Les portes de l’El Dorado se referment progressivement

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Istock/ Getty Images
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Rien ne dure indéfiniment sur cette terre. Le Chili qui avait ouvert grandement ses portes aux Haïtiens en quête de mieux-être affiche désormais une tout autre politique migratoire depuis le retour au pouvoir de Sebastian Piñera, un millionnaire de droite. De nombreux compatriotes pour qui l’entrée dans les autres pays de la région reste une entreprise difficile perdent tout espoir de lendemains meilleurs.   

Une des mesures annoncées, à cet effet, par les nouvelles autorités, est l’obligation faite aux citoyens haïtiens souhaitant se rendre au Chili à des fins touristiques, sans but d’immigration, de résidence ou de développement d’activités rémunérées, d’obtenir au préalable un visa de tourisme. C’est, en tout cas, ce que l’on peut lire sur le site officiel du ministère chilien des Affaires étrangères, après avoir cliqué sur « Haïti » dans le menu déroulant proposé.

Jusque-là, pour tenter l’aventure chilienne, les Haïtiens n’avaient simplement besoin que d’une pièce d’identité valide, entre 1 200 et 1 400 dollars pour le billet d’avion, et 1 000 dollars pour effectuer les dépenses nécessaires une fois arrivés au Chili. Quant aux familles en attente de regroupement, le gouvernement chilien envisage d’établir un visa humanitaire pour 12 mois, renouvelable une seule fois. La possibilité de demander, par la suite, la résidence permanente est également évoquée. La responsable de communication et de plaidoyer du Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), Géralda Saint-Vil, constate que ce changement dans la politique migratoire chilienne est consécutif au départ du pouvoir de la présidente socialiste Michelle Bachelet (2014-2018) et du retour aux commandes de Sebastian Piñera qui avait déjà dirigé le pays de 2010 à 2014.« Ce n’est pas la même ouverture qu’avant », souligne Madame Saint-Vil, tout en reconnaissant le droit du nouveau président chilien de chercher à contrôler les flux migratoires sur son territoire. Depuis l’annonce par les autorités migratoires chiliennes d’exiger un visa d’entrée aux Haïtiens qui souhaitent visiter le Chili (même si dans la majorité des cas l’objectif est d’y rester pour travailler), les longues files de jeunes hommes et femmes à l’aérogare Guy Malary ont diminué considérablement.   

Chili, une terre d’accueil et d’opportunités
Comparativement aux pays de la Caraïbe et d’Amérique du Sud, le Chili reste le plus accueillant pour les Haïtiens. En effet, plus de 140 000 Haïtiens s’y trouvent actuellement et arrivent tant bien que mal à y vivre convenablement. Nombre d’entre eux profitent même de certaines lois sociales réputées « généreuses ». « Le Chili est le pays le plus accueillant en raison de ses lois généreuses », estime Azad Belfort, l’ancien directeur général du ministère haïtien des Affaires étrangères et actuellement un des responsables de la compagnie A&B Consultants. Il en veut pour preuves le fait notamment que « les enfants haïtiens fraîchement immigrés au Chili bénéficient automatiquement du droit d’aller à l’école et du droit d’accès à des soins de santé ». « Les bébés sont automatiquement envoyés dans des crèches d’État qui s’assurent de leur bien-être », poursuit-il. Monsieur Belfort souligne également que, bien qu’étant un État néolibéral, le Chili reste, à l’instar du Canada, un pays très progressiste sur le plan des lois sociales. 

À titre de rappel
C’est à partir de 2016 que le Chili a commencé à ravir au Brésil sa position de deuxième destination de la migration haïtienne dans la région après la République dominicaine. Un détrônement dû, selon la porte-parole du GARR, à la crise socio-économique qui touche la sixième puissance économique mondiale. Elle insiste, en particulier, sur la fin de la période lors de laquelle la fièvre du mondial 2014 de football avait amené un important besoin en main-d’œuvre pour la construction des enceintes sportives devant accueillir la compétition. C’est à ce besoin précis que  la migration haïtienne avait alors permis de répondre. Les choses ayant peu à peu changé, les migrants haïtiens lorgnent désormais les États-Unis ou le Chili, comme l’explique Madame Saint-Vil. Le phénomène de la migration de réseaux aidant, les voici transformés peu à peu en terre d’accueil, ajoute-t-elle. Ainsi, un parent ou un ami qui a trouvé du travail passe le tuyau à un autre qui se dépêche de profiter de l’opportunité ainsi dénichée, avant, bien sûr, de faire de même pour un tiers. Entre-temps, les transferts de fonds de la diaspora haïtienne au Chili vers Haïti se font de plus en plus importants. Pour le seul mois de juillet 2017, ils ont totalisé 8,7 millions de dollars américains, selon des chiffres rendus publics par la Banque de la République d’Haïti (BRH), soit le deuxième plus gros montant après les États-Unis (115 millions). Au mois de juin, ils figuraient en troisième position, après les États-Unis et la France.

Rodrigue Lalanne