L’annonce de l’importation du café ne cesse de faire des vagues au sein des acteurs de la filière. Depuis longtemps, ils alertent les autorités sur le déclin de cette production qui constitue un pilier fort pour l’économie et l’environnement. Dans la filière, on craint les conséquences de l’importation qui peut conduire jusqu’à sa disparition.
Par Ralph Thomassaint Joseph
En 2013, la Plateforme nationale des producteurs de café d’Haïti (PNPCH), qui regroupe un ensemble de coopératives et d’associations de producteurs, exigeait que le café soit décrété produit national stratégique par l’Etat. Par cette décision, des mesures seraient prises pour accompagner les producteurs et appuyer l’ensemble des acteurs de la filière café. Cette recommandation anticipait le déclin du café que les maladies et les catastrophes naturelles précipitaient. Compte tenu de l’importance de cette denrée pour l’économie et la préservation de l’environnement, sa disparition constituerait un coup dur pour le pays. Haïti produit du café arabica qui est l’une des meilleures variétés du monde. Historiquement, le café a permis de payer la double dette de l’indépendance et soutenu l’économie nationale dans les moments les plus difficiles. Mais cette année, deux torréfacteurs industriels, Rebo et Sélécto, ont produit une demande d’autorisation d’importation du café pour desservir les demandes du marché.
Cette histoire inédite provoque des remous au sein des organisations de producteurs qui craignent que le café connaisse le même sort que le riz local. Pour Jean-Christophe Stefanovitch, si Haïti importe du café ce serait alors la catastrophe parce que la relance de la filière sera automatiquement abandonnée. Son organisation nOula, qui promeut le commerce international solidaire, accompagne les paysans depuis 2005 et leur achète le café à trois fois le prix du marché international. Comme nOula, un ensemble d’organisations partenaires et d’ONG sont les seuls recours des planteurs totalement délaissés par l’Etat. Malgré les faiblesses de la filière, chaque année, le café d’Haïti s’exporte en Italie, en France, au Canada et aux Etats-Unis.
« Pour la première fois depuis quarante-six ans, Rebo se trouve dans l’obligation d’envisager l’importation de café », déclare Gilbert Gonzales, PDG de Rebo. Selon ses déclarations, il a été difficile cette année de faire tourner ses machines tant la production du café a baissé. « Nous employons plus de 450 personnes et Sélécto 250, que pouvions-nous ? Il faut faire tourner les machines pour que notre industrie subsiste », ajoute-t-il. Ces deux torréfacteurs industriels produisent moins de 2 % du café pour la consommation du marché local. Ensemble, ils ont recouru à ce qu’ils appellent « un plan de contingence temporaire » en l’accompagnant d’une garantie d’investissement dans la production. Pour Douglas Weiner, représentant de Sélécto, l’importation du café cette année est « un signal d’alarme qui doit mettre tous les acteurs en branle afin de relancer la production ».
Les causes du déclin
Dans la région, Haïti a le plus faible rendement de café. Alors que certains pays produisent plus 600 kg de café à l’hectare, Haïti n’en produit que 150. En Colombie, la moyenne d’âge des caféiers est de plus de 9 ans, tandis que chez nous, la plupart des caféiers sont vieux de plus de 40 ans. Ce vieillissement des plantations réduit leur rendement et diminue leur résistance aux attaques des épidémies et des insectes comme la rouille et le scolyte. De 150 000 hectares en 1950, aujourd’hui Haïti ne compte qu’environ 60 000 hectares de terres plantées en café.

Les catastrophes naturelles constituent un autre facteur de la chute de la production. A cause du phénomène El Niño, les sécheresses à répétition ont considérablement diminué la production des dernières années. En 2011, par exemple, l’Union des coopératives caféières de Baptiste (UCOCAB) a dû refuser le café des planteurs faute de marché car ce fut une année de grande production. L’année suivante, le passage du cyclone Isaac détruisit 70 % des plantations et s’ensuivit une grande période de sécheresse. « Nous avons l’assurance que, si l’Etat nous accompagne, en trois ans nous atteindrons le pic de production de 2011 et dans dix ans, nous pouvons couvrir la région de Baptiste en caféiers », déclare Walter Elismé, coordonnateur de l’UCOCAB. Coopcab, un réseau de dix coopératives caféières de 3 500 membres à Baptiste, exporte son café en Italie, au Japon, en France et aux Etats-Unis. Il y a quatre ans, il envoyait sept containers vers ses partenaires. Suite à huit mois de sécheresse, il espère cette année avec beaucoup de difficultés exporter à peine un container et demi.
Quelles solutions ?
Cette baisse de la production décapitalise les producteurs qui ne bénéficient d’aucun accompagnement de l’Etat. Dans certaines régions, une plantule de café varie entre 20 et 25 gourdes et le sac d’engrais coûte 3 600 gourdes. Pour planter un hectare, il faut au moins 3 600 plantules. Sans encadrement technique, sans crédit agricole et sans investissement dans la filière, le café risque de disparaître pour faire place à des cultures beaucoup plus rentables. Face à ce constat, les acteurs de la filière recommandent la mise en place de banques de crédit agricoles prêtant à des taux d’intérêt raisonnables. Il faut développer des variétés de café qui résistent aux épidémies et à la sécheresse mais l’Etat doit aussi protéger le marché contre l’introduction illégale de café venant de la République dominicaine.

Cette année, la République dominicaine a dû recourir à l’importation du café pour alimenter son marché. Parallèlement, l’Etat met en place un ensemble de mesures pour relancer la production en déclarant l’Etat d’urgence sur le café : 72 millions de plantules seront mises en terre. Le café importé de la République dominicaine se vend déjà sur le marché haïtien. Moins cher que le café local, il risque de créer un dumping qui décapitalisera davantage les petits producteurs locaux.

JOBERT FANGRAND, Coordonnateur exécutif de l’incan. Photographie par Ralph Thomassaint Joseph / Challenges
L’AVIS DE Jobert Angrand
« SI NOUS RESTONS AU STADE DE CUEILLETTE, LE CAFÉ PEUT COMPLÈTEMENT DISPARAÎTRE »
« Après l’indépendance, en 1804, Haïti était le premier producteur et exportateur mondial de café. Aujourd’hui nous consommons l’équivalent de 25 000 sacs de café alors que notre production est d’environ 15 000 sacs. Il y a donc un déficit à combler car nous ne pouvons pas produire la quantité qu’il faut pour la consommation locale actuellement. Il faut que nous soyons en mesure de remembrer les caféiers comme le font les autres pays. Au niveau de l’Incah (Institut national du café d’Haïti), nous suggérons fortement l’intensification des travaux en cours. A Thiotte, dans le département du Sud-Est, il existe un modèle qui démontre qu’Haïti peut encore produire du café. Nous avions sélectionné une variété de café de bonne qualité qui résiste à la rouille. Avec le minimum qu’ils ont, les producteurs dans le Sud-Est pensent que, dans trois ans, ils auront une augmentation de la production. L’Etat doit profiter de l’engouement des producteurs pour relancer la production parce que le savoir-faire existe déjà. Il suffit de mettre les moyens qu’il faut. Nous avons un plan de relance de la filière sur dix ans. Parallèlement, nous avons un projet qui s’étale sur cinq ans pour démarrer sur 1 200 hectares en vue d’atteindre les 60 000 hectares que nous voulons régénérer. Il y a beaucoup de priorités mais il faut considérer le café qui peut sauver l’environnement et soutenir l’économie du pays comme après l’indépendance. Si nous restons au stade de cueillette sans régénérer les plantations, le café peut complètement disparaître. »