Le développement qu’a favorisé la révolution industrielle du XIXe siècle n’a pas pu éliminer les inégalités sociales. Alors s’exprime l’idée d’un développement durable qui tend vers un équilibre dans la satisfaction des besoins essentiels et la protection des ressources naturelles. En Haïti, comme partout ailleurs, ce concept alimente les débats.
Par Guamacice Delice

De manière générale, le développement est le fait pour quelque chose de progresser, de s’accroître, de prendre de l’ampleur, de l’essor, voire de l’expansion, comme une région ou une entreprise1, par exemple. L’humanité peut être fière d’avoir réussi à apprivoiser la nature et améliorer les conditions d’existence un peu partout. Cependant, il est certain aujourd’hui que le développement ne fait pas que des heureux. Beaucoup s’inquiètent de  l’avenir de la planète tant son environnement se dégrade. Les progrès spectaculaires de l’être humain représentent parfois une menace pour celui-ci. Le constat des méfaits du développement actuel pointe du doigt l’épuisement des ressources naturelles, la pénurie des ressources en eaux douces susceptible d’affecter l’agriculture, la fragmentation et la destruction des écosystèmes, la pollution due aux activités humaines, les catastrophes naturelles, etc. Sur le plan environnemental, le développement ne peut être envisagé sur une longue durée. Les plus pauvres en seraient les premières victimes. Les appréhensions tendent vers d’autres solutions pour bloquer cette autodestruction et réduire les inégalités, sans pour autant arrêter l’épanouissement de l’homme.

Un concept récent
Les solutions qui sont en train d’être explorées se présentent sous l’appellation de développement durable. Concept récent, le développement durable prend en compte les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ; ce doit être à la fois économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable, selon le rapport Brundtland . Il s’agirait en même temps d’arrêter la déclinaison de la planète et réduire le fossé qui existe entre les riches et les pauvres. Les architectes du développement durable se fondent sur trois piliers. Le premier se nomme « efficacité économique », qui sous-entend une « gestion saine et durable ». L’équité sociale, le deuxième pilier, retient que soient satisfaits « les besoins essentiels de l’humanité en logement, alimentation, santé et éducation ». Vient ensuite un environnement sain comme troisième pilier.

 HAÏTI connait de longues périodes de sécheresse.
HAÏTI connait de longues périodes de sécheresse. iStock / Getty images.

La préservation des ressources, une obligation
Les tenants du développement durable croient important de préserver les ressources naturelles à long terme, en maintenant  les grands équilibres écologiques et en limitant des impacts environnementaux3

La mise en question du modèle économique actuel a son point de départ dans le rapport du Club de Rome intitulé « Les limites de la croissance ». En 1972, cette coalition de scientifiques, économistes, fonctionnaires nationaux et internationaux et industriels de 52 pays a lancé une sorte de cri d’alarme. Ils ont en effet pris le contre-pied du principe selon lequel les ressources naturelles sont intarissables. Le rapport remet en cause les vertus de la croissance au nom d’une prise de conscience d’une pénurie prévisible des ressources énergétiques et minérales, et des conséquences du développement industriel sur l’environnement4. Les accusations du Club de Rome sont donc l’accélération de l’industrialisation, la forte croissance de la population mondiale, la persistance de la malnutrition, l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et la dégradation de l’environnement.

Ce cri d’alarme a suscité une prise de conscience et de nombreuses conférences internationales qui passent par Rio en 1992 pour aboutir à Paris en 2015. Les 195 pays présents à la COP21 ont pris des engagements sur la limitation du réchauffement climatique et promis une aide financière aux pays du Sud. 186 d’entre eux acceptent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2025-2030. D’autres promettent le financement à hauteur de 100 milliards de dollars des politiques climatiques des pays en développement.

Par ailleurs, les Nations Unies viennent d’imposer aux gouvernements, au secteur privé, à la société civile et aux particuliers « un ensemble de 17 objectifs mondiaux pour mettre fin à la pauvreté, lutter contre les inégalités et l’injustice, et faire face au changement climatique d’ici à 2030 ». Ces mesures sont entre autres : pauvreté zéro, éducation de qualité, égalité des sexes, travail décent et croissance économique, inégalités réduites, mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques et justice et institutions efficaces, notamment.

Caption code: L’ÉNERGIE éolienne, une alternative pour Haïti. iStock / Getty images.
L’ÉNERGIE éolienne, une alternative pour Haïti. iStock / Getty images.

Ces dispositions, adoptées à New York le 25 septembre 2015 à l’issue du sommet sur le développement durable, sont inscrites dans le cadre d’un vaste programme piloté par un « Forum politique de haut niveau pour le développement durable ». Celui-ci a tenu sa première réunion du 11 au 19 juillet 2016 en tant que principal mécanisme de suivi de mise en œuvre du Programme et de ses 17 objectifs. Le 29 Juillet, l’Assemblée Générale a adopté une résolution dans laquelle elle recommande au Forum politique de travailler durant le prochain « cycle quadriennal » sur l’élimination de la pauvreté et la promotion de la prospérité « dans un monde en mutation » (2017), sur la transformation des sociétés pour les rendre viables et résilientes (2018), et pour « donner des moyens d’actions aux populations et assurer l’inclusion et l’égalité ».

Cette approche ne fait toutefois pas l’unanimité. La géographe et économiste française Sylvie Brunel (2010) affirme que le thème développement durable « s’est imposé face à l’inquiétude des pays riches devant l’émergence de certains pays du Sud et coïncide avec la montée en puissance des ONG ». Elle ne partage donc pas les principes de « solidarité », de « précaution », de « participation » et de « responsabilité » mis en avant. Elle redoute une sorte d’appropriation que chacun pourrait en faire « en fonction de ses propres objectifs (…) au détriment de l’humanité, et particulièrement des pauvres ».

D’autres critiques évoquent de manière ironique « le mythe du développement durable  ». Le mot durable est selon eux « la dernière stratégie de l’idéologie du développement pour s’imposer ». La notion de développement durable serait une hymne à la croissance qui viserait à la pérennité du développement, placé stratégiquement sur le banc des accusés pour « les déséquilibres, économiques, écologiques et sociaux » qu’il a créés. Ce serait ainsi pour maintenir le statu quo que des institutions et des multinationales récupèrent le concept.

Développement et croissance effrénée
Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, Josué Vaval ne voit pas comment une économie fondée sur une croissance effrénée pourra contribuer à la préservation de l’environnement. Pr. Vaval  se demande comment les Etats-Unis vont pouvoir se conformer alors qu’ils exploitent à grande échelle leur gaz de schiste qui favoriserait les tremblements de terre. De même pour le Canada qui exploite son gaz bitumeux présent dans les sables et qui pose, selon lui, de vrais problèmes écologiques. Josué Vaval attire l’attention sur le fait que les grandes multinationales qui préconisent le développement durable sont les grands bénéficiaires de ces opérations.

1. www.larousse.fr/dictionnaires/francais/developpement/24951
2. Gro Harlem Brundtland, ancien premier ministre de la Norvège, président de la Commission des Nations-Unies sur l’Environnement et le Développement, qui a produit ledit rapport en en 1987. 
3. http://www.mtaterre.fr/le-developpement-durable/87/C-est-quoi-le-developpement-durable
4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_de_Rome
5. Le Développement Durable, Sylvie Brunel, Que Sais-je, PUF, 2010, 128 pages.
6. Le mythe du développement durable, Florence Rodhain et Claude Llena, in www.entreovia-la-revue.org


JOSUÉ VAVAL, spécialiste en science politique et psychologie. Photographie par Guamacice Delice / Challenges
JOSUÉ VAVAL, spécialiste en science politique et psychologie. Photographie par Guamacice Delice / Challenges

L’AVIS DE Josué Vaval

« Le problème n’est pas le développement durable en soi »

 

« Le problème c’est la manipulation qui sera faite du modèle de développement durable pour nous faire accepter l’autre face de la monnaie qu’est le développement fondé sur une croissance effrénée.

Prenons par exemple les États-Unis et la Chine, les plus grands producteurs de CO2. Ces deux pays, quelle que soit la situation, s’arrangeront toujours pour qu’on ne touche pas à leurs intérêts respectifs, notamment le gaz de schiste. D’ailleurs, la Chine exploite plusieurs mines, dont certaines dégagent des gaz assez dangereux pour la nature, à l’instar des chlorofluorocarbures ou CFC qui sont les plus agressifs pour la couche d’ozone.

Ainsi, le thème de développement durable pourrait être important, malheureusement il sert à enrober une potion imprenable pour administrer la société. Les grandes compagnies veulent nous enjôler, voire se cacher pour imposer le modèle de développement qui est actuellement au centre de grandes contestations. Imaginer qu’en dépit des différents accidents, les pays capitalistes intensifient le développement de l’énergie nucléaire.

Voilà pourquoi nous autres Haïtiens, nous devons être prudents par rapport à ces concepts. Pour quelle société sont-ils conçus, et à quelles retombées doit-on s’attendre ? ».