
Tourisme et insécurité ne font pas bon ménage. Ils sont même aux antipodes. Haïti, qui renoue timidement avec le tourisme, pourra-t-elle endiguer l’insécurité et échapper à ce que les professionnels appellent « le cancer du tourisme » ?
Le tourisme haïtien a connu de beaux jours. D’abord dans les années 50, où la Perle des Antilles fut la première des Caraïbes à connaître l’intérêt des touristes (plus de 145 000 en 1959), puis de nouveau dans les années 75-86, dans une Haïti post-Papa Doc qui avait su séduire les croisiéristes et même le Club Med. Deux périodes glorieuses pour le tourisme, interrompues par la politique et ses remous. L’insécurité qui rend hasardeux les investissements, qui réduit la circulation des personnes, qui rend toute planification et organisation impossible. Pas de doute, les fluctuations touristiques du pays sont étroitement liées à son instabilité politique chronique, mais aussi au manque de sécurité sanitaire, routière, environnementale…
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Quand l’insécurité met le tourisme en suspend
Trente ans plus tard, Haïti renoue, après beaucoup d’efforts, avec un tourisme timide, et dont la fragile reprise ne tient qu’à un fil. Si l’on promeut le tourisme d’aventure, car il convient à des visiteurs moins regardants sur l’état des routes et le confort hôtelier, l’insécurité ne doit pas pour autant faire pas partie de l’aventure. Une seule mauvaise expérience suffit à noircir la carte d’un pays en entier. A preuve, le Sentier Lumineux au Pérou, la criminalité à Mexico ou la violence des cartels et les prises d’otages des Farc en Colombie ont discrédité l’image de ces destinations touristiques pour de nombreuses années. Entre 2005 et 2006, par exemple, le Mexique a perdu plus de 500 000 touristes. Une mise au ban, malgré les trésors uniques de chacun de ces pays et bien que les problèmes d’insécurité soient localisés, laissant de nombreux sites à visiter sans risque. Pour ajouter aux dommages créés par l’insécurité, leurs conséquences durent bien plus longtemps que les problèmes eux-mêmes. Et toute réhabilitation exige une importante campagne d’image, longue et coûteuse, pour remettre un pays sur la carte du tourisme international. Entre sa révolution politique et les attentats, la Tunisie qui affichait 5 % de croissance annuelle dans le secteur a perdu ces derniers mois, tout comme l’Egypte, 1/3 de sa fréquentation touristique. Même la France, l’une des premières destinations mondiales, accuse le coup après les attentats du 13 novembre à Paris. Après une baisse de 22 % entre novembre et février, les réservations internationales de mars à fin août 2016 sont globalement en baisse, avec -10 % de réservations dans la capitale française par rapport à la même période l’année précédente selon le cabinet spécialisé Forward Keys.

Une manne à saisir
Depuis quatre ans, la croissance du tourisme international est supérieure à celle du commerce mondial de marchandises, avec 7 % des exportations mondiales en 2015. Une bonne partie de cette croissance se fait au profit des Caraïbes, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, (+ 7 % des recettes). A travers ces chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme, on peut lire en filigrane les impacts du terrorisme sur ce secteur. C’est désormais vers d’autres régions ensoleillées que se tournent les Européens qui allaient autrefois vers le bassin méditerranéen et l’Afrique récemment touchés par les attentats.
Haïti est au cœur d’une région qui a le vent en poupe, les Caraïbes, mais elle est malheureusement coutumière de l’insécurité, des manifestations et des troubles de toute nature. Ces dernières semaines, aux récents blocages de la RN1 par des riverains sont venus s’ajouter l’insécurité des infrastructures routières, avec la chute du pont de la route 9, le mauvais entretien des ponts de la Croix-des-Missions, mais aussi de Léogâne au Sud, aggravés par les intempéries. Autant d’obstacles qui ont eu une incidence immédiate sur le tourisme local. Pour les événements phares du mois de mai, comme la fête du Drapeau, la Fête-Dieu ou la fête des Mères, les hôtels de la Côte des Arcadins ont été boudés par les Port-au-Princiens, craignant de rester bloqués en chemin. Quant aux touristes étrangers, ils ont eu, au mieux, à faire l’expérience d’un très long trajet (jusqu’à six heures pour parcourir 75 km), au pire à traverser les barricades dressées par les manifestants pour rejoindre leur hôtel. « Le blocage des routes est une plaie pour tous, quand on pense que quatre départements sont concernés. Concernant le tourisme, il faudrait arriver à un consensus comme en République dominicaine où les tensions sociales existent mais les citoyens sont conscients de l’enjeu que représentent les touristes pour leur économie et les laissent en dehors de leurs revendications », explique un professionnel du tourisme. A l’ère de l’Internet, n’importe quel touriste devient un média et peut reporter une situation. Les commentaires négatifs sont immédiats sur la toile et font le tour du monde. Alertés par l’Association touristique d’Haïti (ATH) et le Conseil régional de la Côte des Arcadins (CRCA) qui regroupe l’ensemble des hôteliers de la zone, les pouvoirs publics ont promis, lors d’une réunion tenue à Montrouis fin mai, d’entreprendre tous les efforts nécessaires pour que les activités économiques en général ainsi que les activités touristiques puissent reprendre leur cours normal. Des centaines d’emplois liées aux hôtels sont en jeu aujourd’hui et les milliers qui pourraient être créés demain par une industrie du tourisme en devenir sont aussi suspendus à la détermination et à la capacité du pays à gérer mieux la sécurité de ses habitants et de ses visiteurs tout autant que l’image qui en découle. Pompiers, police, urgences médicales, sécurité routière, sécurité environnementale, il y a des progrès à réaliser pour qu’Haïti ne soit pas toujours sur une liste rouge.
Stéphanie Renauld Armand
