Haïti menacée par la saison des intempéries

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Georges H. Rouzier / Challenges

Perturbations atmosphériques, ondes tropicales à répétition… la saison des intempéries sera plus intense cette année si l’on en croit les météorologues qui prévoient la formation éventuelle d’au moins sept cyclones dans la région. Le personnel de gestion des risques et désastres a bien du souci à se faire.
Par Cossy Roosevelt

Vendredi 27 mai, à cinq jours du début de la saison cyclonique, le Centre national de météorologie à Port-au-Prince annonçait une journée de perturbations atmosphériques. Toute la journée allait être marquée par des pluies incessantes paralysant ainsi une bonne partie des activités coutumières. Le Comité national de gestion des risques et désastres (CNGRD), présidé par François Anick Joseph, l’actuel ministre de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, a compris la nécessité de se mettre en œuvre et ceci jusqu’au 30 novembre prochain, pour trouver les moyens de faire face aux désastres multiples qui risquent d’intervenir.

Le CNGRD s’appuie sur les membres qui le composent tels les ministères des Travaux publics, de la Santé publique, de l’Agriculture, de l’Environnement, de la Planification, des Affaires sociales, de la Justice et de l’Education nationale. Ledit comité – qui implique également la société civile et la Croix rouge haïtienne, une institution à vocation humanitaire capable de mobiliser ses partenaires pour faire face à des situations de catastrophes naturelles tels des ouragans, des glissements de terrain et des inondations – devra s’activer à travers le Centre d’opérations d’urgence national (COUN). Précisons que le COUN a, en effet, la responsabilité de promouvoir, de planifier et de maintenir la coordination entre les différentes institutions engagées dans la réponse aux urgences et aux catastrophes.

Une vulnérabilité extrême
Entre 1900 et 2010, Haïti a connu plus d’une vingtaine de cyclones ravageurs, un séisme majeur et des inondations sectorielles qui se comptent par dizaines. Les catastrophes récentes les plus meurtrières ont été enregistrées à Fonds-Verettes et Mapou en 2004, aux Gonaïves en 2008, et dans les départements de l’Ouest et du Sud-Est en janvier 2010. Il n’existe pas de statistiques sur le nombre total de pertes en vies humaines pour les nombreux cas de cyclones suivis d’inondations mais en ce qui concerne le récent tremblement dévastateur, les sources officielles évoquent de 250 000 à 300 000 disparus. Dans l’intervalle, les facteurs de vulnérabilité identifiés par le Plan national de gestion des risques et désastres s’aggravent d’année en année. Prenons tout d’abord les facteurs physiques qui sont caractérisés par le climat (pluie, inondation, ouragan) et la dégradation de l’environnement, la déforestation, l’érosion, la pollution et la surexploitation des terres et des ressources naturelles. Des facteurs dégradants qui peuvent devenir irréversibles, selon des experts. Les facteurs socio-économiques représentent un élément de vulnérabilité majeur quand on sait que 98 % de la population est exposée aux risques naturels et 24,7 % des Haïtiens vivent dans la pauvreté extrême avec moins de 1,25 dollar par jour, selon le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). En trente ans, l’effectif des habitants du pays a pratiquement doublé passant de 6 à plus de 10 millions, avec pour conséquence une explosion démographique dans la région métropolitaine de Port-au-Prince qui héberge aujourd’hui plus d’un quart de la population totale (3 millions), estime le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA). Dans 25 ans, la population pourrait atteindre 20 millions selon des projections, ce qui fait craindre une augmentation exponentielle du niveau de vulnérabilité du pays et un éclatement de toutes les infrastructures de base. L’instabilité politique et institutionnelle qui persiste constitue également un facteur important de vulnérabilité au regard de la situation actuelle qui va de mal en pis en raison de la crise électorale jusqu’ici sans issue. Le personnel politique n’étant pas renouvelé à temps, les institutions républicaines sont affaiblies et la démocratie aussi avec de graves répercussions sur la vie économique.

Une stratégie à poursuivre
« C’est l’activité physique humaine et sa relation avec l’environnement physique qui déterminent l’impact et la magnitude des désastres, et non les menaces naturelles », soulignent les rédacteurs du Plan national de gestion des risques et désastres. En clair, la vulnérabilité extrême du pays résulte de la mauvaise utilisation du sol, du manque de connaissance technique, du peu d’application des normes et des réglementations, de la mauvaise gestion des ressources naturelles et des faiblesses institutionnelles à tous les niveaux pour gérer les risques et désastres. Tenant compte de ces facteurs, le gouvernement est appelé non seulement à orienter son action sur la gestion des désastres mais, aussi et surtout, à agir directement sur les causes et les facteurs qui génèrent l’état de risques permanent.

Un plan national à mettre à jour et à renforcer
Le Plan national de gestion des risques et désastres élaboré en 2001 se propose d’une part d’agir sur les causes et les facteurs qui génèrent l’état de risque afin de réduire les possibilités de désastres et, d’autre part, de renforcer la capacité de réponse aux besoins en cas de désastre à tous les niveaux. Ledit plan se veut un « système participatif avec des responsabilités partagées entre le gouvernement, les autorités locales, la société civile et la population en général ». Il concerne tous les Haïtiens et, donc, tous les secteurs de la vie politique, sociale, économique et culturelle. Mais, ce Plan qui compte déjà quinze ans d’exécution mérite d’être renforcé étant donné que le niveau de vulnérabilité du pays augmente et que les catastrophes naturelles se multiplient en raison du réchauffement accéléré de notre planète. A l’instar des autres états de la Caraïbe, voire plus sévèrement, Haïti est affectée par les changements climatiques, notamment car il est l’un des pays les plus pauvres du monde et dispose donc de moyens d’adaptation très faibles. Une logique s’impose : « Limiter autant que possible les risques et gérer de manière rationnelle les urgences avec l’implication de l’ensemble des acteurs. » La responsable de la direction de la Protection civile, Marie Alta Jean Baptiste, confirme que les réflexions en vue de la révision du Plan national de gestion des risques et désastres ont été entamées en 2014 pour que ce dernier soit plus adapté aux nouvelles situations de catastrophes. Les moyens nécessaires pour intervenir, dans le cadre de ce plan, sont très limités, reconnaît l’experte. N’étaient les dizaines de millions de dollars d’aide fournies par des agences internationales, il ne serait nullement possible, avec les faibles moyens du Trésor public, de porter secours aux sinistrés des catastrophes naturelles. « Heureusement, à la DPC, nous avons accumulé une somme d’expériences importante dans la gestion des risques et désastres qui nous permettent de répondre à bien des urgences, explique la cheffe de cette structure. En Haïti, vu la dégradation de notre environnement et vu que nous sommes un pays montagneux, nous sommes obligés de toujours mettre l’accent sur les inondations en renforçant nos stratégies d’intervention pour pouvoir limiter les risques et les dégâts en cas de crues dévastatrices. »

Il ne reste qu’à espérer que la saison cyclonique ne sera pas aussi forte que les météorologistes l’ont prévue avec pas moins de sept cyclones qui pourraient parcourir la région.

LÉOGÂNE a été le théâtre de fortes inondations vendredi 27 mai. georges H. Rouzier / Challenges
LÉOGÂNE a été le théâtre de fortes inondations vendredi 27 mai. georges H. Rouzier / Challenges

Les départements les plus vulnérables

Se basant sur les critères de vulnérabilité, à savoir la disponibilité alimentaire, l’accès aux services sociaux de base, les risques et désastres, et la dégradation de l’environnement, le tableau des départements les plus vulnérables est classé comme suit :

  • Par rapport à l’accès aux services sociaux de base : la Grand-Anse, les Nippes et le Nord-Est.
  • Par rapport aux désastres naturels et à la dégradation de l’environnement : le Sud et le Sud-Est.
  • Par rapport aux risques socio-politico-juridiques : l’Artibonite, le Centre et l’Ouest.