C’est du moins l’avis de nombreux observateurs qui commentent l’accession de Miguel Diaz Canel à la présidence cubaine. Un changement graduel sous la vigilance de la vieille garde, comme le pensent certains, ou encore un changement sous la pression de la société cubaine déjà en mutation, selon d’autres.
L’angle sous lequel il faut analyser la passation de pouvoir, le 19 avril dernier, à Cuba, de Raul Castro (86 ans) à Miguel Diaz Canel (58 ans) est celui de la transition politique, estime Watson Denis, docteur en histoire et professeur à l’Université d’État d’Haïti. Il s’agit, selon lui, de la transmission du pouvoir de la génération des « barbudos », qui a réalisé la révolution, à une génération plus jeune de politiciens. Mais il nous met aussitôt en garde, il s’agit toujours dans la même ligne politique, la continuité de la révolution. Il n’y aura donc pas, affirme-t-il, de changement radical et brutal à Cuba avec l’accession de Miguel Diaz Canel à la magistrature suprême de l’État.
« L’intéressé le sait et est même prêt à jouer le jeu », déclare le professeur Denis, se référant au discours d’investiture prononcé par l’ingénieur de formation né après la révolution. Denis cite Canel : « la transition se fera sous l’emprise de la continuité et du changement ». Continuité, par exemple, dans la gratuité de l’accès à l’éducation, à la santé, au sport et à la culture, prévoit-il. Changement, s’il y en a, présume-t-il, ce sera dans l’économie. Le docteur Denis évoque le programme d’« actualisation du modèle économique en vigueur » annoncé par le nouveau numéro 1 Cubain. À ne surtout pas assimiler, conseille-t-il, à une volonté de mettre le cap sur l’économie de marché ou le capitalisme, dans une démarche de remplacement de l’économie planifiée. Le président est formel là-dessus, affirme Watson Denis. Il va continuer, insiste-t-il, l’application du plan élaboré sur 12 ans par le parti communiste, dont Raul Castro est le secrétaire général jusqu’en 2021, et ratifié par l’assemblée nationale. Le système est donc déjà établi. Miguel Diaz Canel est là pour le faire fonctionner, conclut-il, tout en invitant à ne pas minimiser le poids du parti communiste et des forces armées cubaines.
Les atouts de Canel
Pour Arnold Antonin, titulaire de la chaire « Tiers-monde et monde caraïbe » à la faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti, l’accession au pouvoir politique de Miguel Diaz Canel n’amènera pas une rupture, mais, à coup sûr, des changements à Cuba. En ce sens, le fait que le nouveau président ne soit pas issu de « l’appareil militaire et bureaucratique traditionnel » n’est pas à considérer uniquement comme une faiblesse. C’est aussi un atout, pense Antonin. Il est d’avis que la jeunesse de Miguel Diaz Canel, associée à sa formation scientifique, peut l’aider à établir plus facilement des ponts avec les jeunes générations, de surcroît de plus en plus « éloignées », croit-il, « du récit national antérieur basé sur les gestes héroïques de la Moncada et de la Sierra Maestra ». Antonin fait aussi confiance à l’habileté politique dont le successeur de Raul Castro a dû faire preuve pour arriver là où il est aujourd’hui, malgré « la jalousie des vétérans ». Une habileté à laquelle Diaz devra certainement avoir recours pour diriger, presse le professeur Antonin, qui tient ainsi compte du contexte international particulier dans lequel le natif de Santa Clara est arrivé au timon des affaires. Contexte marqué, rappelle-t-il, par la mise à bas des avancées obtenues sous l’ère Obama et qui laissaient espérer une levée prochaine de l’embargo. Autre élément de contexte cité par le cinéaste : la pleine déliquescence dans laquelle plonge le principal support économique de l’île caribéenne, en l’occurrence le Venezuela. Antonin n’en voit pas moins dans ce qu’il appelle « la société cubaine en pleine mutation » un autre facteur susceptible de faciliter la tâche au nouveau chef d’État. Il fait toutefois remarquer que cela ne saurait impliquer un retour au modèle économique d’avant la révolution ni, du reste, l’adoption du modèle de développement souhaité par certains à Miami. La mutation est, selon lui, la conséquence d’un besoin de changements perceptible au sein de la société cubaine. Il mentionne notamment les efforts en cours dans l’agriculture pour arriver à l’autosuffisance alimentaire que la révolution n’a pas su garantir, malgré la fertilité du sol. Ces efforts, également constatés dans le domaine des services, sont l’occasion de tensions, relève le professeur Antonin, entre la tendance vietnamienne et chinoise, pour conserver le régime tel quel, développer un capitalisme d’État, mais avec des adeptes d’un modèle basé sur davantage de participation et de liberté d’initiative. Ceci est, à son sens, l’une des exigences fondamentales des Cubains. Il sera très difficile pour Canel de ne pas suivre ce mouvement, lui semble-t-il.
Rodrigue Lalanne