De 1993 à nos jours, 7 missions des Nations Unies ont foulé le sol haïtien. Leurs objectifs diffèrent selon le contexte. Néanmoins, les questions de sécurité, de stabilité, de promotion des droits humains et d’appui institutionnel ont toujours été parmi les nombreuses priorités de ces missions. La MINUJUSTH dont le mandat arrive à terme le 15 octobre prochain, est la dernière en date. Quel bilan en tirer ?
Par Wandy Charles
Mission accomplie, selon les Nations Unies
L’Organisation des Nations Unies s’est octroyé un satisfecit pour le travail qu’elle dit avoir accompli en Haïti. Sandra Honoré, ancienne Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, devant le Conseil de sécurité en octobre 2017, a souligné la contribution de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) au retour de la stabilité dans le pays. Cette Mission, créée en 2004, devait fermer ses portes le 15 octobre de cette même année. Dès lors, c’est la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) qui a pris le relais. Au moment de cette transition, Mme Honoré soutenait qu’Haïti a une tout autre allure, malgré les nombreux défis qu’elle doit encore relever. Les deux plus grands domaines dans lesquels la MINUSTAH estime avoir enregistré des progrès significatifs sont la sécurité et la stabilité politique. Selon elle, Haïti était en proie à une profonde instabilité, une violence politique endémique et un climat d’anarchie et d’impunité chronique.
«Aujourd’hui, les gangs armés ne tiennent plus la population en otage, grâce à une Police nationale forte de 14 000 éléments, et toutes les branches du pouvoir sont en place », avait laissé entendre la diplomate onusienne. Plusieurs délégations ont, elles aussi, décerné un satisfecit à la MINUSTAH, l’avant-dernière mission de l’ONU en Haïti et aussi celle qui a enchaîné le plus de mandats. D’abord la délégation uruguayenne qui a qualifié le bilan de «positif». Même son de cloche de son homologue Italien qui a souligné les « gains remarquables» obtenus par la Police nationale d’Haïti grâce à la mission onusienne.

Il n’y a pas lieu de parler de bilan positif
En dépit de leur caractère coopératif, les interventions des Nations Unies ne sont pas exemptes d’ambiguïtés et d’incohérences, selon le coordonnateur de la Plateforme de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA). Camille Chalmers estime que l’ONU s’est souvent immiscée dans des questions considérées comme relevant de la stricte compétence interne d’Haïti. Et à ce niveau, l’économiste affuble les Nations Unies de critiques acerbes. Il reproche entre autres à l’ONU de dicter ou d’imposer sa volonté en matière électorale ou lors des crises politiques. Le professeur d’Université dénonce l’application en Haïti de ce qu’il appelle des plans inavoués de la « communauté internationale» sous couvert de l’ONU. Haïti serait un laboratoire d’expérimentation de missions de maintien de la paix afin de contrer toute mobilisation sociale et politique dans certains pays de la Caraïbe. De ce point de vue, Camille Chalmers croit savoir que l’Organisation des Nations Unies est prise en otage par des multinationales qui, elles, travaillent à la solde des grandes puissances impérialistes. De ce fait, les missions envoyées en Haïti ne sauraient être bénéfiques pour le pays. «Aucun des objectifs que les Nations Unies se sont fixés n’a été atteint en Haïti», soutient le coordonnateur de la PAPDA. Pour Camille Chalmers, qu’il s’agisse de la réduction de la violence urbaine, du renforcement de l’État de droit ou de la stabilité, l’ONU a piteusement échoué. Il préfère parler de gaspillage de milliards de dollars américains en évoquant ces différentes missions onusiennes. À l’inverse, si l’ONU peut compter, aux yeux de l’altermondialiste haïtien, Camille Chalmers, très peu d’actifs, son passif est énorme. L’économiste mentionne, entre autres, l’épidémie de choléra, les cas de viol sur mineurs (filles et garçons) et des centaines d’enfants abandonnés à leur mère. L’ONU avait reconnu tardivement, en août 2016, son implication dans l’introduction de cette maladie en Haïti. L’épidémie a causé, à date, la mort de plus de 10 000 personnes, et 800 000 cas de contamination. « Toutes ces victimes doivent être réparées et indemnisées », insiste Camille Chalmers, soulignant que des plaintes ont été déposées en ce sens devant des instances juridiques internationales. Il appelle le Conseil de Sécurité à fournir un appui technique sanitaire pour éradiquer le choléra en Haïti, classé récemment comme le pays où le plus de cas de Choléra ont été enregistrés. « Tous ces faits dégradent encore plus l’image du pays », termine l’altermondialiste.
Mission de l’ONU en Haïti : pourquoi cela n’a pas marché ?
Pourquoi les Nations Unies n’ont jamais mis les pieds en République dominicaine tandis qu’elles sont revenues à plusieurs reprises en Haïti ? Pourrait-on se demander. Le spécialiste en relations internationales, Fernando Estimé, avance une réponse : «Nos dirigeants ne se comportent pas en hommes d’État responsables prêtant le flanc ainsi à de telle invasion », explique-t-il. Fernando Estimé impute la responsabilité des différents débarquements du «blanc » sur le sol national aux gouvernements qui se sont succédé. Selon le consultant, les crises politiques à répétition et la mauvaise gouvernance ont toujours servi de mobile aux Casques bleus pour fouler le sol haïtien. Cependant, M. Estimé croit que si les missions de maintien de la paix reviennent régulièrement dans le pays, c’est parce que l’ONU évalue très mal la situation d’Haïti. « L’apport que les Nations Unies pensent apporter est souvent inadapté à la réalité complexe du pays », fait-il remarquer. Toutefois, le consultant en Relations internationales relativise : « Les Nations Unies ne peuvent pas non plus faire de miracles», nuance-t-il, expliquant que les Haïtiens doivent eux-mêmes se prendre en charge sans avoir à compter sur des étrangers pour venir mettre de l’ordre dans leur propre pays. Fernando Estimé souligne également qu’il n’est pas inéluctable que les Casques bleus foulent à nouveau le sol haïtien en dépit du fait que le pays soit membre fondateur de l’ONU. Mais pour cela, nos dirigeants doivent cesser de se comporter en irresponsables, en «trouble maker », insiste-t-il. « Il est grand temps que les Haïtiens apprennent à résoudre leurs problèmes eux-mêmes et surtout à s’organiser», conclut Fernando Estimé.