Le défi de défendre les aires protégées

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Photographies par Georges H. Rouzier/ Challenges
Photographies par Georges H. Rouzier/ Challenges

Faute de budget propre, la jeune Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) piétine devant sa mission. L’insuffisance criante de surveillants qualifiés sur les sites en est une parfaite illustration. Elle mise toutefois sur la loi de finances rectificative nationale 2017-2018 pour enfin prendre son envol.
Par Rodrigue Lalanne

Jeudi 26 avril 2018, une équipe de l’Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP), le directeur général Jeantel Joseph en tête, est à pied d’œuvre non loin du parc Naturel national de la forêt des Pins (dans le Sud-Est d’Haïti). Avec elle, le commissaire divisionnaire Bob Alexis, se présente muni d’un mandat du Parquet. Trois personnes sont arrêtées pour “incendie et déforestation”. Une opération qui n’émeut guère Jean André Victor qui regarde le reportage à la télé. C’est leur seule réalisation, critique le président de l’Association haïtienne de droit de l’environnement (AHDEN) et membre du conseil de direction de la Fédération des Amis de la Nature (FAN).

Il ajoute : « on peut même se demander à quoi sert l’ANAP, puisqu’elle n’a pas de personnel sur le terrain pour faire son travail. Un travail que vient d’ailleurs compliquer l’allongement de la liste haïtienne des aires protégées, étendue depuis peu aux milieux marins ». L’ANAP a été créée par décret en janvier 2006, dans la foulée de la ratification, dix ans plus tôt, par le parlement haïtien, de la convention sur la diversité biologique (CDB). Laquelle reconnaissait, pour la première fois, l’importance fondamentale, pour le développement, de la conservation des ressources naturelles vivantes (les végétaux, les animaux, les micro-organismes et les éléments non-vivants de l’environnement dont elles ont besoin pour vivre). L’article 8 de la convention exhorte les parties contractantes à établir un système d’aires protégées où des mesures spéciales doivent être prises pour conserver la diversité biologique. Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), composée de gouvernements et d’organisations de la société civile, une aire protégée (AP) se définit comme : « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associées ».

Une aire protégée livrée à elle-même à Port-salut. Timothe Jackson/ Challenges
Une aire protégée livrée à elle-même à Port-salut. Timothe Jackson/ Challenges

Haïti compte, pour le moment, 26 AP, selon la dernière liste établie par les autorités en 2017. La majorité d’entre elles (14) sont des AMP (Aires Maritimes Protégées). Les autres sont des ATP (Aires Terrestres Protégées). Jeantel Joseph estime que les critiques concernant le faible bilan actuel de l’ANAP sont justifiées. C’est une réalité, reconnaît-il. Le rapport d’activités janvier-avril 2018 de l’ANAP, dont nous avons obtenu copie, fait, en effet, état de contraintes liées à l’exécution du plan d’action élaboré pour l’exercice en cours. Des contraintes d’ordre institutionnel et financier, souligne le document. Le directeur de l’ANAP se plaint d’une marge de manœuvre réduite du fait qu’il ne dispose, depuis qu’il a pris les rênes de l’agence, il y a tout juste un an, que d’une dotation de 35 millions de gourdes mise à sa disposition par le ministère des Finances, l’organisme nouvellement créé n’émargeant pas encore au budget de la République. 35 millions de gourdes, ajoute-t-il, pour s’occuper de 25 aires protégées (AP) éparpillées sur tout le territoire national. Un seul véhicule est à disposition pour abattre toute cette besogne, le recours à la location de véhicules par les directions déconcentrées étant interdit par le conseil des ministres. Il explique que, ne pouvant pas faire de nominations, puisque n’ayant pas de budget à sa disposition, il est obligé de recourir au service de contractuels. Mais là ne s’arrêtent pas les embûches. Des 300 recrutés, une cinquantaine de contractuels se trouvent dans une situation administrative bien définie. Les autres n’ont pas encore leur contrat en main. Les documents ne sont pas encore validés. Quelques-uns acceptent, malgré tout, de fournir du service, se félicite le patron de l’ANAP. Mais, on ne peut pas demander ce sacrifice à tout le monde, reconnaît-il. En attendant l’aboutissement des efforts en cours du côté du ministère de l’Environnement pour résoudre le problème, Jeantel Joseph dit s’en remettre également à la bienveillance de certains volontaires recrutés parmi les riverains pour pallier tant bien que mal à l’insuffisance du nombre de surveillants.

Les perspectives
Jeantel Joseph se dit conscient de l’ampleur de la tâche à accomplir. Il rappelle, à ce sujet, le onzième des vingt objectifs du “Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020” adopté par les parties à la Convention sur la Diversité Biologique, dont Haïti, en octobre 2010, à Aichi, au Japon : D’ici à 2020, au moins 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières, y compris les zones qui sont particulièrement importantes pour la diversité biologique et les services fournis par les écosystèmes, sont conservées au moyen de réseaux écologiquement représentatifs et bien reliés d’aires protégées, gérées efficacement et équitablement et d’autres mesures de conservation efficaces par zone, et intégrées dans l’ensemble du paysage terrestre et marin, espère-t-on. Deux ans avant l’arrivée de cette échéance, dont le but stratégique est d’améliorer l’état de la diversité biologique en sauvegardant les écosystèmes, les espèces et la diversité génétique, Haïti en est à seulement 7,4 % de zones maritimes et 3,6 % de zones terrestres déclarées. « Pour commencer à entrer effectivement dans la phase de conservation “au moyen de réseaux écologiquement représentatifs et bien reliés d’aires protégées gérées efficacement et équitablement […]”, l’ANAP veut multiplier par environ dix l’allocation actuelle. Trois cents millions de gourdes, c’est en tout cas le montant du budget prévisionnel préparé par la direction pour financer son plan d’action 2017-2018. La proposition a été soumise au ministère de tutelle qui l’a incluse dans les crédits globaux affectés à l’environnement dans le projet de budget rectificatif », se réjouit Jeantel Joseph. La disponibilité de moyens logistiques et de personnel qualifié pour le fonctionnement de l’ANAP, ainsi que d’outils et de mécanismes de gestion des AP, figure parmi les résultats attendus de l’exécution du plan d’action 2017-2018. Il faut aussi citer la restructuration et le renforcement de la Brigade de Surveillance des Aires Protégées et la mise en place d’un système de gouvernance partagée. Autres bénéfices escomptés : la restauration des zones dégradées des AP, la promotion d’activités productives durables et de services sociaux de base auprès des populations vivant dans les zones tampons des aires protégées, de même qu’une meilleure information des acteurs et du public, et une capitalisation des expériences de gestion des AP dans les universités.

Ce qui reste de la forêt des pins autrefois très dense.
Ce qui reste de la forêt des pins autrefois très dense.