Législation: Les aspects juridiques du mariage en Haïti

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Placide Lucton/ Challenges
Placide Lucton/ Challenges


Depuis 1929, l’Officier de l’État et le Ministre des Cultes partagent la célébration du mariage en Haïti qui prend forme de cérémonie publique. Cet acte soumet les époux à des devoirs dont la violation peut entraîner entre autres conséquences le divorce. Le Code Civil haïtien calqué sur le Code Napoléon traite largement la question bien que sa vétusté pose problème.
Par Guamacice Delice

Le mariage passe pour être l’un des plus hauts fondements de la famille partout dans le monde. Il est devenu tellement important que des personnes de même sexe revendiquent ce droit, contraignant ainsi certains États à répondre favorablement. En Haïti, le mariage est d’autant plus important que certains ministres religieux refusent le baptême à des enfants dont les parents vivent dans le concubinage alors que cette catégorie de couples est la plus représentative dans notre société. Si le thème concubinage désigne « la situation juridique d’un couple de fait formé de deux personnes adultes qui vivent ensemble de façon durable et notoire sans avoir célébré leur union de façon officielle », le mariage, selon le dictionnaire Larousse, se définit comme étant un « acte solennel par lequel un homme et une femme (ou, dans certains pays, deux personnes de même sexe) établissent entre eux une union dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par le Code civil (mariage civil) ou par les lois religieuses (mariage religieux) ; union ainsi établie ».

Le Code civil haïtien souscrit au fait que le mariage soit l’union d’un homme et d’une femme, revêtant un caractère civil et un caractère religieux. Il le présente comme « un contrat civil, strictement réglementé par la loi, relatif à la personne des époux, visant leur vie en commun avec obligation mutuelle de fidélité, secours et assistance, sous la direction du mari, chef de ménage ».

La complexité du mariage
L’homme qui voudrait contracter mariage en Haïti doit être âgé de 18 ans accomplis et la femme de 15 ans révolus, à moins que le président de la République n’intervienne en faveur d’une « dispense d’âges pour des motifs graves à ceux qui en font la demande ». La loi insiste sur la nécessité du « consentement libre et éclairé » entre les deux personnes qui s’engagent. Ceci, même dans le cas où un jeune homme a mis enceinte une jeune femme dont les parents s’entendraient pour les marier. Si les futurs époux se présentent en personne, comme l’exige la loi, par-devant l’officier de l’état civil, ils veulent un mariage civil ; si au contraire ils vont voir le Ministre des Cultes, ils optent pour un mariage religieux. Néanmoins, le législateur fait intervenir l’Officier de l’état civil dans le mariage religieux dans la mesure où il aura à inscrire l’acte de mariage dans les registres de l’État.

En outre, dans les deux cas, les documents exigés sont les mêmes : copie et original de l’acte de naissance des deux époux, leurs cartes d’identité valide, preuve de résidence de l’un des deux dans la ville, certificat prénuptial délivré par l’Institut du Bien-être Social et de Recherches, et frais de services à payer pour l’obtention de l’acte du mariage. Quatre (4) témoins sont requis dans le cas du mariage célébré par l’Officier d’état civil, et ce dernier, après avoir rappelé aux futurs époux leurs obligations et prononcé leur union par le mariage, dresse l’acte qui contient : les prénoms, noms, professions et domiciles des futurs époux ; la mention qu’ils sont majeurs ou mineurs; les prénoms, noms, professions et domiciles des pères et mères ; les prénoms, noms, professions et domiciles des témoins, et leur déclaration s’ils sont parents ou alliés des partis, de quel côté et à quel degré….

LES DEMANDES de divorce sensiblement en hausse ces dernières années, TATIANA MORA LIAUTAUD / CHALLENGES

Dans le cas du mariage religieux, les mêmes procédés sont utilisés pour rédiger l’acte, sauf qu’une copie intégrale de celui-ci « dûment signée par le Ministre des Cultes sera par lui transmise dans le délai d’un mois à l’Officier de l’état civil du lieu de la célébration du mariage, en même temps que les actes de consentement (des parents ou tuteurs ou aïeuls) et toutes autres pièces relatives au mariage aux fins de les transcrire dans les registres destinés à cet effet à la date de la réception et en délivrera l’expédition ». D’où la complémentarité de la fonction des deux personnalités dans ce genre de situation.

Les mariages interdits
Il existe dans la législation haïtienne des situations dans lesquelles le mariage est interdit. L’existence d’un mariage antérieur non dissous en est une, celle d’un lien de parenté ou d’alliance entre les futurs conjoints en est une autre. La troisième situation concerne le délai de viduité (un an) de la femme dont le mari serait mort ou divorcé d’elle. Il est important d’insister sur la prohibition du mariage « entre l’adoptant, l’adopté et ses descendants ; entre l’adopté et le conjoint de l’adoptant et réciproquement entre l’adoptant et le conjoint de l’adopté ; entre les enfants adoptés du même individu ; et entre l’adopté et les enfants qui pourraient survenir à l’adoptant ». Le mariage peut-être frappé de nullité pour diverses raisons. La loi haïtienne évoque la nullité relative face au mariage célébré avec « les vices de consentement de l’un des futurs époux » et « le défaut de consentement des parents ».

Elle parle de nullité relative dans le cas où il y aurait défaut de consentement, bigamie, inceste, impuberté, clandestinité et incompétence de l’Officier de l’état civil et du Ministre des Cultes. Et la nullité a pour effets normaux de « replacer les ex-conjoints et leur patrimoine dans la situation où ils se trouvaient avant le mariage, sauf le cas particulier où l’un des conjoints s’était trompé de bonne foi ». Aussi, les enfants perdent-ils leur légitimité pour devenir selon les cas naturels simples, adultérins ou incestueux. L’annulation du mariage entraîne également la nullité des conventions matrimoniales passées entre les époux, les donations faites à ces derniers ou qu’ils se sont faites à l’occasion du mariage, …

En Haïti, le mariage entre deux personnes de même sexe, ou s’il y a défaut de célébration ou même absence de formalités solennelles, est tout simplement considéré comme inexistant.

Les droits et devoirs des époux
Le mariage soumet les conjoints à des effets juridiques qui embrassent leurs rapports entre eux, leurs rapports avec les enfants issus du mariage et leurs rapports avec les membres de la famille. Par exemple, le devoir de cohabitation oblige la femme à habiter avec son mari, tout comme le mari se doit de la recevoir. Seule une décision de justice peut dispenser les deux parties de ce devoir. D’ailleurs, la loi permet au mari de faire ramener la femme de force si elle avait abandonné le toit conjugal, tout comme la femme peut faire ouvrir de force la porte de la maison commune dans le cas où son mari refuserait de la lui ouvrir. En outre, écrit François Latortue, «le mari peut, quand la femme ne veut point regagner le toit marital, lui refuser tout subside, et même faire saisir ou séquestrer ses revenus, en vertu de son autorité maritale. Lorsque c’est le mari qui ne veut pas recevoir sa femme au foyer, enchaine-t-il, il pourra être condamné à lui servir une pension alimentaire, selon son état et ses moyens ». N’empêche que cette situation peut conduire à la séparation de corps, voire au divorce.

L’adultère sévèrement sanctionné
Il y a aussi le devoir de fidélité qui est imposé aux deux époux, dont le manquement est l’adultère, lequel est sanctionné par le Code pénal. Le coupable ne peut être poursuivi que sur la plainte de son conjoint. La sanction civile est le divorce ou la séparation de corps. Si l’adultère de la femme conduit au divorce quel que soit l’endroit où elle l’a commis, l’acte d’infidélité dont l’homme est l’auteur n’a pour conséquence le divorce que s’il l’a commis dans la maison commune . Sur le plan pénal, si la femme est coupable d’adultère, elle encourt entre trois mois et deux ans d’emprisonnement. Si le coupable est l’homme, il n’aura qu’à payer une amende de 200 à 400 gourdes.

Quant au complice de la femme coupable d’adultère, il peut être emprisonné durant trois mois au moins et trois ans au plus alors que la complice de l’adultère du mari n’est passible d’aucune peine. Si le mariage peut être annulé, il peut aussi être dissout. En effet, les causes de la dissolution sont : « la mort de l’un des époux, le divorce légalement prononcé ; et la condamnation devenue définitive de l’un des époux à une peine perpétuelle, à la fois afflictive et infamante ». Contrairement aux effets de l’annulation qui « rétroagissent au jour de la célébration du mariage », ceux de la dissolution commencent à partir du jour où le divorce a été prononcé « ou du jour où s’est (produit) l’évènement qui l’entraîne ». Outre l’adultère et la condamnation à une peine afflictive et infamante, le divorce découle du «consentement mutuel et persévérant des époux ». Mais, d’autres causes dites facultatives, comme les excès et sévices et les injures sont entre autres causes de la dissolution du mariage. L’action en divorce commence par une requête adressée au Doyen du Tribunal de Première Instance « par le conjoint demandeur en personne ».

Elle passe par une ordonnance de comparution autour des biens communs mobiliers et immobiliers. Au jour de comparution, le doyen œuvre en faveur du rapprochement des deux époux. S’il échoue dans cette tentative de conciliation, il « dressera le procès-verbal de comparution et de ses représentations infructueuses, et ordonnera la communication de la demande et des pièces au Ministère Public et le référé du tout au tribunal », conformément à l’article 227 du Code Civil. L’action en divorce aboutit au tribunal pour le jugement dans les formes ordinaires.