Il existe au sein de la Police nationale d’Haïti une mosaïque d’unités, pour la plupart casernées. Une option qui freine l’efficacité d’intervention de l’institution. En plus de la multiplication des corps d’intervention, l’affectation incontrôlée de policiers à la protection de VIP fragilise davantage l’institution.
Par Ralph Thomassaint Joseph
Au sein de la Police nationale d’Haïti (PNH), il existe plus d’une vingtaine d’unités et de brigades spécialisées. Cette fragmentation répond à des besoins essentiels, selon certains cadres de l’institution. Cependant, pour une force composée d’un nombre limité d’agents assurant la sécurité d’une population de plus de 11 millions d’habitants, cette stratégie fragilise ses capacités d’intervention. En plus des unités créées, un nombre considérable de policiers est affecté à la protection de personnalités appelées VIP (Very important person). Aucun protocole ne définit l’attribution des policiers à la protection de ces personnes. Il suffit d’une influence politique pour qu’un agent soit détaché de l’institution pendant un temps relativement long.
Il suffit d’imaginer que pour chaque député on attribue un policier à sa sécurité, pour chaque sénateur, deux. Pour les ministres, les secrétaires d’Etat, certains directeurs généraux et les maires, le nombre varie selon l’influence de la personne. Aucun protocole ne définit la répartition des policiers à la sécurité des VIP. Et personne ne peut dire avec précision, l’effectif réel de la PNH, nous confie un haut gradé de l’institution. Ce déficit du contrôle de l’effectif de la police découle de certaines formes de complicités qui se développent entre certains hauts gradés et des agents. Des policiers vivent ainsi à l’étranger alors qu’ils perçoivent régulièrement leur salaire et figurent dans les rapports.
Selon les normes internationales en matière de sécurité, il faut au moins 25 policiers pour 10 000 habitants. Avec la 26e promotion, la Police nationale d’Haïti compterait un peu plus de 13 000 policiers actuellement. Mais 74 % des effectifs de l’institution se concentrent dans le département de l’Ouest explique l’ancien directeur de la police, Mario Andrésol. Ces cinq dernières années, beaucoup d’unités ont été créées au sein de la PNH pour justifier une meilleure efficacité. La plupart du temps, ces unités sont créées juste pour satisfaire les exigences de certains partenaires internationaux qui collaborent avec la PNH, selon Mario Andrésol.
Une réalité qui fragilise la PNH

La Police touristique (POLITOUR), la Police communautaire, la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID) et la Police communautaire éducative (EDUPOL) ont été ajoutées ces cinq dernières années à la liste déjà longue des unités composant la PNH. Il se développe une sorte de duplication dans l’accomplissement des tâches et il se pose de sérieuses difficultés dans l’organisation de la hiérarchie. Un flou demeure par exemple entre ce qui distingue le Corps d’intervention et de maintien de l’ordre (CIMO) de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO) qui portent les mêmes uniformes avec une simple différence d’insigne. La Brigade d’intervention (BI), qui sillonne régulièrement les rues et s’implique directement dans la sécurité des vies, compte moins de 200 agents pour tout le département de l’Ouest qui compte plus de 3 millions d’habitants. Une unité d’intervention spéciale comme le SWAT Team, compte moins de cent policiers. Elle est casernée uniquement à Port-au-Prince. C’est également le cas de la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS) qui doit quitter la capitale chaque fois qu’une situation se présente en province. Cette réalité fragilise la PNH qui compte un effectif très réduit par rapport à la taille de la population. « Si des manifestations se déroulent simultanément à Carrefour à Port-au-Prince et à Pétion-Ville, la Police nationale est incapable de les contenir », souligne Mario Andrésol.
Plus de 500 policiers attachés à la protection des VIP
Il suffit qu’un officiel décide d’obtenir un policier pour l’accompagner dans son cortège pour qu’on lui cède l’agent qu’il veut, indépendamment de l’unité à laquelle il appartient. Certains sénateurs ont par exemple plus de six policiers régulièrement mis à leur disposition. Certains policiers se font octroyer des détachements pour aller résider pendant un certain temps à l’étranger. D’autres sont au service de parlementaires pour la durée complète de leurs mandats. « Au service des politiques, certains policiers participent ainsi parfois aux transactions interlopes avec ceux-ci », révèle un haut gradé voulant garder l’anonymat. Il y a aussi les amis du pouvoir qui ont des policiers à leur disposition pour leurs sorties. « Un proche de l’ancien président Michel Martelly avait parfois autour de lui quinze policiers de la Compagnie de brigade d’intervention motorisée (CBIM) », rapporte un agent de l’UDMO. Il y a les conseillers du pouvoir, les secrétaires d’Etat, les directeurs généraux, les responsables d’institutions indépendantes qui se partagent aussi leur part de policiers. Et, à certaines occasions, certaines personnalités du secteur privé se font aussi envoyer leur cortège de policiers pour sécuriser leur déplacement. Durant le carnaval, des personnes influentes se font ainsi encercler de policiers juste pour une danse au milieu de la foule. « Il m’était arrivé d’avoir plus de 500 policiers attachés à la protection de VIP durant mon mandat comme chef de police », affirme Mario Andrésol.

Dans un plan de développement de la PNH établi au-delà de 2020, il était prévu d’augmenter l’effectif de la police pour atteindre 50 000 policiers pour une bonne répartition à travers les différentes régions du pays. En 2012, la force de police en République dominicaine comptait 32 000 policiers alors qu’Haïti en comptait 12 000.

L’AVIS DE Mario Andrésol
« LA PNH NE PEUT À ELLE SEULE ASSURER LA PROTECTION DE L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE »
« Nous ne devons pas pervertir le rôle de la police rien que pour plaire à nos partenaires internationaux. Il faut des directives au sein de la PNH qui définissent le mode opératoire de chacune des unités. En clair, il faut recadrer la mission de la PNH. Ce n’est pas la multiplication des unités qui rendra la Police nationale plus opérationnelle et plus efficace. Tout ceci était prévisible parce que, depuis l’origine, les partenaires internationaux qui formaient les policiers étaient à la fois des instructeurs canadiens, français, belges, américains, australiens et irlandais. En termes d’opérationnalisation et de stratégie, ils ont formé nos policiers en fonction de leurs réalités respectives sans tenir compte de nos spécificités locales. Dans un futur proche, il y aura un problème de leadership au sein de la PNH. La meilleure façon de pallier la dislocation de la police, c’est de créer une unité spéciale de protection des VIP. La PNH est actuellement la seule entité à assurer la sécurité de la population. L’Etat doit mettre en place d’autres structures qui peuvent concourir à garantir une meilleure gestion de la sécurité et aider la police dans ses travaux. La Police est un élément dans la structure de sécurité d’un pays. Il faut une nouvelle approche pour reconsidérer la sécurité en Haïti. La PNH, comme ce fut le cas des Forces armées d’Haïti, ne peut à elle seule assurer la protection de l’ensemble du territoire. »