L’accord Petro Caribe à l’origine

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Depuis la publication de deux rapports d’enquête sénatoriale sur la gestion de Petro Caribe en Haïti, les débats s’enflamment. Beaucoup s’interrogent sur les rentrées qui devaient être investies dans des projets de développement alors que d’autres s’acharnent sur les personnes indexées pour détournement de fonds présumés. Mais, pour faciliter une meilleure compréhension du dossier, il est nécessaire de revisiter les 13 résolutions adoptées entre 2008 et 2013.
Par Guamacice Delice

Le Petro Caribe est un accord de prêt sous forme de pétrole que le Venezuela a signé avec les pays de la Caraïbe, et dont le remboursement est prévu sur 25 ans, avec deux années de grâce. Le sommet sur cette alliance a eu lieu fin juin 2005, mais des réunions préparatoires se tenaient bien avant. Le 7 septembre, douze membres du Marché Commun de la Caraïbe, plus Cuba et la République Dominicaine, ont signé l’accord Petro Caribe par lequel le Venezuela s’est engagé à leur fournir du pétrole en leur accordant l’avantage de payer à des prix préférentiels.

Par l’alliance Petro Caribe, le Venezuela accorde aux pays caribéens « des conditions de remboursement préférentielles », ce qui sous-entend que les prix et les conditions de paiement sont à l’avantage des pays clients. Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Belize, la Dominique, la Grenade, Guyana, la Jamaïque, Nicaragua, le Suriname, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et Saint-Vincent-et-les-Grenadines sont les membres fondateurs. À remarquer l’absence d’Haïti, ignorée par le dirigeant vénézuélien Hugo Chavez, qui ne reconnaissait pas le régime de transition installé à la tête du pays après le départ forcé de Jean-Bertrand Aristide du pouvoir en 2004. Ce n’est qu’après l’élection de René Préval en 2006 qu’Haïti rejoindra l’alliance.

BMPAD, un acteur incontournable
À partir de février 2008, le Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide aux Développement, qui venait d’être institué un mois plus tôt en remplacement du Bureau de Gestion PL480/Titre III, s’érige en intermédiaire entre le fournisseur vénézuélien Petróleos de Venezuela S.A (PDVSA) et les distributeurs haïtiens. Le BMPAD place les commandes et assure la facturation et les recouvrements pour le compte de l’État haïtien lequel transfert entre 40 % et 70 % du paiement au fournisseur, en fonction du coût du baril sur le marché international. L’État garde le reste, soit entre 60 % et 30 % du montant des cargaisons commandées, pour financer des projets de développement, d’où le prêt, à rembourser « sur 25 ans avec 2 années de grâce et à un taux d’intérêt annuel de 1 % ». Sur le site du BMPAD, la situation se résume ainsi : « Les facilités s’appliquent seulement au paiement, lequel est conditionné par un délai allant de 30 à 90 jours maximum à partir de la date de chargement du bateau. Une partie du montant facturé est payée “cash” : sans intérêts jusqu’aux 30 premiers jours et avec 2 % d’intérêts annuels du 31ème jour au 90ème. La balance est payable sur 25 ans avec 1 % d’intérêts annuels ».

Les constructions respectent les normes parasismiques. Cossy Roosevelt/ Challenges
Les constructions respectent les normes parasismiques. Cossy Roosevelt/ Challenges

La liaison avec le prix international est d’une grande importance et influe sur la marge de manœuvre des pays clients. Dans le cas d’Haïti, le coût élevé du baril lui permet de verser le moins possible, soit 40 % en cash. Mais, si le prix du pétrole est déprécié sur le marché international, le cash est le plus élevé possible, jusqu’à 75 %, comme c’était le cas pendant longtemps. C’est ce qui explique les difficultés pour les dirigeants de trouver des financements pour certains projets dans le budget national au cours des deux derniers exercices fiscaux.

Par ailleurs, les dernières données étant datées de mars 2016, le montant de la dette était de 1,7 milliard de dollars. Cette enveloppe a été absorbée à travers le financement de programmes d’urgence après le tremblement de terre de janvier 2010 et des projets de développement, en particulier la construction des infrastructures étatiques et routières et des places publiques. En effet, les cinq gouvernements qui se sont succédé entre 2008 et 2016 ont pris 13 résolutions en ce sens. « Les fonds alloués totalisent la somme d’un milliard sept cent cinq millions quatre cent vingt-trois mille cent quatre-vingt-un (U.S 1 705 423 181) dollars américains », comme il est mentionné dans le rapport de la commission spéciale sénatoriale d’enquête.

Tout ce que l’on doit savoir sur les résolutions
La première résolution a été prise le 20 septembre 2008 suite à la loi d’urgence adoptée au Parlement haïtien, habilitant le gouvernement à se passer de certaines contraintes normatives pour pouvoir voler au secours de la population victime d’une succession d’intempéries à travers de multiples interventions. Une enveloppe de cent quatre-vingt-dix-sept (197 000 000) millions de dollars a ainsi été mobilisée. Elle a été répartie au ministère des travaux publics qui disposait de 47,35 % du montant pour faire acquisition d’équipements pour le compte du Centre National des Équipements (CNE) et réaliser des travaux d’assainissements, de réhabilitation d’infrastructures hydrauliques et électriques, et de rétablissement de réseaux routiers. Le Ministère de l’Agriculture disposait de 18,6 % pour relancer la production agricole nationale ; celui de l’éducation nationale de 13,86 pour la rentrée scolaire ; celui de l’intérieur de 9,9 % destinés à l’appui aux municipalités, à l’approvisionnement en eau et en nourriture et aux « autres appuis humanitaires ». La Primature ayant à sa tête Michèle Pierre-Louis a reçu 6,56 % des 197 millions de dollars pour pouvoir effectuer des interventions diverses, alors que le ministère de la santé publique a reçu 2,72 % et le ministère de la justice, 1,01 %, pour intervenir dans les sphères qui les concernent.

Les trois prochaines résolutions seront prises sous l’Administration Préval / Bellerive le 11 février, le 12 mai et le 24 août 2010. Entre-temps, deux arrêtés décrétant l’État d’Urgence pour 15 jours sur le tout le territoire haïtien ont été adoptés les 16 et 31 janvier 2010, au lendemain du tremblement de terre. Le 15 avril, le parlement vote une nouvelle loi d’urgence pour une période de 18 mois. Cette loi habilite le gouvernement, entre autres, à « passer les contrats qu’il juge nécessaire selon les procédures prévues par la réglementation des marchés publics ». C’est ainsi que les trois résolutions prises dans ce contexte chaotique prévoyaient une enveloppe totale de plus de 349 millions de dollars pour financer 44 projets. Vingt-quatre (24) de ces projets concernaient les infrastructures routières totalisant 65 % du montant. L’habitat obtenait 10 %, l’eau et l’assainissement, 6 % ; la rénovation urbaine, 6 % ; l’édifice public, 5 % ; l’énergie et l’acquisition d’équipements, 2 % chacune. L’éducation, la gestion publique, la santé et le sport partageaient à parts égales les 4 % restants.

La résolution du 24 août 2010 et ses 103 millions de dollars incluent les travaux suivants : la réhabilitation de la route Laboule 12 pour 7,2 millions de dollars, celle de la baie de l’Acul/Milot pour 17,4 millions, la construction du tronçon Bigot/Carrefour Joffre pour 14 millions. La rubrique Route Nationale Numéro I / Marchand a eu un budget de plus de 6 millions et celle de Hasco/La Saline/Base navale/Port-au-Prince, 25 millions. Cette résolution prévoyait 10 millions pour la gestion des débris et 6,5 millions pour la construction de réseau électrique.

L’administration Préval/Bellerive a pris sa dernière résolution le 12 mai 2011 totalisant la somme de 99,7 millions de dollars. Les projets d’envergure étaient la construction de 150 maisons et d’infrastructures à Morne à Cabri (22M) et celle du ministère de l’intérieur (15M). L’enlèvement des débris de l’espace de la capitale (1,7M), la rénovation urbaine à Hinche (8M), la réhabilitation de la route La Saline / Hasco / Base Navale (7M), entre autres.

Le gouvernement Martelly-Conille, installé fin 2011, a adopté sa première résolution le 28 février 2012 pour un montant de 230 millions 139 mille 272 dollars. Des fonds destinés à la construction de la route Miragoane / Petit-Trou-de-Nippes, à la réhabilitation et l’entretien d’infrastructures de transport et d’équipements urbains, à la réhabilitation de la route Carrefour 44 / Cotes de Fer, à supporter le SMCRS, à réhabiliter le système d’irrigation de la Plaine du Cul-De-Sac ainsi que des infrastructures de drainage de la Rouyonne / Léogane.

La résolution du 18 juillet 2012 est l’œuvre de l’administration Martelly /Lamothe et l’enveloppe prévue était de 668 millions 315 mille 429 dollars et 19 centimes. Un total de 49 projets était concerné dont la rénovation urbaine et développement résidentiel à Morne à Cabri (27 millions) et la construction de ministères (20 millions).

Les 376,5 millions de dollars inscrits dans la résolution du 21 décembre 2012 devaient servir à appuyer le développement du secteur de l’énergie (35M), construire et réhabiliter des hôpitaux (20M), mettre en œuvre des programmes de stabilisation des prix, réhabiliter et entretenir des rues dans la région de Port-au-Prince(17M), procéder au dragage des exutoires et de la baie de Port-au-Prince (12,5M), réhabiliter et entretenir les infrastructures de transport (12M) et construire le viaduc Delmas/Nazon (8 millions). D’autres programmes comme l’hébergement post-tremblement de terre (10M), la construction de la route Jacmel / La Vallée (9M), celle de l’Aéroport International de l’Île-à-Vache ou la réhabilitation de la route de Cerca-Carvajal (9M) méritent d’être signalés tout comme la construction de l’Aéroport International des Cayes (8M).

La résolution du 11 décembre 2013 totalisant la somme de 210 millions, 967 mille 318 dollars avait comme projet phare un programme de lutte contre la pauvreté dont le budget était de 28,5 millions de dollars et une rubrique construction de bâtiments et logements publics (19M). Réhabilitation urbaine à Pétion-ville (13M), augmentation de la génération électrique à carrefour 1 (10M) et le développement des infrastructures à l’Île-à-Vache sont les plus importants en chiffres parmi les autres projets.

L’enveloppe ratifiée à travers la résolution du 23 juillet 2014 était de 141 millions 778 mille 568 dollars, dont 34 millions permettaient de mettre en œuvre des projets de développement territorial alors que 20 millions étaient réservés aux bâtiments publics et logements. Le fameux programme de lutte contre la pauvreté extrême et l’exclusion sociale absorbait 15 millions. Le 10 septembre 2014 une résolution a mis à disposition du gouvernement la somme de 29 millions 697 mille 201 dollars.

Le gouvernement Martelly /Paul a pris sa première résolution le 15 avril 2015 pour un total de 206 millions 897 mille 936 dollars. Le tronçon Frecyneau/Gonaïves absorbait 51 millions, celui de Frères-Fermathe, 41,6 millions, 10 millions de plus que Petit-Trou/Petite-Rivière-de-Nippes. Il a eu aussi vingt-et-un(21) millions pour le viaduc de Delmas, 18,5 millions pour Wharf-Jérémie près de Cité Soleil, 15 millions pour le marché public de Fontamara et 19 millions pour rénovation urbaine et autres à Mirebalais.

Le 22 juillet 2015, cette même administration a ratifié des projets pour 174 308 966 dollars. Les plus importants en termes d’argent portaient sur le développement territorial (15M), la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (12,3M), des interventions d’urgence (10M), la reconstruction et la réhabilitation d’hôpitaux (12M), la réhabilitation de la route Cayes-Jérémie (8,7M), etc. Le Conseil des Ministres du 6 janvier 2016 a validé 29 projets pour 58 millions 169 mille 355 dollars, dont 54 millions 227 mille 759 dollars ont été décaissés.

Certains travaux comme la construction du kiosque Occide Jeanty, des sièges du Ministère de l’Intérieur, de la Cour de Cassation et du ministère du commerce ont bien été achevés. D’autres tels que le palais des Finances et le Marché de Fontamara, sont en cours. D’autres encore, parmi lesquels la mise en place des aéroports internationaux des Cayes et d’Île-à-Vache, pour lesquels des fonds importants ont été débloqués, sont toujours au point mort. Certains ont été abandonnés par le fait que l’Accord Petro Caribe ne génère plus (depuis quelque temps) autant d’argent qu’à ses débuts.