Les Moulins d’Haïti peuvent fournir jusqu’à 95 % de la farine de blé nécessaire à la consommation nationale. N’était la farine qui passe illégalement par la frontière haïtiano-dominicaine et qui envahit le marché local, cet objectif serait déjà atteint en faisant tourner à plein régime ses moteurs.
Il suffit d’un clic pour lancer les gigantesques machines des Moulins d’Haïti qui gardent la réputation de moulins les plus modernes de la Caraïbe. « J’ai visité beaucoup de moulins à travers le monde, même aux Etats-Unis et en Europe, il est difficile de trouver un moulin aussi moderne que le nôtre », lance avec fierté Werner Knecht, directeur de la production. Plus de 50 millions de dollars ont été investis dans l’usine après le séisme du 12 janvier 2010, pour à la fois la moderniser et garantir une production de meilleure qualité.
L’entreprise Les Moulins d’Haïti (LMH) existe depuis dix-huit ans, suite à l’acquisition de la minoterie d’Haïti, ancienne propriété de l’Etat haïtien. Aujourd’hui, elle est gérée par la société américaine Seabord Corporation, Continental Grain Company, l’Unibank et l’Etat haïtien qui détient encore 30 % des actions. Elle produit la farine de froment et le son de blé à partir du blé importé de plusieurs pays, notamment du Canada, de l’Argentine et des Etats-Unis. La farine produite est commercialisée sous la marque Farin Lakay. « Contrairement à ce qu’on veut faire croire, Les Moulins d’Haïti n’importent pas la farine de l’étranger. Nous achetons du blé que nous transformons ici en Haïti », souligne Chérilus Duverglas, assistant du directeur de ventes. Les nouveaux investissements après le séisme ont permis à LMH de se doter d’un moulin à maïs pour produire du maïs moulu et de la farine de maïs. Le maïs transformé par Les Moulins d’Haïti est acheté en grande partie par des producteurs locaux et il est commercialisé en Haïti sous le label Ti Malice.
Chaque jour, Les Moulins d’Haïti produisent à peu près 950 tonnes de farine, soit près de 20 000 sacs de 50 kg. « Si l’usine tournait à plein régime, nous pourrions alimenter jusqu’à 95 % de la farine consommée par le marché local. Nous exploitons actuellement 60 % à 70 % de notre capacité de production », précise Werner Knecht. Avant le séisme de 2010, l’usine tournait du lundi au dimanche. Depuis l’invasion du marché par la farine dominicaine par la frontière, l’usine fonctionne du lundi au vendredi mais arrête parfois ses machines en milieu de semaine.

Freiner le dumping dominicain
Une quantité importante de farine provenant de la République dominicaine se vend actuellement sur le marché haïtien sous différents labels. Cette farine qui ne répond pas aux exigences internationales est vendue à bas prix et cause ainsi un dumping sur le marché local. Cette situation engendre une baisse de la production des Moulins d’Haïti. La farine vendue sur la frontière est produite spécialement pour la consommation haïtienne. Le sac de 50 kg coûte environ 25 dollars alors qu’en République dominicaine il se vend à 30 dollars. « C’est une farine de très mauvaise qualité. Les utilisateurs, pour la plupart, ne le savent pas. Dans les boulangeries et les pâtisseries, on la mélange avec notre farine pour obtenir une pâte de bien meilleure qualité », révèle Chérilus Duverglas.
« L’Etat a tout intérêt à freiner la contrebande sur la frontière. Car, si nous augmentons notre production, nous pourrons créer davantage d’emplois dans le pays », souligne de son côté Werner Knecht qui estime que la farine de contrebande détruit la production nationale.
En 2015, des organisations de la société civile se sont soulevées pour dénoncer la farine de mauvaise qualité importée de la République dominicaine. Des tests du laboratoire du ministère de l’Agriculture avaient révélé dans les farines en provenance de la République dominicaine des taux élevés de bromate de potassium, un additif cancérigène interdit en Europe et aux Etats-Unis. Ce produit, qui fait gonfler la farine, est autorisé en Haïti à faible quantité soit 20 parties par million (20 ppm).
Les Moulins d’Haïti s’assurent d’importer des matières brutes de qualité pour produire une farine de qualité pour le marché local. Tous les jours, la farine produite est testée dans ses laboratoires pour s’assurer qu’elle répond aux standards internationaux de production. « Nous avons une farine stable qui est contrôlée à tous les niveaux de production », déclare Werner Knecht. Les Moulins d’Haïti comptent 162 employés réguliers, environ 80 journaliers et une centaine de travailleurs pour charger les camions. L’usine distribue 300 kilowatts d’électricité pendant douze heures au village de Lafito ainsi que de l’eau potable. L’eau pour sa consommation est tirée de la mer de Lafito et dessalinisée pour la consommation de l’usine.
Les Moulins d’Haïti et Céréales d’Haïti sont les deux usines qui produisent de la farine actuellement en Haïti. Leur capacité de production suffit largement pour alimenter le marché local et même exporter cette denrée en grande quantité. Les responsables de LMH souhaitent que l’Etat prenne les mesures nécessaires afin de stopper la contrebande au niveau de la frontière qui dure déjà depuis trop longtemps.
Ralph Thomassaint Joseph