Quand il faut faire preuve de courage

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DESTINATION Môle Saint- Nicolas à partir de Port-de-Paix
DESTINATION Môle Saint- Nicolas à partir de Port-de-Paix

Le département du Nord-ouest porte encore les stigmates de l’ouragan Matthew et les activités économiques tardent à reprendre leur cours normal. Les petits investisseurs  sont encore en grande difficulté. C’est le cas d’Isaac, chauffeur de taxi-moto qui a été sauvé de justesse de la noyade dans le courant d’une ravine en crue.

Il est neuf heures du matin, lundi 13 mars 2017. Nous sommes dans la gare routière de Port-de-Paix, destination Môle Saint-Nicolas. Les deux villes ne sont connectées que par motocyclette, sauf le mercredi, quand un pick-up assure le transport en commun avec seulement un aller et un retour. Quatre mototaxis ont déjà refusé de nous transporter, deux par méconnaissance de la zone et les deux autres à cause de la distance. Isaac se trouvait sur les lieux depuis plus de trois heures. Il s’appuie contre son véhicule et parle au téléphone. Nous n’aurons pas mis beaucoup de temps à convaincre le jeune homme de 28 ans de nous conduire au Môle Saint-Nicolas, dont la ville natale, Jean Rabel, est à mi-chemin.

Aujourd’hui, nous serons les premiers et derniers clients d’Isaac. À neuf heures quarante-cinq minutes, nous décollons de Port-de-Paix et mettrons 3 heures pour parcourir les 58 kilomètres de trajet. Au moment de traverser le pont Trois Rivières, Isaac engage la conversation, estimant que nous sommes des envoyés de Dieu. En même temps, il estime que nous avons de la chance. Non seulement, il n’a transporté personne depuis un quart de journée mais il estime être l’un des rares conducteurs à connaître notre destination. D’ailleurs, il croit juste que ses confrères refusent de s’aventurer sur le tronçon de route troué, cahoté, édenté, glissant, rocheux, montagneux et long qui relie le chef-lieu du département du Nord-ouest à l’autre bout du pays : Môle Saint-Nicolas, l’une des régions les plus affectées par le passage de Matthew en octobre 2016.

Isaac est père de deux filles, avec deux femmes. La mère de sa première fille de 12 ans vient de l’appeler au téléphone. Notre conducteur la renvoie avec la promesse de retourner son appel à la fin de la traversée. Chose qu’il ne fera pas et ira même jusqu’au point d’éteindre son téléphone. Il faut à notre nouvel ami la somme de 4 000 gourdes pour compléter les frais scolaires de sa fille qui vient d’être renvoyée à la maison. « Je ne sais pas où trouver cet agent », marmonne celui avec qui nous avons un accord verbal de 2 500 gourdes. C’est alors que le motocycliste se met à maudire Matthew.

ISAAC, 28 ans, chauffeur de taxi-moto
ISAAC, 28 ans, chauffeur de taxi-moto

Isaac est en effet une victime de ces intempéries. La moto qu’il pilote appartient à un ami. Les deux hommes l’utilisent alternativement depuis que la sienne a été détruite par des eaux en furie dans l’après-midi du 5 octobre 2016 à Fonds Cabaret, localité située entre Port-de-paix et Jean-Rabel. « Les eaux m’ont surpris en traversant le pont », explique-t-il. « J’ai été obligé d’abandonner ma moto pour me sauver la vie ». Le courant l’a emportée et Isaac l’a repêchée, enterrée sous la boue à plus d’un kilomètre de là.

Depuis, Isaac se bat en vain pour remettre son engin sur pied. « Chaque fois, il me faut une nouvelle pièce. En fin de compte, j’abandonne la carcasse dans un coin », s’alarme le Jean-Rabélien, qui n’entend pas pour autant abandonner le taxi-moto,seul métier qu’il croit pouvoir faire dans la vie, puisqu’il le fait depuis son plus jeune âge.

Le pire pour Isaac fut la mort subite de son père, peu après le passage de Matthew, laissant peser sur lui la responsabilité de sa mère et ses quatre sœurs, dont l’une est actuellement en domesticité à Port-de-Paix. « Avec la mort de mon père, j’ai maudit le jour de ma naissance. Je ne savais pas à quel Saint m’adresser », se remémore-t-il. « J’avais mis 10 000 gourdes de côté, la moto a tout absorbé. Voilà qu’il me faut 50 mille gourdes pour les funérailles, or je n’ai pas un sou ».  Isaac a dû contracter une dette dont il ne se défait toujours pas.

Les démarches d’Isaac pour trouver de l’aide se sont révélées vaines. Les autorités politiques et administratives de Port-de-Paix, où il habite, n’ont pas donné suite à ses requêtes. Il est en colère contre les sénateurs et les députés, notamment, pour n’avoir pas respecté leurs promesses de campagne.

Guamacice Delice