Haïti pays émergent en 2030?

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Daniel Kedar
Daniel Kedar

Haïti peut-il toujours espérer devenir un pays émergent en 2030 ? Se basant sur les chiffres disponibles, la réponse ne peut être positive.
Il faudrait d’abord arrêter la décélération de l’économie (taux de croissance négative en 2017) pour pouvoir la stabiliser avant de la relancer. Plusieurs facteurs, tel que le cadre constitutionnel, entrent donc en ligne de compte. Avec l’actuelle constitution, Haïti pays émergent en 2030 n’est qu’une utopie.
Par Guamacice Delice

Les chiffres disponibles prouvent malheureusement qu’Haïti a raté les objectifs fixés pour la période 2012-2015, soit une croissance de 6,2%. En effet, les données les plus récentes de la Banque Mondiale accusent un taux de 1,2% en 2015 et en 2016. Or les prévisions pour 2017 s’annoncent plus alarmantes avec un chiffre négatif de -0,6%. Le changement de gouvernement, la rupture dans la continuité de l’État, l’incertitude politique découlée du non-renouvellement du personnel politique dans le délai imparti, le passage de l’ouragan Matthew qui a affaibli davantage la production nationale en sont en partie responsables. Qu’il s’agisse des investissements publics nécessaires financés par des ressources locales et par l’aide extérieure, ou des investissements directs étrangers qui amélioreraient le solde global de la balance des paiements annoncés dans le Plan Stratégique de Développement d’Haïti, ceux-ci n’ont pas été consentis.

Le problème est plus profond si l’on en croit le sociologue Fils-Lien Ely Thélot. Il n’est selon lui pas trop tard, même s’il parait très difficile qu’Haïti rejoigne le groupe des pays émergents d’ici 2030.

Le concept de Van Agtmael

D’abord voyons ce qu’est un pays émergent. Le débat sur les conditionnalités n’est pas réellement clos. Néanmoins, une certaine définition fait l’unanimité comme celle présentée par l’encyclopédie Larousse : « Les pays émergents se distinguent des autres pays en développement par des résultats macroéconomiques supérieurs et un taux de croissance élevé. Ils se caractérisent par un brusque décollage économique, fondé sur l’industrialisation, et par un fort potentiel de croissance. Leurs performances, influant notamment sur l’indice de développement humain (I.D.H.) et sur le taux d’équipement des ménages, sont liées à la conquête des marchés internationaux par leurs produits d’exportation.» Le terme « émergents » date de 1981 et est attribué à l’économiste néerlandais de la Société Financière Internationale  Antoine Van Agtmael, pour évoquer les « pays en voie de développement offrant des opportunités pour les investisseurs ».

Jusqu’en 2011, aucune liste officielle des pays émergents n’existait ; les institutions et les économistes n’étant pas arrivés à s’entendre sur la question. Les uns estimaient que certains pays devaient en faire partie, les autres croyaient que ces pays ne réunissaient pas les conditions nécessaires. Ainsi le débat tournait autour des pays suivants : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Bangladesh, Égypte, Hongrie, Iran, Mexique, Nigeria,  Pakistan, Philippines, Thaïlande, Turquie, Argentine, Arabie Saoudite, Corée du Sud, Chili, Indonésie, Malaisie, Pologne et Thaïlande. En 2009, l’acronyme BRIC est créé pour désigner les quatre principaux pays émergents, Brésil, Russie, Inde, Chine, qui sont susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans l’économie mondiale dans un futur plus ou moins proche. Depuis 2011, l’Afrique du Sud les a rejoints sous l’appellation de BRICS et participe désormais aux sommets regroupant ces pays.

La dernière conférence diplomatique de ce groupe a eu lieu en octobre 2016 en Inde. Les dirigeants des pays du BIMSTEC avaient été invités à y participer : Bangladesh, Bhoutan, Myanmar, Népal, Sri Lanka, et Thaïlande.

 

HAÏTI devrait commencer par identifier ses ressources
HAÏTI devrait commencer par identifier ses ressources

 

Les critères

Parmi les critères définis pour devenir un pays émergent, il y a les changements structurels qui consistent en « une rénovation juridique et institutionnelle, un passage d’un type de production agraire à un type industriel, l’ouverture au marché mondial des produits et services et aux flux internationaux de capitaux ». Des critères qu’Haïti est loin d’être capable de remplir à l’heure actuelle. Le scepticisme du sociologue Fils-Lien Ely Thélot y trouve sa source et préconise que le pays fasse d’abord le ménage en interne. Pour arriver à la croissance soutenue que requiert le passage à une économie émergente, ce grand ménage est indispensable. Il se définit en quatre actes.

Le premier est l’adoption d’une nouvelle constitution sur une base référendaire. « Haïti ne peut pas être un pays émergent avec l’actuelle constitution », affirme-t-il avec fermeté, soutenant que la charte fondamentale de la nation haïtienne est « nuisible au bon fonctionnement de l’État ». En ce sens, Fils-Lien Ely Thélot met en garde contre tout nouvel amendement. Celui réalisé en 2011 a créé plus de problèmes qu’il n’en a résolus, a-t-on pu constater depuis. Et il paraît peu probable que la commission qui se constitue actuellement au Parlement haïtien puisse proposer mieux. Dans la perception du docteur en Sociologie, la constitution est à la base de la mauvaise gouvernance du pays et elle alourdit tous les mécanismes de gestion de l’État. Les difficultés pour un président de constituer son équipe gouvernementale, celles relatives au renouvellement des membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, du Conseil d’Administration de la Banque de la République d’Haïti en sont quelques exemples. Les responsables de la classe politique sont unanimes à déplorer la concentration du pouvoir au parlement. Il faut une constitution qui rééquilibre les pouvoirs, renforce les institutions étatiques et garantisse la stabilité politique indispensable à la relance économique, demande M. Thélot.

Le deuxième acte préconisé par Fils-Lien Ely Thélot est la mise en place d’une politique publique agricole qui remplace les paysans par des fermiers ou agriculteurs. D’où la nécessité, selon lui, de promouvoir la modernisation du secteur qui doit tendre vers l’agro-industrie et finir avec la logique de parcellisation au profit de la grande surface de production. « Il s’agit de croissance et pour qu’il y ait croissance il faut de la production. Or, si nous persistons avec le schéma actuel du paysan qui produit pour sa subsistance, sans penser à un marché potentiel, nous n’atteindrons pas cette croissance », met en garde le spécialiste en protection sociale, conscient de l’obligation pour Haïti de produire davantage pour pouvoir répondre à la demande locale et exporter, dans le but d’équilibrer la balance commerciale. Des caractéristiques d’une économie qui se veut émergente.

Le troisième acte à poser, selon Fils-Lien Thélot, est la définition d’une « politique de population » et le contrôle du mouvement des personnes. Il ne suffit pas de contrôler les naissances et de résoudre le problème de l’état Civil, il faut aussi suivre le déplacement des familles dans le cadre de l’augmentation de l’assiette fiscale et d’une meilleure gestion du patrimoine. L’État haïtien a également pour obligation de retenir les compétences dont il a financé la formation afin que ce ne soit plus les États-Unis et le Canada qui en bénéficient.

L’éducation doit être aussi repensée. C’est le quatrième acte que doit poser Haïti, selon Fils-Lien Ely Thélot, sachant que le taux d’alphabétisation des pays émergents est de l’ordre de 90% alors que près de la moitié de la population haïtienne est analphabète. Haïti doit pouvoir répondre à la question : « De quelles compétences avons-nous besoin et pour quelle société ? », insiste notre interlocuteur rappelant que « la productivité dépend de la compétence tout comme la compétence dépend de la formation ».

Inventorier nos richesses

Pour devenir un pays émergent aux environs de 2030, Haïti doit identifier les ressources dont il dispose. Il s’agit des ressources naturelles, minières et humaines à partir desquelles le pays peut capitaliser. Selon Fils-Lien Ely Thélot, il faut les gérer, définir une politique de rendement afin de les transformer en richesse. L’eau ne doit plus être source de malheur pour le pays alors qu’elle contribue à enrichir les autres pays. Le soleil et le vent devraient pouvoir rendre Haïti autonome en matière d’énergie, croit le natif de l’Artibonite qui déplore que de fortes sommes soient dépensées dans l’acquisition de génératrices, entre autres équipements.

Avant d’arriver au rang de pays émergent, Haïti doit d’abord tenir la concurrence face aux pays de la Caraïbe. Le Brésil qui cherche à s’affirmer comme puissance mondiale fait partie des plus grandes économies du continent américain, avec un PIB de 3,1 trillions de dollars en 2016. La Chine est une machine qui deviendra bientôt la première puissance économique mondiale devant les États-Unis, selon toutes les prévisions. Elle représente 21,27 trillions de dollars de PIB et 7% de croissance en 2016.

Il faut ici rappeler qu’Haïti présente un PIB de 16 billions de dollars et un taux de croissance de 1,2% en 2016, très loin derrière la République Dominicaine (161 billions et 6,7%, en 2016).

À l’heure actuelle, le pays a besoin d’un programme révolutionnaire qui redonne enfin confiance au peuple. Le président sera jugé, comme partout ailleurs, sur les premiers 100 jours de son mandat. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu d’acte significatif qui montre réellement la ligne directrice que compte suivre Jovenel Moïse pour le développement durable du pays.