Une récente conférence sur le cacao tenue en Haïti*, a levé le voile sur la réalité d’un marché extrêmement important mais complexe. Un marché où les producteurs ne sont pas les consommateurs, un marché où les écarts de produits et de revenus sont énormes… Il n’en reste pas moins que ce marché du cacao offre un potentiel énorme à Haïti…mais cela s’accompagne d’exigences phénoménales pour y prétendre.
Avec une consommation mondiale de 4,55 millions de tonnes en 2016-2017, soit 145 kg par seconde, le cacao représente une denrée appréciée et précieuse. En tête de la production, se place le continent africain. Avec 35 % de la production mondiale, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao devant le Ghana, le Nigeria et le Cameroun. Loin derrière, on trouve l’Asie et Océanie (16 %) et l’Amérique (6 %). Mais si l’Afrique produit 72 % du cacao mondial, elle n’en consomme que 4 %, tandis que l’Europe qui en consomme 73 % n’en produit pas… Ainsi, 90 % de la production mondiale de cacao proviennent de 7 pays.
Il est ensuite transformé en chocolat ou confiserie, pâte à tartiner, et autres poudres de chocolat, et principalement consommé par des pays non-producteurs. Ce marché du cacao, qui représente 110 milliards de dollars par an, concerne environ 50 millions de personnes dont près de 40 millions dépendent de la culture du cacao pour vivre. Plus de 90 % de la production de cacao mondiale proviennent de 5,5 millions de petites exploitations. La culture du cacao reste essentiellement le fait de petites unités familiales, ce qui explique que les exploitants locaux ne reçoivent que de 5 à 7 % du prix final de la tablette de chocolat. Les exportateurs de cacao génèrent ainsi 30 fois moins de revenus que les confiseurs.
La chaîne d’approvisionnement d’aujourd’hui
Autrefois, les gens consommaient leur propre cacao. En Haïti par exemple avec le chocolat peyi. Mais aujourd’hui, la plus grande partie du chocolat consommé dans le monde est industrialisée, et moins chocolatée ! Le cacao reste le premier ingrédient annoncé, mais la démocratisation du chocolat a conduit à y adjoindre plus de sucre et plus de lait. Par exemple, un Kiss de Hersheys ne contient que 11 % de chocolat. C’est la tendance du marché : le chocolat au lait. À part la teneur en cacao, dans le monde du chocolat, tout est concentré… Les pays producteurs, sont essentiellement centrés sur la matière première, pas sur la transformation. Côté négoce, les affaires de cacao sont aux 2/3 entre les mains des multinationales Cargill et Olam et toutes les autres se partagent le tiers restant. Au niveau de la transformation, les grands industriels sont quatre, Callebaut, Cargill, Blommer et Cemol. Tandis qu’à l’étape de la confection de chocolat, 95 % sont entre les mains des cinq grandes compagnies Hersheys, Mars, Kraft, Nestlé et Ferrero. Côté consommation, à eux seuls les États-Unis consomment 20 % de la production mondiale, soit une valeur de 22 milliards de dollars. C’est dire combien les acteurs du marché, du négoce et du détail vont influer sur les cours de la matière première, alors que les producteurs n’ont que très peu d’influence sur ces prix.
Sortir de l’ordinaire…
On distingue le cacao ordinaire du cacao extra-fin. L’ordinaire, c’est celui que l’on retrouve dans les produits populaires industriels, en tablette, en poudre ou en pâte à tartiner. Il représente 93 à 95 % de la production mondiale, car c’est celui dans lequel on a le plus investi. À l’inverse, l’extra-fin, qui ne représente 5 % de la production, comme le Criollo Trinitarian, est non seulement réputé génétiquement, mais va également être traité selon des procédés qui garantiront un calibrage, une fermentation et un séchage idéaux pour devenir le meilleur chocolat. Aujourd’hui, il faut viser les cacaos de spécialité et de grande qualité pour se faire une place sur le marché du chocolat. Le cacao haïtien pourrait être considéré comme extra-fin, et prétendre au prix de l’extra-fin, supérieur de 30 % au moins à la tonne d’ordinaire. Mais le chemin est long à parcourir pour que le produit vendu soit aux normes et se distingue. Ce n’est même pas garanti. Le Nicaragua ou la Bolivie produisent 100 % de cacao fin. Mais ces deux pays ne récoltent pas le prix premium… Seulement 2 % du cacao extra-fin produit en Bolivie a reçu une prime de valeur extra-fin… En République Dominicaine, 40 % du cacao est considéré comme fin. Mais seulement 28 % peuvent être vendus en Premium. Ce sont exactement les mêmes mécanismes que pour le café, le thé, le vin, le sucre, la banane ou les écorces d’oranges et c’est le marché consommateur qui oriente les prix. Le marché du chocolat fin de spécialité est très petit comparé à celui du café labélisé (50 % du marché), de la bière, du fromage ou du vin (10 % de leurs marchés respectifs). Seulement 1 % du chocolat est considéré comme extra-fin de spécialité.

…pour se tailler une place
Comment faire progresser la valeur du cacao… et la part du marché extra-fin ? Le cacao ordinaire qui concerne 90 % des ventes connaît 3 à 6 % de croissance par an tandis que le marché du cacao extra-fin profite d’une croissante de 7 à 10 %… C’est donc vers cette niche qu’il serait porteur de se tourner. Déjà les grandes maisons de chocolat comme Bonnat ou Valrhona s’approvisionnent en Haïti. Ces grands chocolatiers européens, qui recherchent un goût particulier ont amorcé le mouvement dans les années 90 et ont influencé le marché américain. Les compagnies qui produisent de grands crus ont ainsi augmenté en nombre. Il y en a aujourd’hui 200 aux États-Unis. Haïti pourrait donc viser ce marché en expansion, en travaillant sur la qualité de son terroir mais aussi du traitement. Cela demande une organisation, tout comme pour le café, les écorces d’orange amère ou le vétiver, et si d’autres produits l’ont fait, l’objectif est atteignable.
Stéphanie Renauld Armand
* Conférence Nationale sur le Cacao – juin 2018 Port-au-Prince. (MARNDR, BID, OMIN, USDA, Coopération suisse, CRS).
CHRONOLOGIE DE LA PASSION CHOCOLAT Année 1820, le chocolat se démocratise en Europe. Le hollandais Van Houten, fabricant à Amsterdam, invente en 1828, la solubilisation du cacao : c’est le premier brevet de chocolat en poudre. |