Haïti a frôlé la plus grave catastrophe de son histoire le samedi 7 juillet 2018, suite à l’augmentation des prix de l’essence. Si cette mesure gouvernementale n’avait pas été suspendue, à l’heure actuelle, Port-au-Prince et bien d’autres villes importantes du pays, avec tous leurs commerces, grands et petits, seraient réduits en cendre. Le pétrole étant un produit transversal, le moindre ajustement à la pompe entraîne automatiquement une hausse des prix des produits de première nécessité, et donc une détérioration des conditions de vie de la population. Le débat sur la subvention et la structure des prix s’impose.
Par Wandy Charles
La subvention est définie comme un don réel, en nature ou en espèce. En ce qui concerne les produits pétroliers, il y a subvention à chaque fois que l’État renonce à certains prélèvements qui devraient être appliqués sur ces produits. Ainsi, depuis un certain temps, l’État haïtien a choisi, tel un choc absorbeur, d’amortir les variations que connaît le prix des produits pétroliers sur le marché international. Aussi, a-t-il décidé de prélever moins de taxes sur l’essence comparativement aux autres produits importés. « Cette disposition appelée couramment subvention permet de garder stable le prix du gaz sur le marché local », explique l’économiste Etzer Emile. Cependant, le professeur d’Économie reconnaît que cette décision représente un véritable manque à gagner pour le gouvernement qui cherche à appliquer la taxation régulière. Se faisant, il laissera le marché déterminer à lui seul le prix du précieux liquide.
Le manque à gagner
La banque mondiale a récemment soulevé le caractère non viable de ces subventions dans un rapport sur Haïti intitulé « Les villes haïtiennes : des actions pour aujourd’hui avec un regard sur demain ». Les subventions sur les carburants ont un effet extrêmement régressif en Haïti, avec environ 93 % des subventions qui bénéficient aux 20 % de la population la plus riche, ceux qui sont propriétaires de voitures et de motos. En plus de représenter une partie importante des recettes totales (15 %), les ménages pauvres ne dépensent que très peu pour les carburants (0,11 % du budget moyen des ménages). C’est aussi l’argument avancé par le gouvernement en place pour justifier sa volonté de couper la subvention sur les produits pétroliers (avant les évènements du 7 juillet 2018). Il soutient que 90 % de ces subventions appliquées sur des produits pétroliers profitent à 20 % de la population la plus aisée. Pour faire ressortir le côté néfaste de la subvention, il a été démontré que le déficit de l’État central s’élève à 47 milliards de gourdes, dont 24 milliards pour les trois dernières années. Une perte énorme qui ne fait qu’affaiblir l’État et freine ainsi les efforts du Gouvernement à offrir des services appropriés à la population.
Autour de l’ajustement automatique
Pour éviter des grognes au sein de la population générées souvent par une gestion politique de l’ajustement du prix du carburant, un système de changement de prix à la pompe a été mis sur pied. Il s’agit du « déclencheur automatique ». Réglementé par le Ministère de l’Économie et des Finances et le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), ce mécanisme prévoit une modification du prix de l’essence chaque fois qu’il subit une variation de 5 % sur le marché international. Dans le cas contraire, les prix restent inchangés. « Ce mécanisme d’ajustement automatique a été planifié par un décret législatif de 1995, mais n’a été activé pour la première fois qu’en 2003, pour être ensuite retiré et réactivé à plusieurs occasions entre 2008 et 2014 », souligne le rapport publié par la Banque Mondiale. Ce principe de déclencheur automatique élimine du coup les changements trop fréquents des prix à la pompe. Mais le calcul qui permet de constater si les prix à la pompe doivent changer ou non se fait à chaque nouvel arrivage de produits pétroliers, puisque Haïti n’en est pas producteur. En revanche, le principal inconvénient du mécanisme de déclencheur automatique, reste que les changements de prix risquent d’être défavorables, soit pour les consommateurs haïtiens quand les prix sont en hausse, soit pour l’État quand les prix sont en baisse. Cela implique des arbitrages souvent difficiles. Une mesure qui éprouve de sérieuses difficultés à être acceptée par certaines franges de la population, car elle n’a pas d’application stricte. Souvent les gouvernements s’empressent de réviser à la hausse le prix de l’essence ici en Haïti, alors que ces mêmes gouvernements sortent tous les arguments pour ne pas baisser le prix du baril quand il chute sur le marché.

Un produit transversal
Considérés comme étant stratégiques, les produits pétroliers ont une incidence directe sur la vie quotidienne dans toutes les sociétés. Haïti n’échappe pas à cette règle. L’utilisation prépondérante de cette denrée rare lui confère un caractère transversal. La variation de son prix sur le marché influe les autres produits, surtout ceux de premières nécessités. Sans oublier que le secteur du transport en commun terrestre est souvent le premier à subir de plein fouet les conséquences des variations de prix du carburant sur le marché.

Les facteurs déterminants du prix de l’essence
Selon l’expert-comptable, John Earl Etzer Legros, le prix des produits pétroliers à la pompe dépend en général de quatre facteurs. Premièrement, il dépend du prix du pétrole brut (lui-même fonction de plusieurs paramètres comme les coûts techniques de production qui constituent l’ensemble des coûts d’exploration et d’exploitation de l’or noir), de la qualité du pétrole brut, des impôts exigibles par l’État qui délivre le permis d’exploitation, de la marge de la compagnie productrice. John Earl Etzer Legros établit une différence entre le coût et le cours du pétrole. Ce dernier détermine le prix du produit sur le marché international et varie en fonction de l’offre et de la demande. « Des facteurs géopolitiques influent souvent sur le cours du pétrole », explique-t-il. Deuxièmement, le prix dépend des coûts et de la marge de la compagnie pétrolière, à savoir les coûts de raffinage et de distribution regroupant les différentes phases de transformation du pétrole brut aux produits destinés à la commercialisation. « Ces coûts représentent en moyenne 10 à 12 % du cours du baril », précise l’expert-comptable John Earl Etzer Legros, détenteur aussi d’un master en Gestion. Les prix du pétrole brut et des produits raffinés ne sont pas définis sur le même marché. Ils sont fixés sur des marchés financiers distincts qui obéissent à des lois de l’offre et de la demande. Troisièmement, le prix des produits pétroliers dépend des taxes prélevées par les États qui représentent une grande part dans la structure des prix et varient d’un pays à un autre. En effet, les recettes pétrolières occupent une place considérable dans les lois de finances. « En Haïti, l’État perçoit plus de 28 % du prix de vente de l’essence », révèle M. Legros. Et le dernier facteur, c’est le taux de change. Ce facteur est très déterminant sur la fixation du prix, surtout dans les pays à forte inflation où la parité de change demeure très instable. Sur le marché international, les produits pétroliers sont vendus en dollars. La dépréciation de la gourde influe sur la marge que devrait collecter l’État sur les produits pétroliers. Toutefois, M. Legros apporte ce bémol : « le prix de l’essence ne fluctue pas proportionnellement au prix du baril de pétrole brut, car les facteurs susmentionnés ne sont pas les mêmes partout, et varient d’un pays à un autre ».
STRUCTURE DE PRIX DE L’ESSENCE EN HAÏTI. ELLE EST CONSTITUÉE D’AU MOINS 15 ÉLÉMENTS. Étude/Recherches : |