Imperturbable, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif poursuit son audit de la gestion des fonds PetroCaribe. En toute impartialité, la CSC/CA accomplit sa mission dans un paysage pollué de spéculations.
Par Georges Allen
Né à Jacmel (Département du Sud-est) le 18 mai 1964, Maître Napoléon Lauture est régulièrement au tableau des Avocats du Barreau de Port-au-Prince, depuis son intégration le 31 mars 1998. Très connu dans le monde de la basoche pour son expertise en matière de justice financière, il est auditeur en chef à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif depuis quelques années. Maître Napoléon Lauture qui s’était marié le 22 janvier 2005, avait gagné son plus grand procès le 14 avril 2000, date à laquelle son fils aîné voyait le jour.
L’INTERVIEW
En janvier dernier, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, qui enquête sur l’utilisation des fonds PetroCaribe, a soumis un premier rapport au Sénat de la République. Qu’est-ce qui explique le caractère partiel du travail de la CSC/CA ?
«Comme je le dis souvent dans mes différentes interventions à travers la presse, le rapport d’audit sur la gestion des fonds PetroCaribe que la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif a remis à l’Assemblée des Sénateurs en date du 31 janvier 2019 n’est pas partiel. Je m’explique : Tous les projets qui ont été audités le sont définitivement. Parce que chaque projet a une comptabilité, chaque projet a été géré par une entité, donc chaque projet a été audité par la CSC/CA ut singuli (singulièrement). Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a d’autres projets qui doivent être audités par la Cour. Mais, ceux qui ont déjà été audités ne feront nullement l’objet d’une seconde vérification. À ce niveau-là, il faut comprendre que la Cour Supérieure des Comptes a effectué un travail au cas par cas. Comme le président de la CSC/CA, Pierre Volmar Demesyeux, l’avait souligné à l’attention des Sénateurs lors de la soumission du rapport d’audit en janvier dernier, le document dont disposent les pères conscrits est une partie du travail qu’effectue l’Institution et non, comme on le dit, un rapport partiel.»
Peut-on toutefois dire que le rapport d’audit est incomplet ?
«Si vous voulez, oui. J’aimerais ajouter pour ma part que le temps qui a été imparti à la Cour Supérieure des Comptes pour effectuer ce travail est loin d’être suffisant. Cela s’explique en raison du fait que l’audit est un travail qui exige à la fois une expérience pointue et la mobilisation d’un ensemble d’experts. Aussi, les aléas politiques que le pays a connus ont quelque peu ralenti le travail de la CSC/CA. Au nombre des projets soumis à l’appréciation de la Cour, un premier travail d’audit a été réalisé, il y en a d’autres qui, pour l’heure, attendent d’être audités.»
Dans le cadre de cet audit réalisé par la CSC/CA sur un sujet aussi sensible que PetroCaribe, quelle méthodologie appliquez-vous ?
«Cette question est d’autant plus pertinente qu’elle m’invite à parler de la procédure suivie par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif pour réaliser sa mission. Normalement, l’audit en soi est un travail à caractère contradictoire. Cela signifie que la personne ou l’entité qui va faire l’objet de l’audit doit être au courant de la vérification qui va être effectuée. Préalablement, le président du Conseil remet à la Commission une lettre de mission constituant son mandat. À ce moment-là, toutes les entités, toutes les personnes physiques ou morales dont le compte ou la gestion va être audité, reçoivent une lettre qui les informe du travail des vérificateurs de la CSC/CA, ce qui permet de fixer des rendez-vous. Somme toute, dans cette procédure, la prise de contact avec le ou les concernés est incontournable et obligatoire. Arrivés sur les lieux, les vérificateurs s’entretiennent avec les personnes concernées, prennent connaissance de l’entité dans une certaine mesure ; ensuite, comme la procédure l’indique, la vérification est faite sur pièces et sur place. Dans leur travail, les vérificateurs de la Cour passent au peigne fin l’ensemble des documents attestant les activités financières mises en œuvre par l’entité ; in fine ils font leur observation avant de soumettre le résultat de leurs différents travaux. Au cours de leur mission, les vérificateurs de la CSC/CA peuvent demander à telle ou telle personne concernée de lui donner une communication, une audience. Autrement dit, c’est un travail interactif qui ne se fait pas en catimini.»
« Certains membres du Gouvernement ne sont pas justiciables de la Cour parce que l’article 233 de la Constitution fait du Parlement le juge exceptionnel en matière financière de la gestion des ministres.»
Certaines personnes regrettent que la Cour des Comptes n’ait pas accusé nommément ceux qui ont dilapidé les fonds PetroCaribe. Que répondez-vous ?
«Ceux qui pensent que la CSC/CA aurait dû prononcer des accusations contre telle ou telle personne ignorent à la fois la nature des travaux effectués par la Cour ainsi que sa mission. La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif n’a pas pour mission d’accuser qui que ce soit. D’ailleurs, l’acte d’accusation implique une personne physique qui avait géré une entité quelconque. La Cour ne s’intéresse qu’à la gestion de la personne, l’ensemble des activités qu’elle a mises en œuvre dans le cadre de la dépense des deniers publics. Grosso modo, le travail de la CSC/CA consiste à examiner si toutes les activités, toutes les dépenses effectuées respectent la procédure tracée par la loi sur la comptabilité publique, la Constitution, s’il n’y a pas eu détournement, mauvaise gestion, entre autres. Dépendamment des constatations faites par la Cour, les conclusions de son rapport peuvent être positives ou négatives. Aujourd’hui, il est encore tôt pour la CSC/CA d’affirmer si tel ou tel cas constaté s’assimile à de la corruption par exemple, pour la simple et bonne raison qu’il y a le temps de l’action et le temps du jugement. En ce qui concerne le dossier PetroCaribe, la Cour ne pourra juger que les personnes qui tombent dans le cadre de sa compétence juridictionnelle. Parce que la CSC/CA est non seulement un tribunal administratif mais aussi juge financier des personnes, des comptables des deniers publics, des ordonnateurs qui relèvent de sa compétence. Ceci est d’autant plus important à souligner qu’il y a des ordonnateurs, des membres du Gouvernement, qui ne sont pas justiciables de la Cour parce que l’article 233 de la Constitution dans son dernier alinéa fait du Parlement le juge exceptionnel en matière financière de la gestion des ministres.»
On s’attendait à ce que la CSC/CA, dans son rapport, prenne des arrêts de débet ou de quitus…
«Nous sommes dans un pays où malheureusement n’importe qui dit n’importe quoi. À un certain niveau, la société haïtienne a quand même progressé parce qu’il fut un temps où l’on n’entendait pas trop parler de la justice financière. Maintenant, les gens en parlent mais souvent de manière très approximative, ou de la mauvaise manière. Mais quand même, c’est bien que la population s’approprie la question de la justice financière parce que toute personne qui a dépensé l’argent de l’État, les deniers publics, est tenue de rendre des comptes de sa gestion. D’ailleurs, dans le droit public haïtien, la reddition de compte est d’ordre public. Dès lors que quelqu’un a dépensé l’argent de l’État à titre de comptable public, comptable de fait ou comptable de droit, la reddition de compte est obligatoire. Maintenant, en ce qui concerne directement votre question relative aux arrêts de quitus et de débet, il y a une précision à faire. Dans le cadre de l’audit sur la gestion des fonds PetroCaribe, il est prématuré de parler d’arrêts de débet ou de quitus qui réfère franchement au jugement prononcé par la Cour. Nous n’en sommes pas encore arrivés là. La CSC/CA n’a pas encore jugé. L’arrêt de débet est une décision rendue par la Cour sanctionnant les actes de malversations, de corruption, de prévarication financière qu’une personne aurait commis dans l’exercice de ses fonctions. Cet arrêt rend la personne mise en débet débitrice de l’État du montant qui a été détourné. S’agissant de l’arrêt de quitus, c’est une décision prise par la cour attestant de la bonne gestion des fonds publics par une personne dans l’exercice de ses fonctions. En gros, c’est quand aucune irrégularité n’a été constatée par la Cour.»
L’enquête de la Cour sur la gestion des fonds vénézuéliens s’effectue donc en deux étapes ?
«Par rapport à la mission qui lui a été confiée par le Sénat de la République aux fins d’approfondir les enquêtes qui ont été réalisées par les commissions sénatoriales, la Cour Supérieure des comptes n’est pas encore arrivée au terme de la mission en question. Il y a une partie du rapport d’audit qui est prête et qui a été remise à l’Assemblée des Sénateurs. Comme les projets à vérifier sont nombreux, la Cour est à cette phase consistant à les analyser dans le cadre de la mission qui lui été assignée.»
Récemment, une juriste a dit que le rapport de la Cour des comptes est politique. En quoi le serait-il ?
«Substantiellement, je ne comprends pas ce que cela veut dire un rapport politique. La Cour des comptes a pour mission de contrôler les recettes et les dépenses de la République. Si vous consultez les articles 200 de la Constitution, vous verrez que la CSC/CA est en train de répondre à ses prérogatives. Si vous lisez l’article 48 du décret du 23 novembre 2005 portant établissement, organisation et fonctionnement de la Cour, vous allez voir que les pouvoirs publics, dont le Parlement, peuvent demander à la Cour d’effectuer telle ou telle mission d’audit. La CSC/CA ne fait que son travail. Comment peut-on étiqueter le rapport de politique ? Cela ne veut absolument rien dire et ne contribue nullement à faire avancer le débat.»
DATES CLÉS |
On savait tous l’engagement affiché par l’ex-Premier ministre Jean-Henry Céant à faire avancer le dossier PetroCaribe. Maintenant que le notaire a démissionné, est-ce que son absence ne va pas freiner le travail de la CSC/CA ?
«Je n’ai pas vraiment d’avis là-dessus. Mais je ne saurais croire que la démission de Jean-Henry Céant du poste de Premier ministre puisse avoir un impact quelconque sur le travail de la Cour. On ne saurait réduire les travaux de la CSC/CA à la présence ou à l’absence d’un Premier ministre. L’État est régi par le principe de la continuité. Donc, avec ou sans le Premier ministre Jean-Henry Céant, le contrôle de la Cour des comptes va suivre son cours.»