
Obtenir son passeport demande aujourd’hui un effort de titan. La rareté des livrets et les lenteurs de l’administration alimentent un réseau de racketteurs. Le gouvernement envisage d’améliorer le service.
Ce mercredi, la salle du service de l’immigration de l’avenue John Brown est bondée comme d’habitude. Une chaleur intense se dégage dans un tohu-bohu où vociférations, jurons et colères se mélangent. Dans un coin, deux hommes avec un lot de passeports font le décompte comme suite à la prise d’un butin précieux. Ils disent qu’ils sont une agence, cependant, on les nomme des racketteurs. Personne n’est à l’accueil pour indiquer aux gens les étapes à suivre pour obtenir leur passeport. Sur un mur, derrière un comptoir, une affiche indique qu’il faut composer le 8118 pour avoir des renseignements. Comme c’est le cas pour beaucoup d’institutions publiques, ce numéro ne fonctionne pas. Malgré la pression des demandes, les colères, les crispations et les cris, certains employés de l’immigration se la coulent douce et semblent ne pas avoir grand-chose à faire. Ils sont pourtant environ 200 à travailler dans ce bureau de 337 m2 qui peine à livrer les passeports dans un temps raisonnable. « Même les agents de l’immigration participent au racket. On ne sait pas vraiment à qui se fier dans le système », lâche Maurice qui a fait l’expérience de la mauvaise qualité du service.
Depuis plusieurs années, obtenir son passeport relève d’un véritable calvaire. Les autorités évoquent toujours la non-disponibilité de livrets de passeports en quantité suffisante. Cette rareté de livrets renforce l’existence d’un réseau de racketteurs qui, bien souvent, travaillent effectivement pour le compte des employés du bureau de l’immigration. Anne a payé 5 000 gourdes à quelqu’un travaillant pour un employé du bureau pour avoir son passeport rapidement. A l’intérieur du bureau, elle a versé 1 500 gourdes pour lui faciliter l’accès aux box de photographie et maintenant, elle va encore donner 4 000 gourdes pour accélérer l’impression du document. Pour le passeport, en principe, il faut seulement payer un timbre de 1 600 gourdes à la Direction générale des Impôts (DGI). Ensuite, au bureau de l’immigration, on verse 250 gourdes pour l’urgence ou 500 gourdes pour l’extrême urgence. Depuis un certain temps, personne ne peut dire précisément dans combien de temps sera délivré un passeport. Des personnes attendent plus de six mois avant de l’obtenir.

Les agences de voyages ne délivrent pas
Nous empruntons l’escalier d’une agence de voyages à proximité du bureau de l’immigration. Un jeune homme, occupé dans un lot de dossier, nous donne un prospectus qui renseigne sur les documents à soumettre pour l’obtention d’un passeport. Il faut l’extrait des archives, la carte électorale, la carte d’immatriculation fiscale, une photo et 4 000 gourdes si c’est l’agence qui achète le timbre (2 000 gourdes si l’agence ne l’achète pas). Le propriétaire signe son passeport dans une semaine et le reçoit trois mois après la signature, indique-t-on sur le papier. « Pour l’instant, nous ne recevons pas demande, nous apprend curieusement l’employé de l’agence. Nous avons tellement de dossiers en souffrance au bureau de l’immigration qu’il nous est impossible d’en prendre de nouveaux. » Les agences de voyages, selon la loi, sont des auxiliaires de l’immigration. Pour désengorger le bureau de l’immigration et faciliter un meilleur service, elles sont habilitées à entreprendre les démarches pour l’obtention des passeports. Leur prix varie selon leur type. « Cette histoire qu’une agence ne peut pas livrer de passeport dépend de l’agence, nous apprend Stanley. Il y en a des petites et des grandes, dépendamment de la personne qui est derrière. »
Des promesses d’amélioration
Intervenant dans une émission de radio de la capitale, le directeur a.i du bureau de l’immigration et de l’émigration, Jean Osslin Lambert, a annoncé que le président provisoire, Jocelerme Privert, venait de constituer un « task force » pour faire en sorte que le service ne soit pas en rupture de stock. Il dit que l’Etat haïtien ne peut pas imprimer les livrets de passeports en Haïti, parce qu’une imprimerie sécuritaire coûte autour de 850 millions de dollars. De ce fait, les livrets de passeports sont actuellement imprimés en Allemagne. Les tracasseries administratives retardent les commandes de livrets et le volume de demande de passeport augmente chaque année. Alors que le système actuel est conçu pour émettre 200 000 passeports par an, la demande oscille actuellement autour de 400 000.
Marie est l’amie d’un directeur de banque de la capitale. Celui-ci l’a accompagné au Bureau de l’immigration pour lui faciliter l’obtention de son document. Elle raconte qu’après sa prise de photo, il ne lui a fallu environ qu’une heure pour avoir sur place son passeport en main. Malgré les explications de rareté de livrets, la délivrance du document dépend visiblement de l’influence du demandeur ou de l’épaisseur de son portefeuille.
Ralph Thomassaint Joseph