Depuis leur consécration par la Constitution de 1987, les collectivités territoriales n’ont jamais été pleinement opérationnelles. Plusieurs facteurs techniques et politiques expliquent leur dysfonctionnement. Elles sont, pourtant, de puissants instruments assurant la décentralisation et l’efficacité des interventions publiques dans les communautés.
Par Ralph Thomassaint Joseph
Il suffit que les collectivités territoriales soient dysfonctionnelles pour que le pouvoir exécutif se permette de nommer les juges au niveau des Tribunaux de Paix, des Tribunaux de Première Instance et des Cours d’Appel du pays. Ce faisant, il viole le principe de la séparation des pouvoirs en installant ses pions au sein du pouvoir judiciaire et, par ricochet, en contrôlant celui-ci. Les Assemblées communales et départementales chargées de nommer les magistrats des tribunaux susmentionnés ne sont jamais constituées depuis l’adoption de la Constitution de 1987. En affaiblissant les pouvoirs des structures locales, les autorités centrales conservent un ensemble de privilèges à la fois politiques et financiers qui renforcent la dépendance et la pauvreté des collectivités territoriales. Les interventions de l’Etat dans les communautés n’ont pas l’efficacité qu’il faut puisque, collectivement, les choix des projets ne sont pas ratifiés au niveau des organes de délibération des collectivités locales.
Pour s’assurer de l’efficacité des interventions et la participation des communautés dans les prises de décision, l’Etat est aménagé, selon la Constitution et les lois, pour favoriser la participation des collectivités locales. Haïti est ainsi un Etat unitaire décentralisé. Les collectivités territoriales sont, selon l’article 61 de la Constitution de 1987, le département, la commune et la section communale. Elles sont constituées d’organes délibérants – les assemblées – et de structures exécutives. Elles permettent aux communautés d’avoir une autonomie de décision et de gestion à un certain niveau. Puisqu’elles maîtrisent mieux les besoins des populations, elles sont les mieux placées pour décider de l’orientation des projets pour la fourniture des services de proximité.
Trois types de compétences fondamentales
Les collectivités territoriales sont dotées de compétences techniques qui sont liées à la fourniture de services. Elles sont créées pour participer à l’amélioration des conditions de vie de la population à tous les niveaux. Elles participent à la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire, la protection des bassins-versants, la gestion des résidus, la distribution de l’eau potable, des espaces de loisirs et assurent la sécurité des populations. Les collectivités territoriales participent également à la fourniture des services de l’éducation que ce soit au niveau fondamental et professionnel.
Par leur compétence financière, les collectivités territoriales sont habilitées à collecter des taxes et prélever les recettes fiscales pour générer une partie du financement nécessaire à leur fonctionnement. Elles ont une autonomie de gestion et d’administration. Elles ont aussi une compétence politique qui leur permet de désigner certaines personnalités pour placer à certains niveaux de l’Etat, notamment au niveau de la Justice. Elles désignent ainsi les juges de paix, des Tribunaux de Première Instance et ceux des Cours d’Appel. Les Casecs sont habilités par la loi pour préparer la liste des jurés et veiller au respect des lois et des règlements.
Pas d’assemblées délibérantes
Depuis l’adoption de la Constitution de 1987, les assemblées communales et départementales n’ont jamais été constituées. Ces autorités délibérantes ont pour mission d’orienter les décisions des autorités exécutives au niveau des sections communales, des communes et des départements.
Au niveau de la section communale, plus petite entité des collectivités territoriales, l’Assemblée de la section communale (Asec), d’après la loi, est constituée de représentants de différentes localités et habitations de la section communale. Le nombre de représentants au niveau des Asecs varie de sept à onze, en fonction du nombre d’habitants de la section communale. L’Asec désigne les représentants de la section communale à l’assemblée municipale. Elle ratifie et sanctionne la politique de développement de la section communale préparée par le Conseil d’administration de la section communale (Casec) qui est l’organe exécutif. L’Asec s’assure que les naissances et les décès sont enregistrés, veille à la protection et la salubrité des eaux, des forêts, des terres et des bassins-versants.
Pour la commune, l’Assemblée communale est constituée de représentants des sections communales et du chef-lieu de la commune. Une partie de ses membres, les délégués de ville, sont élus au suffrage universel direct. Les Assemblées communales comptent entre onze et vingt-cinq représentants selon la population des communes. D’autres personnalités comme les députés et sénateurs du département, les directeurs des services publics du département, le délégué ou le vice-délégué sont habilitées à participer aux réunions de l’assemblée avec une voix consultative.
Au niveau du département, les communes délèguent leurs représentants pour constituer les Assemblées départementales qui orientent les actions des Conseils départementaux. Sans l’établissement des assemblées, les budgets des collectivités territoriales préparés par les conseils au niveau des sections communales et des communes ne sont pas sanctionnés selon le vœu de la loi. Les actes des conseils n’émanent pas de décisions des assemblées délibérantes.
Les élections au niveau des assemblées communales, municipales et départementales sont organisées sous la supervision du Conseil électoral. Le décret électoral de 2015 aménage les conditions pour se porter candidat au niveau des assemblées des collectivités territoriales. Toutefois, il n’est pas prévu de date, dans le calendrier électoral du CEP actuel, pour l’organisation d’élections au niveau des collectivités territoriales, notamment pour les Asecs, les Casecs et délégués de ville.

Carences de ressources
Pour que les collectivités locales puissent être opérationnelles, il faut qu’elles disposent de moyens financiers pour répondre à leurs besoins. Une loi créant le Fonds de gestion des collectivités territoriales (FGDCT) a été votée le 28 mai 1996 et publiée dans le journal officiel Le Moniteur, le 2 septembre de la même année. Le FGDCT est créé pour faciliter aux collectivités territoriales l’accès à des ressources financières pouvant permettre leur développement. « Depuis la création de ce fonds, l’argent est dilapidé par l’administration centrale. De quelle autorité morale l’administration peut-elle se prévaloir pour exiger des collectivités territoriales une bonne gestion ? », questionne André Lafontant Joseph, coordonnateur du Groupe de recherches et d’interventions en développement et en éducation (GRIDE).
Les 27 et 28 juin 2016, s’est tenu à Port-au-Prince le premier forum national des municipalités sur le financement des collectivités territoriales. Les maires de 140 communes du pays ont dressé un cahier des charges articulé autour de douze mesures qui pourront permettre aux collectivités territoriales d’être financièrement autonomes. Ils exigent que soient tenues les élections indirectes au niveau des assemblées pour une meilleure gestion du Fonds de gestion et de développement des collectivités territoriales.
Depuis la création du FGDCT, il n’y a pas de transparence quant à son utilisation. C’est pourquoi les maires des 140 communes exigent que la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif dépose au Parlement les comptes des recettes et des dépenses du FGDCT. « Il y a suffisamment d’argent dans le Fonds de gestion des collectivités territoriales et dans le budget national pour fournir les services de base comme la santé et l’éducation graduellement au niveau de toutes les sections communales », affirme André Lafontant Joseph. Selon lui, le ministère de la Planification dispose de 340 millions de gourdes pour financer les projets des collectivités territoriales.
A peine entrés en fonction, plusieurs maires ont dû mettre plusieurs employés en disponibilité sans solde à cause des problèmes financiers auxquels les municipalités font face. Le maire de Port-au-Prince, Youri Chevry fait état de 80 millions de gourdes de dettes. Tous les employés de la mairie de Delmas sont mis en disponibilité pour une durée indéterminée, selon le maire Wilson Jeudy. A Pétion-Ville, ce sont 1 080 employés qui sont mis en disponibilité. Les nouveaux maires élus ont récemment fait appel au secours de l’Etat central pour éponger les dettes de leurs municipalités respectives.
En 2014, le ministère de l’Intérieur avait déclaré que 85 % des communes dépendaient des allocations de l’Etat central alors que seulement 5 % de leur potentiel fiscal est exploité.

Combien de communes et de sections communales ?
La Constitution de 1987, dans son article 61-1, stipule que la loi peut créer toute autre collectivité territoriale. Haïti compte 10 départements depuis la création du département des Nippes en 2003 et 42 arrondissements. Le 22 juillet 2015, un décret publié par l’ancien président Michel Joseph Martelly a créé cinq nouvelles communes. La commune de Marfranc dans le département de la Grand’ Anse, la commune de Liancourt dans l’Artibonite, la commune de La Pointe dans le Nord-Ouest, la commune de Baptiste dans le département du Centre et la commune des Arcadins dans le département de l’Artibonite. Ces nouvelles communes avec leurs sections communales respectives ont fait passer le nombre de communes à 145. Suite aux protestations des habitants de l’Arcahaie, l’ancien Premier ministre Evans Paul avait annoncé que l’Etat avait décidé de rapporter le décret créant la commune des Arcadins. A sa place, a été créée la commune de Montrouis à travers un nouveau décret. Ce nouveau décret crée la commune de Fonds des Blancs et la section communale de Carriès. Ce qui ferait passer le nombre de communes à 146. Dans le décret du 22 juillet 2015, il était prévu que ces nouvelles délimitations ne seraient pas prises en compte dans les élections de 2015. Dans son adresse à la Nation, le président provisoire Jocelerme Privert a rappelé que sous son mandat il doit réaliser l’élection des organes des 575 sections communales.