Les mesures de relance du Président Jovenel Moïse

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DANIEL KEDAR
DANIEL KEDAR

La population haïtienne est dans l’attente de mesures concrètes qui puissent immédiatement relancer l’économie nationale, créer des emplois et redonner de l’espoir à un pays qui n’en finit pas de sombrer.  Malheureusement rien de précis n’apparaît dans la feuille de route présentée par le premier ministre ratifié et l’on est en droit de se demander si le nouveau gouvernement sera en mesure de tenir les promesses de campagne du Chef de l’État.
Par Cossy Roosevelt

Le cadre général  En effet, « Les mesures proposées par le président Jovenel Moïse pour le développement d’Haïti (2017-2022) » constituent plus des déclarations d’intention et des grandes orientations générales qu’un plan de travail fonctionnel basé sur des actions bien définies, dotées d’un budget approprié et d’un calendrier réaliste.  Tous les chantiers proposés  (politique, économique et social) et les chapitres relatifs à «l’environnement, aménagement du territoire et habitat», «infrastructures routières, transport, énergie et exploitation minière», et «culture, patrimoine et communication » sont développés de manière à théoriquement stimuler la création de nouvelles richesses dans le pays.

 

« Sous l’impulsion du président de la République, la marche du pays vers une économie émergente, un état de droit, une société solidaire et inclusive avec une administration publique rénovée sera accélérée », peut-on lire  dans ledit document à travers lequel le nouveau pouvoir prend l’engagement de corriger les erreurs du passé et promet de faire preuve d’imagination et de créativité afin de mettre ensemble « la terre, l’eau, le soleil, les femmes et les hommes » pour améliorer le bien-être collectif.

D’entrée de jeu, le nouveau premier ministre aura à déployer des efforts en vue d’assainir les finances publiques et de réduire le train de vie de l’État, afin d’assurer une croissance économique soutenue et durable. Ce qui impliquera « des efforts de rationalisation et des réformes courageuses pour lutter contre le gaspillage et orienter les ressources essentiellement vers les programmes d’amélioration des conditions de vie des citoyens », selon le vœu du Chef de l’État.

En allant plus loin dans le même sens, il est prévu une restructuration profonde du cadre institutionnel, la refonte des procédures de préparation, de financement et d’exécution du budget, la rationalisation des choix budgétaires et la discrimination positive en faveur des entreprises et les produits locaux dans l’organisation des marchés et des commandes publics. Pour protéger la production nationale et créer le climat favorable aux investissements, d’autres dispositions s’avèrent aussi indispensables, comme  la modernisation du droit des affaires, la facilitation de l’accès au crédit et la réduction des taux d’intérêt. Il faudra également renforcer la surveillance des frontières terrestres, maritimes et aériennes, ainsi que la répression du trafic de la drogue, du blanchiment d’argent et de la contrebande. Dans un autre domaine, l’on s’oriente également vers la finalisation de la mise en place d’une force de défense nationale et la création de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur. Il est clair que toutes ces réformes ne pourront être menées à terme simultanément et que le nouveau gouvernement devra clairement choisir et se concentrer sur ses priorités, en privilégiant la relance économique et la création d’emplois.

 Redynamiser l’agriculture 

« La création de richesses sera au cœur de toutes nos interventions », a promis Jovenel Moïse pendant toute la durée de sa campagne électorale (2015- 2016). À plus forte raison, pendant son mandat, il fera de l’agriculture un « secteur d’investissement prioritaire » en déployant des efforts pour permettre aux cultivateurs d’avoir accès au crédit, en favorisant l’agrobusiness et la création d’entreprises agricoles dans toutes les régions d’Haïti. Dans la même optique, il est envisagé la mise en place d’une banque nationale de développement agricole (BNDA) et d’un système d’assurance pour le secteur agricole. On prévoit aussi la modernisation des services publics de santé animale, le renforcement du programme de traçabilité de filière animale et le développement du secteur pisciculture. Malheureusement, rien n’est dit sur les moyens qui seront déployés tout de suite pour stimuler la production agricole, particulièrement en ce qui concerne la réhabilitation des  systèmes d’irrigation et l’encadrement des petits agriculteurs sur le terrain. En mettant en culture toutes les terres cultivables et en modernisant les techniques de production, on peut créer l’équivalent de 200000 emplois nouveaux dans l’agriculture.

LE TRANSPORT en commun et les infrastructures représentent un vrai problème.
LE TRANSPORT en commun et les infrastructures représentent un vrai problème.


Relancer l’industrie nationale 

D’après la vision du nouveau gouvernement, le gros des efforts se portera sur la création d’une grande zone franche commerciale et de microparcs industriels en fonction des potentiels économiques des départements, la finalisation de la politique industrielle, la modification du Code du travail pour permettre aux entreprises de fonctionner 24h/24. Et en appui aux jeunes universitaires diplômés disposant d’un projet d’affaires viable sera lancé le programme « PROMETHE ». On se demande pourquoi promouvoir des microparcs et non pas des zones franches industrielles et commerciales, ouvertes aux petites et grandes entreprises, nationales et étrangères, à l’instar de la SONAPI ou du modèle de Lafito Global. Il faut également inventorier, en collaboration avec les institutions représentatives du secteur privé, les branches les plus compétitives de l’industrie nationale et leur apporter tout le soutien nécessaire à une croissance rapide sur le marché local et international.

Renforcer le système judiciaire

Pendant le quinquennat de Jovenel Moïse, le système judiciaire devrait être renforcé. Présentement, il ne sert pas grand-chose à l’épanouissement social, économique et politique du pays. La justice, reconnaît-on, constitue l’une des plus grandes priorités qui mobilisera d’importantes énergies par rapport aux nombreuses mesures à adopter pour améliorer son fonctionnement. Entre autres : la mise en place de la Cour constitutionnelle ; l’informatisation et approvisionnement des cours et tribunaux en matériels et outils administratifs ; la réforme pénitentiaire et réduction de la détention préventive prolongée ; la réforme de l’état civil par la mise en place d’un mécanisme unique d’identification des citoyens.

Repenser la politique étrangère

« La nouvelle administration portera une attention spéciale aux appréhensions des compatriotes de l’extérieur qui souhaitent légitimement intégrer la vie politique et économique du pays », c’est la garantie donnée par le président Jovenel Moïse à travers le document de politique qu’a soumis le Dr Jack Guy Lafontant aux deux chambres du Parlement haïtien en mars dernier. Pour ce qui est du dossier haïtiano-dominicain en particulier, il est annoncé l’élaboration prochaine « de stratégies innovantes pour défendre de manière intelligente et ferme les concitoyens tout en renforçant les liens d’amitié et de coopération entre les deux pays ».  Il faut espérer que la diplomatie haïtienne saura également faire preuve de créativité et de pragmatisme pour tisser des liens privilégiés et productifs avec la nouvelle administration américaine et les gouvernements qui résulteront des prochaines élections en France et en Allemagne.

Les voies et moyens 

Le projet proposé par le chef de l’État, dont les grandes lignes sont précisées dans le document intitulé « Les mesures proposées par le président Jovenel Moïse pour le développement d’Haïti (2017-2022)», paraît très ambitieux dans la mesure où le pays accuse une économie anémiée après avoir souffert d’une série de crises politiques et de deux catastrophes naturelles majeures (le séisme de janvier 2010 et l’ouragan Matthew d’octobre 2016). La production nationale étant à son plus bas niveau, la dégringolade de la gourde se poursuit, expliquant la détérioration continue des conditions de vie de la population. La nouvelle équipe mise d’abord sur les moyens locaux pour atteindre les objectifs fixés. De ce fait, annonce-t-on, « il sera procédé à la mise en œuvre de la réforme des administrations fiscales et de la politique fiscale entamée depuis 2012 ». De même, il sera nécessaire de rationaliser le budget de la République afin d’avoir une meilleure maîtrise du déficit public. Il est prévu aussi la mise en place « de mécanismes efficaces devant faciliter une meilleure coordination de l’aide au développement et un meilleur contrôle des ONG en Haïti ».  En réalité quatre conditions essentielles doivent être obligatoirement réunies pour entraîner une reprise de la croissance économique :

  1. Le nouveau gouvernement doit avoir le courage politique de réduire les dépenses improductives, telles que les salaires et autres frais des milliers de fonctionnaires absentéistes et incompétents qui reçoivent un chèque de l’État sans rien produire en retour. On pourra ainsi libérer des fonds qui seront affectés à des projets de développement.
  2. Il faudra augmenter sérieusement le taux de réalisations des projets du secteur public financés par l’aide internationale, qui se situe actuellement en dessous de 50%. Ce qui veut dire que des fonds importants et disponibles, en provenance des partenaires internationaux, ne sont pas dépensés actuellement à des fins d’investissement par suite de la lenteur des procédures administratives et de la passivité des responsables nationaux. Ces sommes devraient être mobilisées dans les plus brefs délais.
  3. Sur la base de ce qui précède, négocier un apport complémentaire des bailleurs de fonds au titre d’un «Crédit de Relance Exceptionnel», et obtenir un réaménagement plus favorable du service de la dette envers l’État Vénézuélien.
  4. Si l’on veut atteindre un taux de croissance de 5% par an dans le pays, il faut investir au total $3 milliards chaque année, soit $1,5 d’investissements publics et $1,5 de financements des banques privées en vue de relancer la production nationale. Ces dernières devraient bénéficier de conditions privilégiées et incitatives lorsqu’elles financent les investissements productifs et non le commerce d’importation. 

Avoir la volonté d’exécuter un plan de développement est une chose, trouver les moyens de sa politique en est une autre. L’avenir dira le reste.