À l’instar des autres régions d’Haïti, le Grand Sud présente un potentiel économique énorme qui tend de l’agriculture au tourisme en passant par l’élevage et les infrastructures de base. Quel que soit le domaine, il y a de la place pour de nouveaux investissements. Toutefois, les acteurs du secteur privé régional se plaignent du laxisme de l’État.
Par Guamacice Delice
L’Économie du Grand Sud a toujours été fondée sur l’agriculture. Malheureusement, la plupart des usines d’exploitation a, soit déménagé, soit fermé ses portes pour diverses raisons. Malgré tout, l’agriculture demeure la première activité de la population de cette région. Le café (Beaumont), le cacao (Vallée de la Grand-Anse), les tubercules et les fruits occupent le plus grand espace dans les étalages et les tréteaux à l’intérieur des marchés publics. Sur la table des ménages, les produits vivriers et le fruit de l’Arbre Véritable représentent ce que le riz et les condiments importés sont dans les foyers de la capitale. L’agriculture du Grand Sud permet aux habitants de la région de couvrir, dans la mesure du possible, les études de leurs enfants, qui en majorité n’atteignent pas le niveau universitaire, faute de moyens économiques. 3c77ae L’élevage et la pêche, ne faisant partie d’aucune organisation, sont pourtant d’un grand support. Actuellement, la production agricole du Grand Sud ne supporte que partiellement les besoins quotidiens de ses habitants, alors que les conditions climatiques offrent la possibilité de faire davantage. La région est relativement boisée et il pleut assez souvent au point de provoquer des cas d’inondation, affectant les plantations. Sans encadrement, les cultivateurs sont livrés à eux-mêmes et n’ont d’autres choix que de se tourner vers des organismes qui, bien souvent, n’agissent pas dans l’intérêt des communautés. À Beaumont, des paysans enlèvent les cacaoyers du sol au profit d’un type d’igname et sur commande d’une ONG qui peut à tout moment plier bagages.

Pour une nouvelle politique agricole
Nombreux sont ceux qui croient que l’agriculture en Haïti doit s’inscrire dans le cadre d’une politique publique. L’agronome Jean Chesnel Jean, spécialisé dans le cacao, dénonce un « problème de gouvernance », déplorant que le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural n’ait aucun contrôle sur le secteur et laisse malheureusement libre champ à des ONG étrangères. Les autorités agricoles ignorent tout du potentiel de la région, s’insurge-t-il. Le Grand-Anselais, adopté par le Sud, prétend que la productivité agricole des 750 000 ha cultivables en Haïti peut être multipliée par 4 si les techniques sont améliorées. Il faut tout simplement une prise en charge comme, par exemple, la mise en place d’un cadre légal qui définirait les entreprises agricoles ainsi qu’une bonne formation adaptée aux producteurs, recommande-t-il. D’ailleurs, il n’est pas le seul de cet avis. Mousson Pierre Finnigan, responsable de l‘ORE, Organisation pour Réhabilitation de l’Environnement, qui œuvre dans la région de Campérin depuis 1985, confirme que la capacité agricole du département du Sud n’est pas exploitée. Selon elle, la région pourrait produire à elle seule l’équivalent du maïs que le pays importe. D’après Madame Mousson Finnigan, la culture du vétiver devrait être encouragée, de même que la filière des fruits. Par ailleurs, Jean Chesnel Jean prend le contre-pied de ceux qui préconisent une production agricole à grande échelle. D’une part, les machines agricoles ne peuvent être utilisées dans les montagnes haïtiennes. D’autre part, le morcellement qui caractérise le foncier haïtien ne permet pas l’application d’une telle politique. Au contraire, argumente-t-il, l’État doit intervenir pour arrêter le cycle de morcellement en rassurant les héritiers. Après avoir réglementé l’agriculture sur le terrain, il faudra résoudre le problème de référencement des produits afin qu’ils puissent se frayer leur chemin à travers le marché international, espère-t-il.

L’État doit assumer ses responsabilités
Le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Sud a les mêmes préoccupations. L’État se désengage dans tous les domaines de l’activité économique, regrette René Gérard Paul Gattereau, qui digère toujours mal la fermeture de plusieurs usines d’exploitations agricoles au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Il se souvient de la beurrerie du Sud et ses produits à base de lait, la centrale sucrière qui alimentait le marché haïtien, des guildives dont il ne reste presque rien. M. Gattereau est d’avis qu’une politique agricole publique s’impose pour que la production cesse d’être une activité de subsistance. Selon lui, il y a la nécessité d’une meilleure organisation et de la mutualisation du secteur. Par ailleurs, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Sud fait part de son inquiétude par rapport aux difficultés du secteur à contracter des prêts hypothécaires auprès des institutions financières depuis la destruction des archives des impôts en 2010. Sans ces prêts hypothécaires, les investissements ne peuvent être renouvelés, fait-il remarquer. Si un partenariat est en cours avec la DGI locale afin de reconstituer ces documents, le secteur privé essaie de se prendre en main. René Gérard Paul Gattereau annonce toute une série d’initiatives comme, par exemple, formaliser les petites entreprises, apprendre à monter un plan d’affaires, lancer des foires et des émissions radiophoniques et télédiffusées pour resserrer les liens avec la représentation étatique et avec la population en général.
Pour l’interconnexion des communes
Malgré les efforts de modernisation du transport, en dépit d’une certaine expansion du réseau routier régional (route des nippes, par exemple), les acteurs du Grand Sud espèrent plus. Les activités de cabotage sont au point mort. C’est à l’aide de canot qu’un navire débarque sa cargaison de ciment dans le quai des Cayes. C’est mieux qu’à Jérémie, où le wharf qui vient d’être réhabilité, n’accueille même pas un bois fouillé. Certains déplorent qu’en dépit de l’inactivité de la famille Rouzier, aucune autre famille n’ose s’aventurer dans le secteur de cabotage, de peur d’être victime de représailles. Or, l’interconnexion des communes faciliterait les échanges et l’écoulement des produits, reconnaît Louberson Vilson qui a occupé différentes fonctions au niveau de l’État dans l’arrondissement de Miragoane. Actuellement candidat au Sénat pour le département des Nippes, M. Vilson est de ceux qui se vantent d’un Grand Sud riche en potentialités. Les mines de carbonate de calcium de la zone pourraient rapporter des milliards de dollars au pays d’après lui, citant des prospections datant du début des années 2000. L’ancien directeur du port de Miragoane présente comme un grand atout la profondeur de la mer, qui, selon lui, peut accueillir des bateaux de fort tonnage. Sur le plan agricole, il souligne les denrées maraîchères de Paillant qui n’auraient rien à envier à ceux de Kenskoff. Les Nippes produiraient le meilleur citron d’Haïti, à en croire Louberson Vilson, satisfait de la contribution de sa région au fisc haïtien.

Le potentiel énergétique existe
En matière d’énergie, le Grand Sud reste inexploité, avec en moyenne 6 heures d’électricité par jour. La région est traversée par d’importants cours d’eau et le fleuve de la Grand-Anse. Pourtant seul Saut-Mathurine héberge une centrale hydroélectrique, actuellement en voie de dysfonctionnement en raison de sa surexploitation. Pour des raisons politiques, elle alimente plus de communautés que prévu, ce qui rend défectueuses deux de ses trois turbines. L’offre du gouvernement norvégien d’en augmenter la capacité est restée sans réponse. Les autorités haïtiennes ignorent également les études de l’Hydro-Québec sur de la possibilité d’implanter une centrale dans la Vallée de la Grand-Anse, au niveau de Marfranc. Aussi, la région est-elle parcourue par le Massif de la Hotte qui culmine à plus de 2000 mètres d’altitude. Le vent et le soleil sont donc à domestiquer aux fins d’alimenter les communes en énergies renouvelables.

Autres richesses à exploiter
Dans la région du Grand Sud, on trouve plusieurs lacs inexploités comme celui de Miragoane. Cet étang d’une superficie de 27 kilomètres carrés ne sert qu’à quelques plongées de riverains. Sinon, il abrite des plantes aquatiques, des reptiles et des batraciens. Il n’y a pratiquement rien d’autre à signaler autour de cette richesse qui n’attire l’attention des dirigeants haïtiens que lorsque ses eaux envahissent la Nationale # 2. L’Étang de Miragoane, tout comme les autres lacs du pays, pourrait être transformé en grands centres d’attractions, avec des chaînes d’hôtels et de restaurants autour, entre autres activités économiques.
Dans le Grand Sud d’Haïti, les services de base existent dans les chefs-lieux de départements, dans les arrondissements et dans certaines communes, mais pas de manière systématique. Par exemple, rares sont les hôpitaux qui offrent des soins de santé spécialisés. Malheureusement, tous les centres hospitaliers publics étaient en grève, et leur personnel dispersé, au moment de notre exploration dans le Grand Sud (juillet 2016). L’eau potable se fait rare alors que les sources coulent aux alentours de la ville. Alexis Jean, responsable d’hôtel, ne veut pas qu’on lui parle de la DINEPA. « Ça n’existe pas », martèle-t-il avec amertume.
Les universités publiques en région sont au stade embryonnaire dans le Grand Sud d’Haïti. Des acteurs privés tentent de répondre à la demande en matière de formation universitaire, mais dans n’importe quelle condition. Malheureusement, ladite formation n’est pas diversifiée. L’entrepreneur Alexis Jean s’élève contre le fait que l’offre universitaire dans la région tourne autour des Sciences Infirmières, Sciences de l’Éducation et Sciences Juridiques. « Que peut faire une société avec uniquement des juristes, des infirmières et des enseignants », se demande-t-il préoccupé par la politisation de la fonction publique dans la région.