La Reine Anacaona et sa grotte mystique

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Des dentelles de roches taillées par l’eau de pluie pendant des siècles. PHOTOGRAPHIES PAR COSSY ROOSEVELT/ CHALLENGES
Des dentelles de roches taillées par l’eau de pluie pendant des siècles. PHOTOGRAPHIES PAR COSSY ROOSEVELT/ CHALLENGES

Parmi toutes les grottes d’Haïti, celle qui avait été le refuge d’Anacaona est sans nul doute la plus sacrée. 514 ans après la disparition de la première reine du pays, ce sanctuaire est visité en particulier par des gens ayant des besoins mystiques et matériels, comme en témoignent les nombreuses bougies et demandes qui s’accumulent sur les lieux.

Pour échapper à la fureur des Espagnols après la capture de son mari Caonabo dans le Managua (à l’Est de Ayiti), Anacaona se réfugie dans le Xaragua, aujourd’hui la ville de Léogane qui porte encore son nom. La petite histoire raconte que la plus belle femme que l’Île a vu naître vivait en parfaite harmonie avec la nature. C’est pour cette raison qu’elle avait fait de la grotte encastrée dans la montagne de Jergo, sa seconde demeure. Il s’agissait également d’une mesure de sécurité pour rester en vie le plus longtemps possible afin de protéger ses sujets. 

Cette reine au teint bronzé aimait porter des colliers en or et des fleurs magnifiques, voilà pourquoi on la surnommait « fleur d’or ». Elle ne manquait pas de trésors précieux jusqu’à sa capture en 1503 suivi de sa pendaison en public par les Espagnols qui l’avaient jugée pour crime de haute trahison. Selon les croyants, son esprit habite encore dans la grotte cinq siècles après.

Une reine généreuse

« Une fois, j’ai vu la reine assise sur son trône dans la grotte. Elle resplendissait avec sa couronne de fleurs et ses magnifiques colliers en or. Elle m’a fait signe de la main sans doute pour me confier des secrets et des trésors… », raconte Lebrun, un octogénaire dont les propos sont rapportés par le gardien de la grotte Jean Louis Destinas. Ce dernier parle d’une vision dans laquelle une femme immaculée est apparue pour indiquer le chemin d’une jarre (un récipient rempli d’objets précieux en or dans la tradition haïtienne). « Je devrais garder secret mon songe jusqu’à ce que je rentre en possession de la jarre. J’ai fait le contraire et ça m’a fait perdre le trésor », regrette Jean Louis qui garde l’espoir de pouvoir bénéficier de la bonté de sa reine dans un proche avenir. Dans l’intervalle, les personnes dont les demandes sont exécutées viennent régler leur compte en vertu des promesses faites. Sur une table, on trouve de nombreuses fleurs, des parfums et des messages de gratitude à l’endroit de l’épouse de Caonabo.

Des touristes locaux à l’intérieur de la grotte Anacaona. PHOTOGRAPHIES PAR COSSY ROOSEVELT/ CHALLENGES
Des touristes locaux à l’intérieur de la grotte Anacaona. PHOTOGRAPHIES PAR COSSY ROOSEVELT/ CHALLENGES

Une grotte à réhabiliter

La grotte Anacaona avec ses dentelles de roches qui résultent de l’action de l’eau de pluie sur le calcaire pendant des centaines d’années peut être comparée à un sanctuaire où le mysticisme est au rendez-vous. En raison de la végétation dense qui l’entoure empêchant ainsi une grande pénétration des rayons du soleil, il fait relativement froid et surtout sombre quasiment toute la journée. C’est un véritable lieu de recueillement.
« Anacaona veille sur ce site, sinon il serait ravagé par des spoliateurs », croit Jean Louis Destinas, blâmant ainsi les autorités haïtiennes qui semblent ignorer complètement l’existence de la grotte. Autant que faire se peut, le gardien se fait un devoir d’assurer la propreté de l’environnement immédiat des lieux par ses propres moyens. « Des autorités locales arrivent ici avec des dizaines de visiteurs étrangers et passent des heures à profiter au maximum du bien-être de cette nature sans verser un sou à la localité de Jergo », se plaint-il. De fait, aucune structure n’est mise en place pour motiver les visiteurs à s’impliquer dans les efforts de protection du site, constate-t-on. Pas un seul projet en cours qui concernerait par exemple la construction d’une route, même en terre battue, reliant la ville de Léogâne à la grotte, ce qui encouragerait davantage de touristes locaux et étrangers à s’intéresser à la grotte d’Anacaona. Encore moins des travaux de rénovation qui permettraient à ce patrimoine historique de retrouver toute sa splendeur d’antan. En attendant, les visiteurs qui arrivent de partout sont obligés de traverser la rivière Momance sur une grande étendue d’alluvion et de pierres, de marcher pendant près d’une heure sous un soleil de plomb afin d’accéder finalement à la grotte sacrée d’Anacaona.

Cossy Roosevelt