Le combat de coq, un joyau de la culture nationale

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ISTOCK/ GETTY IMAGES
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Le combat de coq est profondément ancré dans la culture haïtienne. Pendant que certaines îles de la Caraïbe abandonnent cette vieille tradition populaire au profit des jeux vidéo, en Haïti elle reste et demeure un divertissement fascinant et une activité économique très rentable aussi bien dans les villes de province que dans la capitale.
Par Marc Evens Lebrun

On ne peut parler des jeux traditionnels en Haïti sans mentionner le combat de coq, le plus ancien du reste. Le célèbre roman créole de Frankétienne paru en 1975, baptisé « DEZAFI », tire son nom du jargon du combat de coq et en fait un témoignage avec un symbolisme extrêmement riche. Introduit aux Antilles au XVIIème siècle par les Espagnols tant comme oiseau de combat que comme volaille domestique, le coq demeure donc un héritage colonial. Avec une discipline qui lui est propre, celle qui consiste à opposer deux coqs préparés à cet effet dans une arène appelée gallodrome et qui est présente un peu partout dans la Caraïbe. Toutefois, elle ne porte pas le même nom dans les différentes îles. Aux Antilles (Martinique, Guadeloupe, Porto Rico), on l’appelle « Pitt », aux îles de la Réunion, « Rond » et en République dominicaine,  « Gallera ».

On ne peut parler des jeux traditionnels en Haïti sans mentionner le combat de coq, le plus ancien du reste. Le célèbre roman créole de Frankétienne paru en 1975, baptisé « DEZAFI », tire son nom du jargon du combat de coq et en fait un témoignage avec un symbolisme extrêmement riche. Introduit aux Antilles au XVIIème siècle par les Espagnols tant comme oiseau de combat que comme volaille domestique, le coq demeure donc un héritage colonial. Avec une discipline qui lui est propre, celle qui consiste à opposer deux coqs préparés à cet effet dans une arène appelée gallodrome et qui est présente un peu partout dans la Caraïbe. Toutefois, elle ne porte pas le même nom dans les différentes îles. Aux Antilles (Martinique, Guadeloupe, Porto Rico), on l’appelle « Pitt », aux îles de la Réunion, « Rond » et en République dominicaine,  « Gallera ».
Chez nous en Haïti, c’est la « Gaguère ». Un compartiment qui réunit un juge, des amateurs de coqs, des éleveurs et des spectateurs qui, entre eux, constituent une communauté au sein de laquelle le coq suscite toujours de l’enthousiasme.« L’engouement pour la discipline est tellement fort qu’il a fallu en 2011 la création de plusieurs associations d’amateurs de coq dont AGN (Association nationale des Gaguères) et ASECOC (Association des éleveurs de coq de combat) », argumente Ronald Mercure, président de l’ASECOC qui regroupe les amateurs de Pétion-Ville jusqu’au bas Delmas. Et il poursuit en précisant que « des principes sont établis pour réglementer cette discipline, pour éviter des conflits et contraindre les amateurs à respecter les normes établies. Dépendant de l’ampleur de l’infraction commise, un amateur peut-être radié du groupe en fonction des principes. Quoiqu’il s’agisse de divertissement cela doit se faire dans l’ordre et la discipline », a-t-il conclu. Bien que les principes varient suivant les régions, cette tradition populaire charrie derrière elle bon nombre d’éléments qui la transforment en un véritable marché ayant ses règles et principes, ses coutumes et ses enjeux.

Préparer un coq, un exercice coûteux

Entretenir un coq de combat n’est pas une mince affaire. Sa prise en charge est très coûteuse, si l’on en croit certains amateurs. L’acquisition du coq peut excéder les 10 000 gourdes et le propriétaire de ce dernier le soumet à un régime qui va lui coûter le triple. Lesly Joseph, amateur de coq et professionnel du droit compare cet oiseau à un sportif. Il explique qu’« un coq de combat est comme le Brésilien Neymar, il peut vous coûter beaucoup d’argent. Son entretien est un investissement. D’ailleurs, il faut l’entraîner au combat au quotidien, l’asperger avec de l’eau et du citron en permanence, parfois avec de l’alcool 95, lui injecter des médicaments et des vitamines en fonction des ordonnances d’un vétérinaire, le réchauffer au soleil à des horaires précis, etc. », tout ceci dans l’espoir que le gallinacé puisse offrir le gros lot à son propriétaire.« Le régime de l’animal ne se limite pas au maïs, avance Lesly, le coq doit être nourri aussi de figues mûres et de pain. Quand il est grièvement blessé, il doit être soumis à un régime plus léger comprenant entre autres de la viande de bœuf et du pain, ou une sorte de bouillie spéciale composée de maïs, viande ainsi que de vitamines comme le B-complexe ».Située à la Rue Nord Alexis au numéro 14, la gaguère de l’agronome Jerry offre un combat spectaculaire.

SCÈNE DE combat de cops dans une Gaguère. STENCER SAINTELANGE/ CHALLENGES
Scène de combat de cops dans une Gaguère. STENCER SAINTELANGE/ CHALLENGES

Les préliminaires de la rencontre sont exécutés sur les ordres de l’arbitre Nélio Saint-Eloi. Après le pesage et le choix des combattants, chaque propriétaire, avec sa bouche, asperge son animal pour le rafraîchir et ensuite prépare ses éperons avec un canif pour les rendre plus aigus.Le pari est de 3 000 gourdes, dont environ 3 % reviennent à l’arbitre. Son rôle est de procèder à l’inspection des gallinacés, donner le coup d’envoi, contrôler la durée d’un pari qui doit être de 29 minutes, et en dernier lieu, désigner le vainqueur. « À 250 g, à 300 g, à 500 g »,  tels sont les cris qui font écho dans l’assistance. Entre eux, les spectateurs parient des sommes selon qu’ils estiment robuste et belliqueux l’animal sur lequel ils veulent parier. C’est le cas de Pè Cius. Pour lui, « parier de l’argent sur un coq repose sur son poids, sa performance et parfois sur la réputation de son propriétaire ».Constituée d’hommes dans sa quasi-totalité, la foule en liesse crie avec enthousiasme : « ale wouj! – ale nwa!», des hurlements d’encouragement pour leurs champions, entre coups d’alcool et bouffées de cigarette. Le combat va être impitoyable et les gallinacés, mutilés. Deux redoutables coqs, borgnes, se sont livrés à un sanglant combat. Le coq kalite de Monsieur Johny en sort vainqueur, ayant crevé l’œil de son adversaire, le coq de M. Bernard, l’aveuglant donc totalement, et l’ayant assailli à coups de bec et d’éperons. Étant mort, le corps du vaincu appartient, selon la coutume, au propriétaire vainqueur, suivant un pariage appelé « ploum ».

DEUX COQS prêts pour l'affrontement. STENCER SAINTELANGE/ CHALLENGES
Deux coqs prêts pour l’affrontement. STENCER SAINTELANGE/ CHALLENGES

Un symbole de bravoure

L’animal familier qui sait se faire entendre à l’aube du jour, ne sert pas seulement d’horloge traditionnelle pour les amateurs, il symbolise aussi la bravoure. « Dans les gaguères, le coq incarne l’intelligence et le courage, il ne rechigne pas à se battre dans des combats à mort. Guerrier courageux et intrépide, il se montre énergique en toutes circonstances », s’exclame un amateur connu sous le nom de Pip-Pip. « Quand un amateur gagne un combat avec l’animal, il ne lui revient pas seulement l’argent du pari. Il lui revient aussi la fierté et l’honneur parmi ses compétiteurs, et cela lui permet d’avoir une bonne réputation dans le secteur », ajoute Lesly aux propos de Pip-Pip.

Un loisir qui tisse les liens sociaux

Espace de loisir incontournable dans la mosaïque culturelle haïtienne, la gaguère a une portée multidimensionnelle. Elle contribue à cimenter les relations sociales entre les différentes classes, selon Lesly : « Au sein de la gaguère il n’existe pas de classe sociale, chômeurs, professionnels, intellectuels et paysans, ils sont tous présents pour admirer le spectacle qu’offre la volaille ». À cela s’ajoute la fraternité qui existe entre les amateurs de coq. « Quand un membre de l’association est en difficulté, tout le corps est présent pour le soutenir, c’est ce qui me retient le plus parmi eux ».

Un business lucratif

Le jeu structure la vie de beaucoup de gens. Jouer ne relève pas uniquement de l’amusement. C’est une forme d’économie. Le profit qu’il génère crée étonnamment des emplois et fait bouger le revenu des petits commerçants. « Tout comme un stade de football, la gaguère a des agents de maintenance, un agent de sécurité qui, en même temps, collecte les frais d’admission au guichet, une petite boutique et un bistrot », indique Lesly. En janvier, mois des DEZAFI (tournoi de combat mobilisant diverses associations et des amateurs de coq venant de tout horizon), le marché double de profit. Durant cette période, dans des gaguères de renom comme celle de Matéus située sur la route de frères (commune de Petion-ville), les paris les moins faramineux avoisinent les 50 000 gourdes. D’autres exécutés avec des personnages réputés pour être des grands parieurs peuvent aller jusqu’à 500 000 ou 750 000 gourdes.De plus en plus présent dans le milieu rural et urbain, le combat de coq reste en Haïti une tradition qui charrie l’histoire, la littérature et l’économie de toute une catégorie sociale.