Avec plus de 900 millions de dollars générés et 54 000 emplois, le secteur de la sous-traitance textile représente un levier de développement économique à la fois important et essentiel pour le pays. Mais il pourrait se retrouver de nouveau en perte de vitesse, suite aux évènements qui ont paralysé la production de façon récurrente depuis juillet 2018.
En 1977, le secteur de l’assemblage, tous produits confondus, donc incluant le textile mais aussi l’assemblage électrique et électronique comptait 180 000 emplois. Ce résultat, Haïti ambitionne de le retrouver après des années d’efforts et un travail de lobbying assidu, non seulement pour obtenir des avantages auprès de son principal marché, les États Unis, mais aussi pour convaincre les investisseurs potentiels de s’installer.
Des chiffres encourageants…
En 2005, un groupe d’industriels haïtiens prend l’initiative d’un plaidoyer pour une législation qui avantagerait Haïti pour exporter les vêtements assemblés vers le marché américain. Le partenariat entre le gouvernement et le secteur privé à travers la commission HOPE a porté ses fruits : avec HOPE en 2006, HOPE II en 2008, HOPE HELP en 2010 et en 2015 une extension des avantages jusqu’en 2025, le pays est redevenu attractif pour le secteur de l’assemblage de l’habillement. Résultat, en quatorze ans on est passé de 9 000 emplois à 54 000. Rien qu’en 2018, le total des emplois a progressé de 13 % par rapport à l’année précédente. Les fabricants de vêtements du monde entier voient donc un intérêt à s’implanter en Haïti pour bénéficier de la proximité, des avantages tarifaires avec les États-Unis et d’un immense réservoir de main-d’œuvre. Sept nouvelles entreprises asiatiques se sont ainsi installées en 2017-2018, et trois nouveaux parcs industriels ont vu le jour au cours des 5 dernières années. Avec 926 millions de dollars d’exportations vers les États-Unis (2018), le secteur habillement reste en tête des exportations et la deuxième source de réserves de change, loin derrière les transferts de la diaspora (environ 3 milliards de dollars). 30 832 personnes sont employées dans la capitale (57 %), 22 655 dans la région nord (soit 43 %), et ce secteur injecte 7,5 millions de dollars par mois dans l’économie, versés en salaires locaux, contributions aux recettes fiscales.

…mais qui ne résisteront pas à l’instabilité.
Les efforts menés depuis 2006, par le secteur privé principalement, se sont traduits en résultats concrets au cours des 15 dernières années pour développer le secteur de l’assemblage des produits textiles. Le potentiel de passer de 50 000 à 80 000 emplois en 2 ans, puis de 80 000 à 300 000 emplois sur les 8 prochaines années est à la portée du pays. Mais comme une récolte qui s’annonce fructueuse peut être décimée par une journée d’intempérie, le futur pourrait s’assombrir suite aux troubles que subit le pays depuis juillet 2018. «D’abord, on ne rattrape jamais la perte d’une journée de travail, même avec des heures et des jours supplémentaires.», explique Georges B. Sassine, président de l’Association des Industries d’Haïti (ADIH) et vétéran du secteur. «Quand un jour est perdu, l’ouvrier perd son salaire mais doit faire vivre sa famille, l’usine n’a pas produit mais doit assumer ses frais fixes, le client ne reçoit pas et donc perd ses ventes… », poursuit-il. Or, ce qui séduit un client, c’est le «quick turn around» qu’offre Haïti : en 3 semaines une commande est censée être livrée chez le client. Lorsque plusieurs jours de production sont perdus comme en juillet, puis en novembre 2018 et encore 10 en février 2019… les usines doivent expliquer à leur client ou propriétaire étranger pourquoi continuer à prendre le risque de produire dans un contexte aussi imprévisible en raison de l’instabilité politique, mais aussi administrative et gouvernementale. Et 70 % des entreprises d’assemblages sont étrangères…

Bilan en demi-teinte
Si les chiffres et résultats de 2018 sont encourageants, il ne faut pas occulter les obstacles et les risques qui jonchent la route du développement de cette industrie. Soit, les investissements réalisés dans les secteurs sont significatifs : on compte 3 nouvelles zones franches privées : Lafito (160 millions $), Digneron (35 millions $), et Santo (30 millions $) dans la zone métropolitaine, et des investissements pour agrandir les 2 parcs industriels publics de Caracol au Nord (PIC, 250 millions $), et de Drouillard (PIM, 43 millions $) dans la capitale. Dans le même temps, réjouissons-nous de voir l’extension du port du Cap et de Lafito, les nouvelles liaisons aériennes du CAP qui valorisent Caracol, les nouvelles techniques et les services désormais accessibles en Haïti comme la sérigraphie, la sublimation, la production de fil à coudre et d’emballages en plastique, etc. Mais à y regarder de plus près, ces bonnes nouvelles sont à mettre en regard des obstacles et des problèmes : la médiocre gestion des parcs industriels publics, les freins au développement des parcs privés (pas de route pour accéder aux zones franches de Digneron et Santo, capacité limitée du port du Cap-Haïtien), les coûts d’exploitation élevés (électricité, transport et ports plus chers que dans la région), les tensions sociales récurrentes (grèves répétées, imprévisibilité des salaires, incapacité de l’ONA et de l’OFATMA à répondre aux besoins des travailleurs…), les tracasseries administratives de toutes sortes (procédures à l’import et à l’export, formalités complexes pour la création de nouvelles sociétés ou le renouvellement de franchises…) et la désuétude des lois (Code du travail, lois sur le commerce, etc.) pour une industrie dont tous les tenants et aboutissants et les intrants sont pourtant connus des autorités depuis 50 ans… Autant de points qui affectent considérablement la compétitivité d’Haïti, alors que d’autres pays continuent de faire d’énormes progrès pour développer cette industrie et attirer des investissements directs étrangers comme l’Éthiopie, le Kenya et Madagascar, ou plus près, le Salvador, le Nicaragua et le Guatemala…
Stéphanie Renauld Armand