LE 19 JANVIER 2010, le spectacle l’Union fait la force avait permis de récolter 98 000 $ à Montréal. BERNARD MAURAN
L ’annonce du séisme du 12 janvier 2010 s’est répandue à travers le monde comme une traînée de poudre. Je me rappelle exactement l’endroit où j’étais lorsque les mots tremblement de terre dévastateur ont été prononcés pour la première fois. Je prenais place dans un taxi à Montréal conduit par un chauffeur haïtien. En l’espace de quelques secondes, nos deux vies ont chaviré. La voiture s’est arrêtée net sur Notre-Dame. En plein milieu de l’artère bondée, immobiles nos regards se sont croisés dans le rétroviseur. Aucun son, aucune parole n’ont pu sortir de nos bouches pendant plusieurs minutes qui ont semblé durer une éternité. Chaque parole prononcée par l’animateur de la radio haïtienne CPAM résonnait, mais aucune n’avait de sens. Cet enchaî- nement de mots déconstruits balancés dans un état de choc sans précé- dent était pourtant ce à quoi nous pouvions nous accrocher. C’était le 12 janvier 2010 à 16 h 53. Une date inscrite dans le calendrier de nos vies qui ne pourra jamais être oubliée.
Les défis à relever semblaient gigantesques
Quoi qu’on en dise, le souvenir est toujours aussi vif, même six ans plus tard. Les années qui passent ne peuvent occulter la douleur ressentie. Les images nous reviennent en tête constamment. Impossible d’oublier! La panique générale qui a suivi les premiers bilans a vite fait place à un mouvement de solidarité : 200 000 morts, 300 000 blessés, les défis à relever semblaient gigantesques. Avec quelques amis, nous avions décidé d’organiser un événement bénéfice le 19 janvier. Lors de cette soirée, 98 000 $ ont été amassés qui ont été remis à la Croix-Rouge, Médecins Sans Frontières et Clowns Sans Frontières. Si le premier réflexe a d’abord été de récolter des fonds pour des organismes humanitaires, très rapidement, un mouvement contraire s’est installé. Les allégations de mauvaise gestion des dons par les ONG ont vite découragé plusieurs personnes à soutenir ces organisations. Le documentaire Assistance mortelle de Raoul Peck, brûlot sur cette question, a d’ailleurs vivement mis en cause la présence d’autant d’ONG en Haïti.
Le tremblement de terre a eu des répercussions dévastatrices à plusieurs niveaux. Aujourd’hui encore, ses effets se font sentir. Les secousses physiques se sont dissipées mais les chocs psychologiques retentissent toujours. Pour se relever, les projets se sont multipliés, les appels à l’aide aussi. Dans cette chaîne d’entraide humaine, plusieurs initiatives ont émergé en provenance de la diaspora qui, pendant longtemps, regardait Haïti de loin et même parfois de haut, et qui a compris avec ce triste événement l’importance d’investir et de participer aux efforts de reconstruction. Ces efforts ne sont pas limités à l’aspect matériel. Il y a aussi une reconstruction immatérielle qui est tout aussi importante et qui est nécessaire pour aspirer à un changement réel en Haïti. Un aspect positif dans cette tourmente est que la devise « L’Union fait la Force » a pu ressurgir pour le bien commun. Des membres de la diaspora ont décidé, même à distance, de faire leur part d’action pour une meilleure Haïti. Zoom sur deux initiatives porteuses.
Carla Beauvais
LES PROJETS DU GROUPE ÉCHO HAÏTI

A l’instar des milliers d’Haïtiens qui ont été témoins de cette catastrophe, la vie de Katie-Flore Fils-Aimé a pris un tournant décisif. Face à l’incroyable impuissance de l’Etat haïtien, censé pourtant être en mesure de gérer ce genre d’événement, elle a compris qu’il fallait qu’elle s’engage et qu’elle s’implique activement dans le relèvement de son pays. En 2012, après avoir passé environ un an à travailler dans les camps de réfugiés de l’aire métropolitaine comme travailleuse sociale, informant les personnes sur les comportements à avoir en cas de désastres naturels, elle a rejoint le Groupe Echo Haïti, une association de jeunes, d’étudiants et de professionnels, qui cherche depuis 2010 à placer la jeunesse au centre de la pensée et des actions pour le développement en Haïti. Le Groupe Echo Haïti a en effet pris naissance dans un contexte post-séisme où le désespoir était partout et où la jeunesse était désœuvrée. Il fallait donc apporter une réponse urgente à cette situation qui menaçait l’avenir de toute une génération. Le but était de favoriser le brassage des idées constructives et de trouver l’énergiecapable de réconcilier Haïti avec son espace social, politique, économique et environnemental. Avec l’équipe du Groupe Echo Haïti, Katie-Flore Fils-Aimé, présidente de l’association, a donc cherché, de manière bénévole, à créer le dynamisme nécessaire chez les jeunes de son âge. En 2014, ils ont organisé leur premier forum international des jeunes en Haïti, Elan Haïti. Un événement qui a réuni 100 jeunes leaders venant des quatre coins d’Haïti, de la diaspora et des étrangers sensibles à la cause haïtienne. Elan Haïti a donné lieu à une série d’échanges, conférences, visites, ateliers et tables rondes consacrés à une réflexion profonde et sincère. Par ailleurs et surtout, Elan Haïti a donné lieu à la mise en œuvre de quatre projets concrets. Le premier est le réseau des Jeunes ambassadeurs d’Haïti. Second projet, Hvert qui est une entreprise sociale destinée à faire une utilisation alternative des bouteilles et déchets en plastiques en les transformant via une imprimante 3D en matériels didactiques tels les instruments de géométrie. EDUC-EL, pour sa part, est une plateforme de formation en ligne à l’intention des bacheliers haïtiens. Dernier projet, plog.ht, un site Web qui connectera les potentiels investisseurs à des entrepreneurs en Haïti. A côté d’Elan Haïti 2014, le Groupe Echo conduit plusieurs autres initiatives majeures dont une émission de radio hebdomadaire – Woumble Devlopman – où les membres s’efforcent de simplifier le concept de développement et ses corollaires pour les auditeurs, un espace d’échanges sur des sujets clés qu’ils organisent une fois par mois, l’organisation de Elan 2016 et d’autres nouveaux projets pour les deux prochaines années. www.groupecho.org.ht
FOVA AU SECOURS DE L’ENFANCE
En février 2011, en retournant en Haïti pour la première fois après la tragédie, Nadine Francillon fait la rencontre d’enfants traumatisés. Le mot Goudougoudou était sur toutes les lèvres. C’est à ce moment qu’elle a compris aussi la signification de ce néologisme. Les enfants lui racontaient le cauchemar qu’ils ont vécu quand la terre a tremblé, le fait de dormir dans la rue et, dans certains cas, la triste réalité de devenir orphelins. À son départ, elle se posait une seule question: comment aider ces enfants à voir la vie d’une manière différente, à oublier l’espace d’un instant cette catastrophe? FOVA, l’association Fondation Voix Angélique, était déjà en exercice en Haïti depuis quatre ans avec comme objectif de permettre aux enfants démunis d’avoir accès à l’éducation. Suite au séisme, l’implication et les programmes ont augmenté afin d’en faire davantage pour que ces enfants vivent pleinement leur enfance. Les membres de FOVA ont décidé de mettre sur pied des camps d’été. Pendant une à deux semaines, les enfants pratiquent un sport, se détendent, sont initiés à la peinture ou au bricolage. Le bricolage les aide à s’exprimer, ils deviennent créatifs, font travailler leur imagination ce qui leur permet d’extérioriser leur peur. Les bénévoles venus du Canada passent du temps avec eux pour partager sur divers sujets. Lors de ce camp, les enfants font aussi du tourisme local à la découverte de leur terre natale. Ils oublient pour un instant l’image des cadavres et des maisons démolies et se concentrent sur la beauté des sites touristiques du pays. Une enfance pour essayer de guérir les blessures du passé.
www.fova-nternational.org