Au Nicaragua, 39 ans après le triomphe de la révolution, la répression a changé d’auteur mais pas de cible. Elle vise en majorité les jeunes. Bilan, d’avril à août : 400 morts. Le régime sandiniste, dirigé par Daniel Ortega, est devenu le bourreau. Comme terme à cette dérive, certains appellent le président à démissionner.
Les idéaux bafoués
Il s’agit là d’une formule résumant avec efficacité les préoccupations inspirées par la situation sociopolitique actuelle du Nicaragua à nombre d’analystes et d’observateurs de la révolution sandiniste. Elle a fait le titre d’un article paru, le 1er septembre 2016, dans les colonnes du « Monde diplomatique », sous la plume de Bernard Duterme, directeur et chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental (Louvain-la-Neuve) : « Au Nicaragua, Que reste-t-il du sandinisme ? ». « Rien », répond Arnold Antonin, auprès de qui nous avons relayé la question. Il est un ancien titulaire de la chaire « Tiers-monde et monde caribéen » de la Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti. De plus, auparavant, il avait eu à s’entretenir, lors de son exil au Venezuela, dans les années 70, pour fuir la dictature des Duvalier, avec beaucoup de Nicaraguayens proches du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) se mettant, eux, à l’abri de la dictature dynastique somoziste.
Antonin s’anime à évoquer ce qu’il appelle les idéaux libertaires de la révolution : « un pouvoir opposé à l’exploitation et à la domination du peuple » ; « la redistribution des richesses de façon équitable » ; « la promotion des paysans et des pauvres pour qu’ils aient le bien-être et le bonheur ». « Ce qu’il nous est donné de voir là, c’est plutôt un pouvoir soucieux seulement du bonheur et du bien-être, ainsi que de la gloire et de la domination, d’un clan », dénonce-t-il, fustigeant au passage le FSLN au pouvoir actuellement qui n’a, dit-il, rien à voir avec celui qui a mené la lutte armée qui a pu venir à bout, en 1979, de 43 années de domination des Somoza (père et fils).
La dérive d’Ortega
Le professeur Antonin insiste sur le fait que plusieurs des anciens compagnons d’armes de Daniel Ortega ont pris leurs distances avec lui, quelque temps après son retour au pouvoir en 2006. Une reprise du pouvoir intervenue 16 années après que les Sandinistes l’aient perdu aux urnes et ainsi fait place aux libéraux soutenus par les États-Unis de Ronald Reagan. Les premiers dissidents, dont Ernesto Cardenal, poète, sculpteur, prêtre et ministre de la Culture de 1979 à 1987, et Sergio Ramirez, écrivain et ancien vice-président, ont pu percevoir, selon Antonin, des signes de la dégénérescence de la révolution. Le cinéaste raconte que « Daniel commençait à s’affirmer comme un chef autoritaire aspirant à un pouvoir personnel ». Il ajoute : « C’est aussi un grand magouilleur qui sait jouer de certains liens, à travers une véritable mafia et une clientèle créées autour de lui ». Ortega finira par mettre en place un pouvoir familial, comme l’explique Antonin, avec sa femme, la poétesse Rosario Murillo Zambrana, comme vice-présidente, mais aussi patrimonial, garantissant l’enrichissement aux membres de son clan et à lui-même. Le professeur relève le fait que, parallèlement, le président nicaraguayen cherche à s’attirer les bonnes grâces du FMI en affichant la volonté d’appliquer une politique respectueuse des règles du marché, souligne le professeur. Il décide également de mener un ensemble de réformes structurelles dont la composante relative aux retraites a buté, en avril dernier, sur la rébellion de la population, souligne Antonin.
Comment en est-on arrivé là ?
Dans une tentative d’explication, Arnold Antonin dit constater une dérive, par rapport aux idéaux de départ, dans pratiquement tous les pouvoirs de type révolutionnaire et socialiste. En Amérique Latine, précise-t-il, cela prend la forme de l’émergence d’un chef révolutionnaire confondu avec ce qu’on appelle un caudillo, c’est-à-dire un chef traditionnel et absolu qui a droit de vie et de mort sur ses sujets. Pour sortir de l’impasse actuelle, Arnold Antonin recommande qu’Ortega accède aux demandes des jeunes et de l’opposition en organisant des élections anticipées. Des demandes auxquelles a fait écho le chanteur engagé et dissident sandiniste Carlos Mejía Godoy (75 ans), dans une lettre ouverte publiée en juillet dernier. Il y lance un appel à son ancien camarade : « Daniel, arrête cette barbarie ! ».
Rodrigue Lalanne