Le BMPAD, entre inefficacité et corruption

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Timothe Jackson/ Challenges
Timothe Jackson/ Challenges

Toutes les institutions publiques du pays ou presque sont affectées par le phénomène de la corruption. Le Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement est loin d’être une exception dans la mesure où des révélations ont été faites par un ancien responsable de cet organisme. Depuis, le BMPAD est sous le feu des projeteurs. Décryptage…

Le 4 janvier 2008, il a été publié dans le journal le Moniteur une loi portant création du Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD). Par cet acte, cette institution devient le gestionnaire de tous les fonds, prêts et aides que reçoit l’État haïtien de la part d’un autre organisme. À côté de cela, il règle la monétisation, les passations de marchés publics et l’importation des produits pétroliers. Ses tâches sont donc multiples.

Gestionnaire du Pétrole d’Haïti
Parmi ses différentes missions, le BMPAD assure l’importation et la distribution du pétrole. Dans une décision prise en Conseil des ministres le 10 janvier 2018, le gouvernement haïtien accorde au BMPAD le monopole de l’importation des produits pétroliers en Haïti. Depuis l’accord du Petro Caribe, faisant d’Haïti un bénéficiaire du pétrole Vénézuélien, le BMPAD place les commandes auprès des fournisseurs vénézuéliens et les barils de pétrole sont livrés sur commande. Pour faire l’acquisition du pétrole, le BMPAD lance des appels d’offres à l’intention des différentes compagnies locales : DINASA, TOTAL, SOL, CAPITAL, NOVUM, DNC, GO. Ensuite le pétrole est redistribué sur le marché local. Au cours des deux premières semaines du mois de janvier, le pays a fait face à une carence de produits pétroliers. « Le galon de gazoline dont le prix d’achat est de 224 gourdes à la pompe se vend à 750 gourdes dans certaines villes de province pendant les périodes de pénurie », se plaint un automobiliste de Jacmel rencontré le samedi 19 janvier. Ignace Saint-Fleur, directeur du BMPAD avait pourtant promis que ce problème serait résolu depuis le 7 janvier. « Les produits pétroliers seront disponibles en quantité dans les stations d’essence d’ici le 7 janvier, les compagnies ont fait l’effort de payer les commandes en dollars américains », avait-il lancé pour rassurer la population.

Monétisation et passation de marché
« La monétisation consiste en la commercialisation, sur le marché local, des denrées et des produits reçus dans le cadre des accords de dons ou de prêts intervenus entre le gouvernement haïtien et le pays donateur ou le bailleur », explique le directeur Ignace Saint-Fleur. Alors que par définition : « la passation de marché, explique-t-il, consiste en plusieurs contrats attribués par les collectivités publiques nationales et territoriales en vue de l’acquisition de fournitures et de services, et de la réalisation de travaux ». Pour mettre en avance la monétisation, on peut citer le dernier don le plus médiatisé, celui du Japon qui a offert : « 5 937 tonnes de riz à Haïti ». Selon la procédure, avec cet important don, le BMPAD lance un appel d’offres aux vendeurs, et les fonds générés par la vente de ce riz en Haïti (Fonds de Contrepartie) permettront de réaliser des projets socio-économiques à travers le territoire national. Le numéro 1 du BMPAD en présence de l’Ambassadeur du Japon en Haïti, Mizuno Mitsuaki, a promis que la monétisation de ce riz viserait particulièrement à : « permettre la réalisation de projets de développement au bénéfice de la population haïtienne, à partir des fonds générés par la vente des produits ; combler le déficit céréalier en produits alimentaires ; donner du travail à une catégorie de gens (débardeurs, camionneurs, etc.) qui constituent un maillon important de la chaîne de distribution ».

L’institution et les accusations de corruption
Dans le rapport d’une enquête partielle réalisée par l’Unité de Lutte Contre la Corruption, analysé par la Fondation Je Klere l’ancien directeur du BMPAD, Patrick Noramé est accusé de concussion, passation illégale des marchés publics, enrichissement illicite, abus de fonction, détournement de fonds publics et association de malfaiteurs. Dans leur rapport, les enquêteurs de l’ULCC ont révélé que moins d’un mois après sa nomination à la tête du BMPAD, ses comptes avaient radicalement évolué : « les revenus légitimes mensuels de Patrick Noramé s’élevaient à 920 mille 650 gourdes avant la date du 18 avril 2016. Ses comptes ont augmenté en 13 mois, une balance totale de 63 mille dollars américains et 13 millions 85 mille 728 gourdes ». Pire encore, les enquêteurs de l’ULCC ont décelé un cas de détournement de 344 mille gallons de mazout, évalué à plus de 302 mille 14 dollars américains, au détriment du BMPAD ; des contrats sans appels d’offres et sans avis de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) par Patrick Noramé pour le montant de cent sept millions de gourdes dont quarante-deux millions au bénéfice de Transmax et de soixante-cinq millions de gourdes à celui de Cohat Express. En attendant la saisie du dossier par la justice, la fondation Je-Klere dirigée par Marie-Yolène Gilles demande d’intercepter tous les coupables et complices de ce dossier, pour faire preuve de rigueur dans la gestion des fonds de l’État.

Marc Evens Lebrun