Protège-t-on assez les investissements ?

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Cette année, Haïti a perdu trois points dans le classement de Doing Business par rapport à l’année 2015, pour occuper la 186e place. Malgré les discours et les efforts engagés par les autorités ces dernières années, les investisseurs ne se ruent pas vers Haïti. La sécurité de leurs investissements peut bien être la raison qui justifie leurs réticences.
Par Ralph Thomassaint Joseph

Une entreprise d’exportation de produits locaux qui travaille depuis 2006 et a créé 300 emplois fixes, selon ses responsables, a été relocalisée sur un nouveau terrain après le séisme de 2010. Ces cinq dernières années, ses propriétaires ont été victimes d’attaques répétées d’hommes armés, des sbires d’un ancien député qui les menaçaient sur leur terrain. « Malgré les plaintes à la police et aux plus hautes autorités, l’Etat ne nous protège pas », raconte l’une des victimes. A cause des menaces constantes sur leurs vies, les propriétaires de l’entreprise ont renforcé leur sécurité personnelle et ravalé leur ambition d’expansion de leur société : « Aujourd’hui, nous sommes bloqués, nous ne pouvons pas agrandir nos exportations ». Ces cinq dernières années, les dirigeants mettaient pourtant le cap sur l’ouverture d’Haïti aux investissements. Haïti, disaient-ils, était Open for business. Dans cette optique, les médias devaient contribuer à refléter une image positive du pays, en gommant, parfois, certaines réalités qui posent un frein sérieux aux investissements.

Autrement dit, il faut être politiquement correct. C’est en tout cas ce que laisse comprendre l’actuelle directrice générale du Centre de facilitation des investissements (CFI), Norma Powell, qui fustige les images que rapportent généralement les médias à propos d’Haïti. « Il n’y a pas que des problèmes, sinon personne n’investirait en Haïti », fait-elle remarquer pour justifier sa position. Les crises politiques à répétition, les faiblesses de la Police nationale, l’instabilité économique n’encouragent pas l’investissement actuellement dans le pays. « L’insécurité vient de toutes parts. Il s’agit fondamentalement d’un problème d’Etat. L’Etat ne protège pas assez nos investissements », explique Kim Sassine, directrice exécutive de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti (CCIH). Elle révèle que la plupart des hommes d’affaires étrangers qui contactent la Chambre de commerce, veulent simplement vendre sur le marché mais non implanter des entreprises, à cause d’un climat peu favorable à l’investissement durable.

HAÏTI EST-ELLE RÉELLEMENT Open for business ? Istock
HAÏTI EST-ELLE RÉELLEMENT Open for business ? Istock

Un problème politique
« L’investissement en Haïti est réputé à risque en raison du climat politique. Cependant, il faut reconnaître que les investissements sont protégés par la loi », nuance Serge Merger, directeur du Fonds de développement industriel (FDI). A cause du climat d’instabilité politique, des manifestations de rue bloquent par moments des artères clés pour la circulation des biens. Ceci ralentit l’évolution des transactions et occasionne parfois des pertes importantes fait remarquer le directeur du FDI. L’institution qu’il dirige finance des entreprises produisant de la valeur ajoutée dans l’économie tout en respectant l’environnement. Vingt pour cent du portefeuille de crédit du FDI sont octroyés au secteur agricole qui, à côté des aléas climatiques, peine à attirer les investisseurs en raison du problème du cadastre en Haïti. Jusque vers 2013, à peine 5 % du territoire haïtien était enregistré, selon l’Office national du cadastre (Onaca). Depuis des années, la réforme du cadastre a été annoncée pour n’aboutir pratiquement qu’à très peu de résultats concrets. « L’un des problèmes les plus sérieux, c’est celui du cadastre qui ne garantit pas la sécurité des biens », souligne Serge Merger.

L’INSTABILITÉ POLITIQUE, pèse fortement sur les investissements. Timothé Jackson / Challenges
L’INSTABILITÉ POLITIQUE, pèse fortement sur les investissements. Timothé Jackson / Challenges

Appui institutionnel faible
Pour faire enregistrer une société anonyme en Haïti, il faut au moins 97 jours selon le rapport Doing Business. Pour certains entrepreneurs, il leur a fallu plus de cinq mois avant d’obtenir tous les papiers qu’il leur fallait pour s’implanter et fonctionner légalement. « Il n’y a pas transparence dans la procédure au ministère du Commerce. Parfois, il me faut cinq voyages pour avoir simplement la signature d’un responsable du ministère. Certaines fois, ils égarent nos dossiers et nous font attendre longtemps sans savoir ce qui justifie ceci », se plaint André, un entrepreneur de Pétion-Ville. En alourdissant la procédure et en occultant les informations, il s’est développé un système de racket où, à chaque étape, les gens se font rançonner pour obtenir les documents. « Les entreprises partenaires nous rapportent qu’il est difficile d’obtenir leurs documents auprès des instances gouvernementales », témoigne Kawala Jean, chargée de programme à la Société Interaméricaine d’Investissement (SII).

« Il existe de graves problèmes en termes de garantie juridique et même judiciaire », souligne pour sa part la spécialiste en Droit du commerce international, Naed Jasmin Désiré, avant d’ajouter : « Nos magistrats manquent de formation dans les matières commerciales et les tribunaux commerciaux sont trop lents, exposés à la corruption et manquent d’expertise pour traiter certains conflits. » En effet, l’Etat a introduit ces dernières années pas mal d’incitatifs pour attirer les investissements. Le Code des investissements en vigueur, malgré ses faiblesses, accorde des avantages fiscaux et douaniers assez intéressants. Cependant, le Code du commerce actuel date de 1826 et a connu sa dernière modification en 1944. Pour Naed Jasmin, si l’Etat haïtien a signé quelques traités bilatéraux qui ont pour objectif d’attirer et de protéger les investissements étrangers, ceux-ci doivent être actualisés et multipliés.

Selon Norma Powell, directrice générale du CFI, l’une des missions de l’institution qu’elle dirige est de faire des propositions pour améliorer, moderniser et créer plus de transparence dans les affaires en Haïti. C’est pourquoi la direction du département de facilitation du CFI se penche actuellement sur l’actualisation du Code du commerce. La Banque interaméricaine de développement (BID) travaille dans plusieurs secteurs pour le renforcement et l’accompagnement des institutions publiques pour améliorer le climat des affaires en Haïti, explique Kawala Jean, chargée de programme à la Société interaméricaine d’investissement de la BID.


 NORMA POWELL, Directrice générale du Centre de facilitation des investissements (CFI)
NORMA POWELL, Directrice générale du Centre de facilitation des investissements (CFI)

L’AVIS DE Norma Powell

« LE CFI A TRAVAILLÉ ACTIVEMENT POUR L’AMÉLIORATION DU CADRE LÉGAL DES AFFAIRES »

 

« Conscient de l’importance de l’amélioration du climat des affaires, pendant les deux dernières années le Centre de facilitation des investissements (CFI) a travaillé activement pour l’amélioration du cadre légal des affaires. Nous avons mis sur pied l’Unité de plaidoyer au sein du Département d’étude, qui a produit une analyse sur le rapport Doing Business ainsi qu’une simulation qui démontre qu’avec le passage de cinq lois (commerce électronique, signature électronique, droit des sociétés, administration électronique, droit des sûretés et régime de l’insolvabilité commerciale), Haïti améliorerait son classement de 35 places. Dans ce même élan, nous nous apprêtons à mettre sur pied la cartographie des procédures qui nous permettra de cibler les goulots d’étranglement et le baromètre des affaires qui nous permettra d’identifier annuellement les problèmes les plus importants pour les investisseurs. Le CFI se penche également sur la modernisation du Code des Investissements afin d’y inclure des secteurs qui n’existaient pas au moment de sa publication. D’un autre côté, le fait qu’Haïti soit non seulement membre de l’OMC, mais ait également ratifié les conventions MIGA et CIRDI (Groupe Banque Mondiale) est un atout pour les investisseurs qui requièrent une conciliation ou un arbitrage ou pour l’assurance multirisque de leurs investissements. En gros, il existe une marge d’amélioration appréciable pour attirer plus d’investissements qui doit être adressée par les secteurs tant public que privé. »