La rentrée judiciaire a eu lieu le 5 octobre en présence de tous les corps constitués de l’Etat. La réforme judiciaire s’essouffle encore et attend de prendre forme pour remettre en route une justice qui se trouve dans tous ses états. La réduction cette année de son budget permet-elle de croire que la priorité lui est accordée ?
Par Tania Oscar
Nemo censetur legem ignorare. Nul n’est censé ignorer la loi. Et pourtant tous l’ignorent ou font semblant de l’ignorer tandis que « la loi prévoit tout » comme dit un vieux proverbe. Pour cette rentrée judiciaire 2015, il a été question une fois de plus de la « réforme judiciaire » tandis que les lois ne sont pas, en grande partie, réformées. « Pire encore. Sans réforme de l’Etat qui gère la justice, il ne peut y avoir de réforme judiciaire », soutient le nouveau bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Stanley Gaston. « L’injustice, le plus souvent, ne se résout pas au tribunal mais par la vengeance, quand elle n’emprunte pas le chemin de la coercition punitive d’une prison où la détention préventive prolongée devient l’une des pires punitions », affirme Marie Yolaine Gilles du Réseau national de défense des droits humains. L’Etat de droit dont on parle depuis la promulgation de la Constitution de 1987 reste encore à créer suite au constat de défaillance d’un système judiciaire tyrannique. Un vrai dilemme. Il existe de sérieux problèmes d’incompréhensions judiciaires en Haïti, à commencer par les questions d’identité et de citoyenneté pour 30 % d’Haïtiens qui vieillissent sans carte d’identité ni acte de naissance, les empêchant ainsi d’avoir accès à la justice. …/…
L’AVIS DE Pierre Richard Casimir

et de la Sécurité publique
Photo par : James Exalus
« En tant que ministre de la Justice, je m’attelle à poursuivre une réforme de la justice en profondeur, liée à la réforme de l’Etat, en révisant les codes et en préparant de nouvelles lois qui seront soumises au prochain Parlement. Je suis déterminé à travailler dans le bon sens avec tous les praticiens du droit – juges, avocats, magistrats de siège, magistrats de parquets, arpenteurs, notaires, plaignants et défenseurs – pour améliorer le système judiciaire. J’ai toujours souhaité voir la réactualisation des lois en priorisant les droits de l’Homme et la modernisation des dispositions légales. Nous travaillons sur les principes de respect des droits humains des propositions quant à la baisse des coûts des frais de justice, le respect de l’inamovibilité des juges, la garantie de stabilité pour les juges de paix, le renforcement de leur capacité en matière d’enquêtes et de la soumission de la police à la justice. Je veux tout faire pour que le pays entier croie dans sa justice ! »

Photo par : T. MORA LIAUTAUD / CHALLENGES
…/…
Un accès restreint à la justice
De plus, la répartition spatiale des services juridiques démontre qu’avec 189 Tribunaux de paix sur près de 28 000 km2 et 565 sections communales, l’accessibilité à la justice se trouve réduite. Seulement un quart de la population haïtienne arrive à avoir accès à des services juridiques. Les Asecs et Casecs suppléent souvent les avocats et les juges. Si l’affaire est renvoyée par-devant un juge de paix, le simple constat avec un prix exorbitant décourage le plaignant. Parfois, faute d’argent, il se retrouve en prison pour longtemps, tandis que son « bourreau » se gave d’impunité. Par ailleurs, les lois inspirées des codes napoléoniens français et la culture paysanne haïtienne diffèrent dans la perception et la dispensation de la justice à tous les niveaux. Que ce soit sous l’angle du statut matrimonial (mariage et légitimité quant à l’héritage d’une part et le plaçage qui autorise d’autre part en Haïti des partages entre tous les enfants du père, issus de femmes différentes), les affaires se compliquent devant les tribunaux par rapport au droit foncier, au droit de propriété ou au droit de la famille. En Haïti, l’Etat de Droit constate que « la loi du plus fort est toujours la meilleure ».

La fonction de juge n’échappe point à ce concept du plus fort, du plus malin, du plus argenté. Les faibles salaires en cours rendent certains plus facilement « disponibles » à des propositions quelquefois illégales. Et si un juge veut rester droit, il peut être « cassé » par des menaces ou facilement révoqué s’il se trouve dans la chaîne révocable. Le Droit haïtien s’obtient ainsi trop souvent par-devant des prêtres du vodou et non auprès des tribunaux signalent la plupart des Haïtiens interrogés dans la rue. Cela coûte aussi cher mais la Justice est immanente et quelquefois expéditive et mortelle. Les réformes attendues sont diverses. Antonal Mortimé, leader de la Plateforme des organisations haïtiennes de défense des droits humains, estime que « 565 tribunaux de paix pour les 565 sections communales aideraient à mieux défendre les droits des citoyens et à diminuer les anomalies ».
Le système judiciaire haïtien en chiffres
Cour de cassation : 1 Tribunal pour enfants : 1
Cours d’appel : 5 Tribunal du travail : 1
Tribunaux de Première instance : 18 Tribunaux de paix : 1
Tribunaux terriens : 2 Annexes des Tribunaux de paix : 60
Nombre de magistrats
Cour de cassation : 7 (en fonction) Cour d’appel : 32
Le budget est à la baisse
La rentrée judiciaire de 2015 s’accompagne d’une série d’anomalies. A commencer par la Cour de cassation où les juges sont au nombre de sept au lieu des douze prévus. A l’issue de leur mandat, trois sont partis et n’ont pas été renouvelés tandis que deux sont décédés, laissant leur place vacante. De plus, au moment de réaliser des réformes institutionnelles, le Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire a constaté des coupures drastiques dans son budget. Le CSPJ a appris, impuissant, que beaucoup de tribunaux sont chassés par des propriétaires pour… non-paiement de leurs loyers.

Photo par : T. MORA LIAUTAUD / CHALLENGES
Les tribunaux comme celui de Léogâne sont en mauvais état. Et on coupe dans le budget… Le président de la Cour de cassation qui préside également le CSPJ, le juge Jules Cantave, a mis en place une Inspection judiciaire qui attend aussi des moyens pour être totalement efficace. Si les juges de la Cour de cassation (mandat de dix ans), ceux des Cours d’appel et des Tribunaux de première instance sont inamovibles (mandat de sept ans), les juges de paix et les magistrats du parquet (Commissaires de gouvernement) sont souvent révoqués selon les fantaisies de l’Exécutif ou du ministère de la Justice. Les Tribunaux de paix font aussi face à des limites. Ils ne peuvent juger d’affaires dépassant 25 000 gourdes, ce qui les écarte des affaires foncières par exemple. Les Tribunaux de première instance en prennent le relais en matière civile et pénale. Les Cours d’appel agissent sur les jugements des Tribunaux de première instance relatifs à des verdicts de culpabilité ou de non-culpabilité. La Cour de Cassation tranche. Le problème maintenant est de rendre la justice autonome, de « libérer » le pouvoir judiciaire du contrôle de l’Exécutif et de fournir à la justice un budget digne de ce nom, pour éviter les tentatives de corruption. Couper de 30 %, le budget de la Justice, en 2015, selon des membres du secteur, ne peut qu’ouvrir la porte aux prières chrétiennes ou à une récitation du Notre Père : « Seigneur écarte de moi la tentation ! » Et les tentations ne manquent pas…
Le salaire brut des juges
PREMIÈRE INSTANCE
Doyens des tribunaux : 78 000 gourdes
Juge : 66 660 gourdes
Juge d’instruction : 66 660 gourdes
Juge spécial du travail : 66 660 gourdes
Juge de paix (titulaire) : 54 000 gourdes
Juge de paix (suppléant) : 48 480 gourdes
Le président de la Cour de cassation perçoit le même salaire que le président du Sénat soit 121 000 gourdes.