leur travail au Palais national. Ce sont ces mêmes gens qui faisaient hier cette demande et qui aujourd’hui, parce qu’elle a été agréée, pensent que le pouvoir est ébranlé. Il faut être sérieux dans ce pays. Jovenel Moïse a compris qu’il ne faut pas laisser planer l’ombre d’un doute sur la détermination de l’Exécutif d’aller jusqu’au bout du dossier PetroCaribe, donc il a pris cette décision. Il en a profité aussi pour réorganiser totalement son cabinet. Cela se fait partout au monde, c’est courant qu’on réorganise un cabinet, il n’y a pas matière à faire des commentaires sur un hypothétique d’ébranlement du pouvoir qui est en place pour un quinquennat.»
Pourquoi le président a attendu que la rue gronde si fort avant de donner les signaux que lui aussi veut que le procès PetroCaribe ait lieu ?
«Ce que le président de la République disait avant et ce qu’il dit encore maintenant, c’est qu’on ne peut pas condamner des gens avant qu’ils aient été entendus par un juge. Avant que la justice ne se soit prononcée sur un dossier, on ne peut rendre coupable qui que ce soit. Les rapports sénatoriaux sur la question souffraient d’un fort soupçon de politisation, à ce moment-là, le président a voulu clairement signifier que ces documents à eux seuls ne peuvent servir à condamner les gens. Jovenel Moïse est président de la République et, de fait, il sait beaucoup de choses. PetroCaribe n’est que la pointe de l’iceberg. Quand on sait le volume de corruption qu’il y a dans ce pays, on se demande bien pourquoi s’acharner sur PetroCaribe uniquement ? Pourquoi ne pas englober la question de la corruption dans sa totalité ? Aujourd’hui, si le peuple, le souverain, demande que l’accent soit mis sur PetroCaribe en particulier, c’est à la Justice de le faire, et personne ne va empêcher à la Justice de le faire. Bien au contraire !»
« Le Président Jovenel Moïse a bien compris qu’il ne fallait pas laisser planer l’ombre d’un doute sur la détermination de l’Exécutif à aller au bout dans le dossier PetroCaribe .»
Quid des états généraux sectoriels lancés par le président Jovenel Moïse. La structure mise en place à cette fin bat de l’aile. Peut-on parler d’échec ?
«Parler d’échec, ce serait aller trop vite en besogne. Disons que, quand la société est en crise, toutes les initiatives prises sont tributaires de cette crise. Les états généraux ne sont pas exempts. Normalement, le dialogue, la délibération, ce sont des choses propres à la Démocratie. On peut être d’accord ou ne pas être d’accord, mais il faut dialoguer pour pouvoir délibérer et ce qui en sortira sera imposable à tout le monde. Très souvent quand la société est en crise, les gens n’acceptent pas cela. C’est ce qui explique que les élections soient toujours contestées. Les gens sont tous d’accord pour être candidats, mais individuellement tout le monde pense qu’il doit gagner, alors qu’ils savent pertinemment qu’une seule personne sera élue. On a un problème profond en Haïti, et ce problème a des impacts sur les états généraux… »
Considérant la très mauvaise place occupée par Haïti dans le rapport du Forum économique mondial sur la compétitivité, la dépréciation accélérée de la gourde, des économistes en concluent que, sur le plan économique, l’administration de Jovenel Moïse a échoué…
«On ne peut pas parler aussi affirmativement d’échec de l’Administration. Dans ce pays, certains ont fait le choix de l’instabilité. L’instabilité a un prix. N’oubliez pas que Jovenel Moïse est arrivé au pouvoir dans un contexte économique très difficile. Malgré cela, beaucoup d’actions se concrétisent, le pays n’avait jamais eu autant de chantiers en même temps. Ces chantiers-là ne manqueront pas d’avoir des impacts positifs sur l’économie. Tout ce que l’administration effectue actuellement, comme l’irrigation des terres et la mise en production des parties très importantes de l’Artibonite, auront à moyen terme des conséquences économiques positives.»
La Caravane du changement est-elle en panne ?
«La Caravane n’est pas de nature à tomber en panne pour la simple et bonne raison qu’elle est une stratégie qui permet aux ministères d’être plus efficaces. Laissez-moi prendre l’exemple de Belladère. À Belladère aujourd’hui, le ministère des travaux publics construit des routes, le ministère de l’intérieur rénove des bâtiments historiques, et d’autres ministères sont à pied d’œuvre parallèlement, tout ceci sous la supervision d’une équipe qui fait le suivi et l’évaluation des actions conduites sur le terrain. Après 64 ans, nous sommes en train de construire un grand barrage sur la rivière Marion (Nord-est), les gens ne vont pas voir les résultats aujourd’hui, tout comme ils ne les avaient pas vu quand on construisait Peligre.»
DATES CLÉS |
Comment se porte la dyarchie Moïse-Céant ? Le président a-t-il le sentiment d’avoir fait le bon choix ?
«On ne juge pas l’action d’un Gouvernement en trois mois. Je dirais tout simplement que je ne crois pas que le président se soit trompé en choisissant le Notaire Jean Henry Céant pour occuper le poste de Premier Ministre. C’est aux Haïtiens qu’il revient de s’accorder sur la direction à prendre ensemble pour que le Gouvernement n’ait pas à gérer l’urgence tout le temps. Il y a des politiciens dans ce pays qui s’ingénient à mettre chaque jour le Gouvernement en situation à gérer l’urgence pour qu’il n’arrive pas à poser des actions structurelles. Leur mauvaise logique est que : si ce gouvernement pose des actions structurelles, à ce moment-là, politiquement, c’est foutu pour eux. Moi, j’aimerais que les gens pensent beaucoup plus à Haïti qu’à leur carrière politique personnelle…»