Les vacances Gonâviennes d’autrefois

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Timothé Jackson / Challenges

Journaliste et socio-démographe, Idson Saint-Fleur est né à la Gonâve en avril 1977. Il travaille depuis 2009 à Scoop FM. Il a publié deux livres : Diaspora et développement urbain en Haïti et La Gonâve, capitale d’Haïti.

Ala Gonâve, dans le temps, à l’approche de la fin de l’année scolaire, des familles de souches rurales installées en ville envoyaient leurs enfants passer l’été en province. C’était une tradition. Ces enfants, qu’ils venaient de l’Anse-à-Galets ou de Port-au-Prince, allaient retrouver dans les sections communales leurs grands-parents ou d’autres membres de la famille élargie.

En ce temps-là, il suffisait d’un peu d’argent pour passer deux ou trois mois dans ce milieu paysan. La famille d’accueil pouvait, avec une certaine facilité, nourrir ses hôtes durant toute cette période. Les jeunes, par bandes, partaient sous les bois. Ils se délectaient de toutes sortes de fruits : cachiman, quenêpe, mango, caïmite, papaye, melon… Ils se régalaient du lait de vache ou de chèvre. Les plus audacieux « faisaient le veau ». Ils se mettaient sous la vache pour avaler, à pleine gorgée, ce liquide nourricier et frais. On imaginait que le lait, non recueilli dans un récipient, conservait une méga vitamine – lapòy – qui rendait forts et costauds les consommateurs.

Les jeunes vacanciers partaient à la source pour se rafraîchir. Sur les terrains dégarnis après la récolte des jardins de la première saison, ils tendaient des pièges aux ortolans, aux tourterelles, aux ramiers… Chaque prise est rapidement préparée et boucanée. Quelques gouttes de citron sont jetées sur la viande fine et noircie et chacun y goûte à son envie. La prochaine capture fait déjà rêver. Un championnat de football, le plus souvent, animait les localités les plus proches. On est dans le masculin, jusqu’à présent.

Du côté féminin, les filles se mettaient aux osselets, jouaient au « pinche », au « rari » ou aux « cailles ». Elles apprenaient certaines recettes du milieu paysan, des recettes de grand-mère. Parfois, elles étaient tourmentées par de jeunes garçons qui fourbissaient leurs armes dans de futiles conquêtes amoureuses.

Les récits merveilleux du soir, introduits par « se vwasi, se vwala », faisaient voyager les auditeurs en compagnie de légendaires personnages. Les devinettes lancées par le « timtim bwa sèch » travaillaient les esprits. Les jeux de cache-cache comme celui qui mettait en scène, le plus souvent, Rachel et Jacob, les « woulip ti mandja », égayaient les nuits calmes de ces communautés paysannes.

« DANS LE TEMPS, ON REVENAIT DE LA CAMPAGNE GONÂVIENNE CHARGÉ DE PROVISIONS OU DE VIVRES ALIMENTAIRES DE TOUTES SORTES »

 

Tout ceci a grandement changé dans le monde rural gonâvien. La dégradation de l’environnement et la pauvreté croissante affectent profondément la vie des habitants. Les fruits deviennent rares et rachitiques ; les oiseaux sont entendus de très loin ; beaucoup de sources ont tari, celles qui résistent au déboisement et à l’ensablement ne donnent que des filets d’eau ; les beaux jardins appartiennent au passé faute de pluie. Les « lakou » se sont éteints avec la mort des patriarches ou des matriarches. Les oncles et les tantes sont à Port-au-Prince, à Miami ou dans les Antilles françaises.

Dans le temps, on revenait de la campagne gonâvienne chargé de provisions ou de vivres alimentaires de toutes sortes. Les plus chanceux partaient avec un coq gras ou avec de la viande de cabri séchée. Mais, de nos jours, la campagne gonâvienne donne très peu.

Les belles vacances gonâviennes s’en sont allées depuis des lustres. Malgré tout, pour nous autres natifs de la Gonâve, la tentation de sillonner les villages demeure grande. Faisons comme si ces bouleversants changements socio-économiques n’avaient pas altéré notre envie de voir ce paysage.