En vue d’avoir des enseignants capables d’assurer l’apprentissage dans les conditions optimales en salle de classe et obtenir les meilleurs résultats possible des écoliers, l’Etat haïtien met en œuvre une Politique nationale de formation des enseignants. Cette dernière fournira un cadre dans lequel le ministère fera évoluer 140 000 enseignants, dont 80 % n’auraient pas reçu une formation initiale.
Par Guamacice Delice

L’éducation de qualité dont rêve la société haïtienne passe inéluctablement par une bonne formation initiale et continue des maîtres. Des études imputent au manque de qualification des femmes et hommes qui assurent l’apprentissage dans les salles de classe l’échec du système scolaire haïtien au point que, depuis les années 1940, sous l’administration d’Elie Lescot, plusieurs tentatives de recyclage ont été entamées. La réforme Bernard, initiée en 1979, n’a pas permis à l’Etat d’avoir le contrôle de l’Ecole haïtienne confrontée à un pullulement d’établissements scolaires ne répondant à aucune norme et au recrutement comme enseignants de personnes sans titres ou qualités. Le système est donc mis à nu par des résultats catastrophiques aux examens d’Etat, notamment.

A l’heure actuelle, la mauvaise qualité de l’éducation offerte aux jeunes Haïtiens se place au centre des préoccupations des autorités de l’éducation qui visent de meilleurs résultats à la fin des cycles d’étude. Le 8 août 2014, le ministre de l’Education nationale d’alors, Nesmy Manigat, avait annoncé, en présence du président de la République, douze mesures permettant d’améliorer la gouvernance du système et la qualité de l’éducation. Parmi ces mesures, l’obligation faite à tout enseignant du préscolaire, du fondamental, du secondaire et du professionnel de disposer d’un certificat d’enseigner pour avoir accès en salle de cours et à tout établissement scolaire et professionnel des secteurs public et privé d’être munis d’une Carte d’identité d’établissement (CIE) pour pouvoir fonctionner. La mise en place du baccalauréat unique suite à la suppression de la première partie et des examens de la 6e année fondamentale fait partie de ces mesures.

Au cours de l’année 2015, le ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) a mis au point un Pacte national pour une éducation de qualité pour lequel il est toujours en quête de l’adhésion de la société. Ce document, qui est « une réponse durable aux problèmes des enseignants » dont les revendications sont nombreuses, contient sept engagements clés pour la relève du secteur éducatif, dont la nécessité de doubler le budget de l’éducation.

 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES demandent également une formation des enseignants.
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES demandent également une formation des enseignants. Ralph Thomassaint Joseph

Pour un système éducatif plus efficace
Depuis les années 1990 jusqu’à il y a un an, le système éducatif haïtien faisait face à des mouvements de protestation des enseignants, qui ne sont pas sans impact sur l’apprentissage et sur le rendement des écoliers. De meilleures conditions de travail et l’augmentation salariale demeurent les principales exigences de ces éducateurs. En ce sens, les signataires du Pacte national pour une éducation de qualité « s’assurent qu’au cours de la période 2016-2020, l’État haïtien consacrera au financement public de l’éducation, le plus élevé des deux montants suivants : soit 35 % du budget national, soit 8 % du Produit intérieur brut (PIB) du pays », lit-on sur le site Internet du MENFP. En outre, chaque année, un recensement scolaire a lieu dans les 10 Directions départementales d’éducation (DDE) toujours dans le cadre de l’amélioration de la gouvernance du secteur. Il s’agit de mettre à jour la cartographie scolaire, actualiser l’annuaire de statistiques scolaires ainsi que le répertoire des écoles ; produire un dépliant de statistiques (Haïti, éducation en chiffres), un CD-ROM de données scolaires, un document d’analyse sur l’enseignement fondamental et des données en vue de la préparation de la prochaine rentrée scolaire. Tout cela, pour faciliter les prises de décision relatives à un système d’école plus efficace.

Former des formateurs

 LA POLITIQUE NATIONALE DE FORMATION s’adresse aux 140 000 enseignants haïtiens.
LA POLITIQUE NATIONALE DE FORMATION s’adresse aux 140 000 enseignants haïtiens. Tatiana Mora Liautaud / Challenges

En 2016, le ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, à travers sa Direction de la formation et du perfectionnement, met en œuvre une Politique nationale de formation des enseignants, qui fournira un cadre devant avoir un impact, à terme, sur les 140 000 enseignants présents en salle de classe. Pour que ce projet puisse couvrir tout le pays, le MENFP repère d’abord des institutions de formation devant compléter les 40 Ecoles fondamentales d’application/centres d’appui pédagogique (EFACAP) et prépare une centaine de formateurs de formateurs. « Ces formateurs de formateurs vont coordonner l’action des formateurs de proximité », explique Guy Serge Pompilus, directeur de la formation et du perfectionnement au MENFP, qui évoque la nécessité pour l’enseignant de se considérer comme élément d’un ensemble car, enchaîne-t-il, « aucune école ne restera isolée. Les chefs d’établissement joueront leur rôle de leader, de motivateur, de superviseur pédagogique, de chef d’équipe sur lequel l’enseignant doit pouvoir compter. Mettre des écoles en réseau revient à leur permettre de se complémenter. Nous allons mettre en commun les forces et puis conjuguer les efforts pour compenser les faiblesses. » Il assure qu’ensuite ils pourront « commencer à améliorer les choses en salle de classe. »

Les formateurs de formateurs seront recrutés au sein des EFACAP et des réseaux institutionnels partenaires comme la Fédération des écoles protestantes d’Haïti (FEPH) et la Commission épiscopale des écoles catholiques (CEEC). Quant aux formateurs de proximité, ils seront sélectionnés parmi les conseillers pédagogiques et, au niveau local, avec l’aide des directions départementales de l’éducation. « Le formateur des formateurs doit être capable de développer un certain nombre de compétences chez les formateurs de proximité et chez les enseignants. Il doit aussi pouvoir réaliser un devis de formation dans son milieu de travail, procéder à des évaluations et corriger ce qui doit être corrigé », insiste Guy Serge Pompilus.

Une autre étape de la mise en œuvre de la politique nationale de formation des enseignants concerne le renouvellement des programmes de formation, entamé à partir de cet été grâce à un financement du Canada. Il s’agit d’un « vaste chantier » programme à partir duquel le MENFP révisera la formation initiale.

Un budget de 250 millions de dollars sur dix ans
Par ailleurs, Guy Serge Pompilus annonce des épreuves nationales de certification des enseignants qui seront effectives au bout des formations. « Il faudrait que la règle pour le ministère de l’Education nationale soit qu’en fin de parcours les enseignants qui n’ont pas été qualifiés puissent se requalifier et détenir une certification : quelque chose qui atteste leurs compétences, argumente l’éducateur aux 42 ans de carrière. Il faut, au bout du compte, que nous garantissions que les personnes qui conduisent une salle de classe ont les compétences voulues. »

Le but de la Politique nationale de formation des enseignants est « d’améliorer la qualité de l’enseignement dans le système éducatif haïtien », résume le fils de l’éminent Pradel Pompilus, précisant que le projet s’échelonnera sur une période de dix ans et que son exécution requiert un budget de 250 millions de dollars que doit consentir l’Etat et ses partenaires tant bilatéraux que multilatéraux, dont la France, le Canada, la Banque mondiale et l’Union européenne. Sa mise en œuvre comprend trois phases : la mise en place, qui durera trois ans ; la formation des formateurs et le renouvellement des programmes académiques, qui comptera une sous-phase d’expansion sur quatre ans et une sous-phase de consolidation / évaluation / déplanification d’une durée de 36 mois.

Un projet au long cours alors que le MENFP a également institué un système de récompenses en vue d’honorer les éducateurs qui se sont distingués dans l’exercice de leur fonction au cours de l’année.


 GUY SERGE POMPILUS, Directeur de la formation et du perfectionnement au MENFP
GUY SERGE POMPILUS, Directeur de la formation et du perfectionnement au MENFP. Timothé Jackson / Challenges

L’AVIS DE Guy Serge Pompilus

« BEAUCOUP DE MAÎTRES N’ONT JAMAIS EU DE FORMATION INITIALE » 

« Il ne faut pas différencier formation initiale et formation en cours d’application. Il faut que les deux soient liées parce que dans le cas d’un maître haïtien ce qu’on appelle formation continue ou formation en cours d’emploi est pratiquement une formation initiale quand celui-ci n’a jamais reçu une formation initiale. Le thème de la formation continue suppose qu’on est dans un dispositif continu tout le long de la vie de formation. Or, j’ai beaucoup de maîtres qui n’ont même jamais eu de formation initiale. Dans le cas particulier d’Haïti, les deux mouvements sont intimement liés. Le modèle le plus efficace est celui où l’enseignant est visité pendant sa formation, où l’enseignant peut définir, pendant sa semaine, des modalités pour aller suivre des formations entre deux et quatre heures par semaine. C’est tout un dispositif qui doit être mis en place. Si nous avons des EFACAP (Ecoles fondamentales d’application/centres d’appui pédagogique), au nombre de 39 et bientôt 40, il nous manque des points d’appui sur la formation. Donc, nous devons reconstruire ce tissu-là. Maintenant, si j’ajoute dans le dispositif, les ENI (Ecole nationale d’instituteurs), les Facultés de Sciences de l’Education, les UPR (Université publique en région), nous obtiendrons un nouveau dispositif qui permettra à chaque enseignant de ne pas avoir à parcourir une trop grande distance pour avoir accès à la formation. C’est ce que j’appellerais le dispositif logistique de la formation. »