À l’instar de plusieurs denrées alimentaires, de nombreux médicaments sont écoulés sur le marché haïtien sans le moindre contrôle, aux risques des patients qui les absorbent puisqu’il s’agit la plupart du temps de produits contrefaits. Cette pratique gagne de plus en plus de terrain et devient un grave problème de santé publique.
Pas moins de 676 personnes travaillent dans le secteur pharmaceutique local, selon une étude réalisée en Avril 2013 par l’Association des Pharmaciens d’Haïti sous le patronat du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). Parmi eux, seulement 29 % (soit 196), sont munis d’un diplôme de pharmacien. Le reste se compose d’aides pharmaciens ou de techniciens préparateurs en pharmacie. En clair, « Haïti est encore loin de la norme minimale de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 25 professionnels pour 10 000 habitants ». Il est à remarquer, selon cette même étude, que 78,1 % des pharmaciens sont localisés au niveau du département de l’Ouest, 9,48 % au Nord, 7,29 % au département de l’Artibonite, 2,9 % au Nord-Ouest, 2,18% dans la Grande-Anse.
En revanche, les pharmacies poussent comme des herbes sauvages dans les dix départements du pays. À travers le pays, en particulier dans la capitale, des guérisseurs et pharmaciens autoproclamés offrent et prescrivent de nombreux médicaments. C’est le cas de Nono, un marchand de pilules repéré à Portail-Léogane, en face du sous commissariat. « Dis-moi de quoi tu souffres, je te dirai quel médicament prendre ». Voilà en quoi se résume sa philosophie. Il prétend avoir les connaissances nécessaires pour expliquer à quelqu’un qu’est-ce qu’il faut faire s’il souffre de telle ou telle maladie. Devant lui, une montagne de produits pharmaceutiques comme une tour de Babel. Il dit être satisfait de son commerce car pour lui « la vente de médicaments est un business très lucratif ».

« L’un des maillons essentiels de la santé est le médicament », rappelle le docteur Debussy Damier qui se réfère à un ouvrage intitulé « facteurs déterminants de la consommation des médicaments de la rue, en milieu urbain » de Angbo Effi. « Il est fort difficile de parler de traitement ou de soins médicaux sans se référer aux produits pharmaceutiques qui sont nécessaires à l’ensemble des activités thérapeutiques », ajoute le médecin.
Un bienfaiteur à double facette.
Malgré leurs innombrables bienfaits, les médicaments peuvent également apporter beaucoup d’inconvénients quand leurs utilisations ne sont pas adéquates. Dans son rôle de guérisseur, le médicament peut améliorer la qualité de vie de l’être humain, soulager le patient, prévenir ou guérir une maladie. Mais il peut aussi être un poison mortel, car dans sa définition même venant du grec pharmakôn, le mot « pharmacie » signifie à la fois remède et poison. Ainsi, un produit pharmaceutique non contrôlé peut être le poison du patient.
Des pharmacies illégales dans un marché sans surveillance.
215 pharmacies dont 194 privées et 11 pharmacies d’hôpitaux seulement sont reconnues par le MSSP pour l’exercice fiscal 2015-2016. Il faut souligner aussi que 162 d’entre elles se trouvent dans le département de l’Ouest. L’association des pharmaciens haïtiens a attiré l’attention des autorités et des acteurs du secteur pharmaceutique en général sur la vente des médicaments contrefaits en provenance de la République Dominicaine. Pour le pharmacien Frederic Denex « ce phénomène peut avoir de graves conséquences sur la vie des consommateurs. Cela peut déboucher sur des épidémies graves ». Depuis l’affaire du laboratoire « Pharval » propriété de Rudolph Henry Boulos et « d’éthylène Glycol-DEG » (substance chimique utilisée comme antigel, dont l’intoxication provoque une insuffisance rénale) en 1996, ayant causé la mort d’une centaine d’enfants, le besoin d’assurer la qualité des produits pharmaceutiques est devenu beaucoup plus pressant.
Des risques inestimables
« La vente non-règlementée des médicaments dans les pharmacies illégales paraît beaucoup plus préoccupante qu’on ne le croit », estime Vialie Jean Dana, une diplômée de l’Université d’État d’Haïti (UEH) qui a soutenu son mémoire de licence sur « le contrôle juridique de la circulation des produits pharmaceutiques en Haïti de 1996 à 2016 ». La jeune licenciée explique qu’« il y a des normes de conservation qui sont indispensables à certains médicaments, outre passer ces normes c’est transformer le médicament en poison. Certains médicaments ne peuvent être exposés à la chaleur ou encore à l’humidité et d’autres doivent être réfrigérés ». Elle profite pour rappeler à tous qu’« une fausse lecture d’un charlatan qui ne connaît pas la terminologie médicale d’une prescription suffit à un patient pour s’acheter la mort ».
Il est du devoir de l’État de prendre en urgence les mesures nécessaires et de mettre en application les lois pour éviter les éventuelles catastrophes médicales pouvant coûter la vie à des centaines d’Haïtiens car, « quoique désuet, l’article 6 de la loi du 10 août 1955, interdit à toute personne non qualifiée (ne disposant pas de diplôme de pharmacien) de vendre des médicaments ».
Marc-Evens Lebrun