L’utilisation des médications dangereuses constitue en Haïti un véritable problème de santé publique, en dépit des critères imposés par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) pour réguler leur circulation sur le territoire haïtien. Le MSPP n’ayant pas les moyens de sa politique, la population se retrouve donc seule face à ce danger.
Par Edine Célestin
Une maladie ou une infirmité équivaut à un état de mal-être qui se présente comme un dysfonctionnement d’origine psychologique, physique ou social. Ce dysfonctionnement se manifeste sous différentes formes qui peuvent, selon le cas, faire l’objet d’un traitement médical visant la restauration, la correction ou la modification de l’état. L’utilisation d’un médicament périmé présente un double problème : le sujet malade est privé des soins appropriés que nécessite son état et il peut en même temps souffrir d’une intoxication. Chaque année, la consommation de médicaments périmés provoque des milliers de cas d’intoxications en Haïti. Cette situation résulte de lacunes graves identifiées dans la mise en œuvre par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), en liaison avec les autres secteurs socio-économiques et démographiques, de mesures fiables d’application des politiques de santé publique sur le terrain.
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Les critères élaborés par le MSPP pour l’importation, le stockage et la distribution des médicaments ne sont pas respectés. Le contrôle de la circulation des médicaments sur le marché, qui relève de la Direction de la Pharmacie, du Médicament et de la Médecine traditionnelle (DPM/MT), est pratiquement inexistant. Les points de vente de médicaments pullulent et échappent au contrôle du ministère qui ne sait pas ce qu’ils vendent, où ils achètent, comment ils stockent et, surtout, comment ils gèrent ces médicaments une fois ceux-ci périmés. À cela s’ajoutent les marchands ambulants et les vendeurs dans les transports publics qui semblent le plus souvent s’approvisionner en République dominicaine, un marché que Flaurine Jean Jeune Joseph, responsable de la DPM/MT, avoue clairement ne pas contrôler.
Selon la liste des établissements pharmaceutiques autorisés, publiée par le MSPP, il existe 217 pharmacies, 44 dépôts, 38 agences et 3 laboratoires de fabrication de produits pour tout le territoire haïtien. A Port-au-Prince, les rues St-Honoré et Mgr Guilloux, à elles seules, comptent plus de 200 pharmacies. Certaines jouent impunément le rôle d’agences de distribution. C’est le cas d’une grande pharmacie de la capitale où n’importe quel individu peut se procurer des quantités de médicaments sans autorisation du MSPP, dès qu’il a de quoi payer. Des détaillants se sont d’ailleurs installés aux alentours de cette pharmacie et y vendent leurs médicaments sans être inquiétés.
Des propriétés farfelues

217 pharmacies autorisées
existent en Haïti.
Les marchands ambulants de médicaments ajoutent à la confusion. Les propriétés curatives des médicaments sont arbitrairement redéfinies par des charlatans de plus en plus audacieux. C’est le triste cas de la rifampicine, antibiotique utilisé dans le traitement de la tuberculose, qui est souvent vendu dans les bus de transport en commun comme stimulant sexuel ; les vendeurs n’hésitant pas à lui attribuer à tort des vertus inexistantes.
À l’absence de contrôle des médicaments et de leur prescription s’ajoutent les médicaments contrefaits. Conçus pour paraître identiques au produit authentique, ce ne sont en réalité que de l’amidon de maïs, de pomme de terre ou de la craie. Au mieux, leur utilisation entraîne un échec thérapeutique ou favorise l’apparition d’une résistance à la maladie. Une situation pouvant se révéler mortelle, comme ce fut le cas du sirop contre la toux, contenant du paracétamol préparé à base de diéthylène glycol (un produit chimique toxique utilisé comme antigel), qui avait provoqué 89 décès en Haïti en 1995.
En dépit de la promesse faite en 2007 par le MSPP, suite au décès de deux personnes, de fermer tous les points de vente et pharmacies qui vendent des médicaments contrefaits et la tentative de procéder à la fermeture de 80 points de vente illégaux de médicaments à Port-au-Prince en 2014, ces lieux continuent de fonctionner au vu et au su de tous. Guerda en est une victime. Diabétique, son médecin lui avait prescrit des antibiotiques pour soigner une blessure au pied. Les médicaments n’ont eu aucun effet. Elle n’a compris ce qui se passait que lorsque son fils pharmacien est venu la voir. Malheureusement, il était trop tard, on a dû lui amputer les doigts du pied et, bientôt, la jambe.

Quelles solutions ?
Réguler le marché des médicaments en Haïti ne consiste pas uniquement à fermer les points de vente illégaux ou à faire la chasse aux petits marchands. Des stratégies de lutte contre la corruption doivent aussi être élaborées à travers la coopération intersectorielle entre les institutions de réglementation – MSPP, douanes, police, ministère de la Justice – afin de mieux contrôler le marché. La législation est essentielle pour la réglementation pharmaceutique, mais il faut également des ressources humaines et les moyens suffisants pour veiller à l’application des lois, surveiller la fabrication, l’importation, la distribution et la vente des médicaments. Des campagnes de sensibilisation et d’information sont souhaitables pour empêcher la population d’acheter n’importe quel médicament. La disponibilité des médicaments essentiels et l’accès à ces produits à un prix abordable sont un élément indispensable dans la lutte pour la réglementation du marché des médicaments.
Une mission impossible
La Direction de la Pharmacie, des Médicaments et de la Médecine Traditionnelle (DPM/MT) du MSPP a pour mission la conception, l’élaboration et le suivi de la mise en œuvre de la politique et des programmes dans le domaine de la pharmacie, du médicament et de la promotion de la médecine traditionnelle. À ce titre, elle est chargée de traduire la politique pharmaceutique du Gouvernement en programmes de développement du secteur pharmaceutique, de mettre en place les mesures nécessaires en vue de la définition de la politique nationale en matière de médecine et de pharmacopée traditionnelles. Une autre de ses attributions est de coordonner, avec le Programme des médicaments essentiels, la Direction de la Santé de la famille et la Cellule d’appui à la décentralisation sanitaire, l’approvisionnement suffisant en médicaments essentiels aux besoins sanitaires du pays. L’élaboration et la diffusion de la réglementation et des normes en matière de pharmacie et d’analyses de biologie médicale, la promotion du rôle de la pharmacie au sein du système national de santé et le contrôle de la qualité des médicaments importés sous forme générique ou non à travers le système d’enregistrement, constituent par ailleurs un autre volet de sa mission.
Malheureusement, peu de moyens sont mis à la disposition de la DPM/MT pour assurer effectivement le contrôle de la conformité et de la qualité des services, veiller au contrôle et au respect de la politique des prix et exercer un plaidoyer auprès des autorités nationales pour la mise en place des mesures politiques et financières en vue de faciliter l’accessibilité des médicaments, notamment aux plus démunis, tel que le requiert la loi. La promotion des activités de recherche dans le domaine de la médecine traditionnelle, le suivi et l’évaluation de la consommation nationale en médicaments essentiels sont autant d’attributions que ne peut exercer la DPM/MT dans les conditions actuelles.
Médicaments périmés : qu’en faire ?
Considérés comme des déchets pharmaceutiques, les médicaments périmés ne doivent pas être utilisés. Ils doivent toujours être conservés sous clé en attendant leur destruction officielle. Ces produits indexés peuvent être de nature diverse : des médicaments dont la date d’expiration est dépassée, des sirops ou collyres dont l’emballage a été ouvert (périmés ou non), des médicaments non périmés mais dégradés au cours de l’entreposage, entre autres. Une fois identifiés, ils devront, après un échange de correspondance entre l’agence et le MSPP, faire l’objet d’un traitement dûment codifié. On commence par procéder à un tri pour classer les médicaments en diverses catégories, du médicament toxique à la bombe aérosol en passant par les substances réglementées et les anti-infectieux. Ils seront ensuite détruits suivant leur catégorie, dans le respect des recommandations associées à chaque catégorie. Un procès-verbal de destruction sera par la suite signé par un représentant de la compagnie et le pharmacien inspecteur de la DPM/MT.