Le fléau du « greening », une maladie bactérienne qui touche les agrumes, s’est abattu sur Haïti. À terme, ce sont tous les citrus du pays qui seront touchés. Un drame qui impacte déjà la filière des écorces d’oranges dans le Nord.
Tout comme les agrumes nous sont venus d’Asie, leur péril vient des mêmes contrées. Le « greening », ou HLB (Candidatus liberibacter), contamine aujourd’hui les citrus de presque toutes les régions du monde, y compris des Caraïbes et bien sûr Haïti. Découverte en Chine, cette maladie est transmise d’arbre en arbre par un insecte, le psylle asiatique (Diaphorina citri), exactement comme la malaria l’est aux humains par l’anophèle. Une fois touché, l’arbre voit sa croissance ralentir : la sève ne circule plus correctement. En l’air, les feuilles jaunissent ou blanchissent, tandis que sous terre, le « chevelu racinaire » meurt.
Si le greening se fait déjà sentir pour les consommateurs locaux qui ne trouvent plus de citron juteux ou abordable, le drame qui se profile pour la filière export est bien plus grave. Le pire est à venir… oranges, douces ou amères, citrons, mandarines, chadèques ou pamplemousses dépérissent progressivement. Pour les milliers de foyers ruraux qui vivent de la production et de l’exportation des écorces d’oranges, dans le Nord notamment, la disparition de plantations et l’arrachage de dizaines de milliers d’arbres contaminés va représenter une baisse brutale de leurs revenus et peut-être la perte de savoir-faire qu’ils se transmettent depuis 150 ans…
Chronique d’une mort annoncée
Face à cette pandémie, il est difficile de demander à Haïti de résister. Mais ce qui est arrivé à d’autres cultures d’exportation, telles que la noix de cajou, le café, le citron vert, aurait pu servir de leçon. Qu’a-t-on fait pour les protéger ? Qu’a-t-on fait pour éviter le déclin des limettes d’Haïti, dont jadis l’huile essentielle était de réputation internationale ? Face à l’inorganisation de la filière agrumes (chercheurs, formateurs, développeurs, pépiniéristes, producteurs, transformateurs et exportateurs), ces trésors du terroir sont condamnés, comme le sont certains monuments historiques ou vestiges du passé, victimes de l’abandon. Aujourd’hui, c’est l’affolement, car aucun remède au greening n’existe encore sur la planète. Mais qu’a fait Haïti face au virus de la tristeza, dont les techniques de prémunition sont appliquées partout ailleurs. Sans prise de conscience, recherche agronomique et fonds pour les financer, quel département du ministère de l’Agriculture s’intéressera au jardin créole et à une meilleure gestion des risques ? Et pourtant, avec ses variétés diverses d’essences, ce jardin créole possède de nombreuses vertus encore à découvrir, telles que les interactions positives des plantes entre elles face aux maladies et ravageurs. Ainsi, il a été constaté au Vietnam que le goyavier (une plante Taino!) cultivé en association avec des agrumes avait un effet dépressif sur le psylle.
Que faire face à la situation ?
Dans le monde entier, on arrache systématiquement les plants d’agrumes contaminés. Aux États-Unis on interdit toute importation (même individuelle). En Haïti, les frontières sont si poreuses que fruits et plants entrent sans problème alors que les pays voisins sont tout aussi contaminés. La première action devrait être prise par les autorités concernées afin de contrôler ce qui entre. Vaste gageure ! Alors, les paysans arrachent les pieds d’agrumes morts et se concentrent sur ce qui reste dans leur jardin, un peu de cacao, un peu de manioc, de maïs… Mais que leur demander de plus, alors que le laisser-aller général a amplifié la situation, comme c’est le cas pour la diffusion de plants d’agrumes qui ne résistent pas au virus de la tristeza. À ce constat s’ajoute le manque de formation et le manque de sérieux des organisations qui diffusent des plants non contrôlés, véritables bombes infectieuses à retardement. Face aux périls greening, tristeza ou chancre citrique, une partie de la réponse pourrait et devrait être régionale, avec le support d’organisations comme le Caricom, l’Union Européenne, les Nations Unies (FAO) etc. Il faut donc encourager la recherche, développer des échanges techniques et scientifiques avec nos voisins,le Brésil, les États-Unis ou la Guadeloupe, qui ont déjà des recherches en cours et des travaux encourageants. Mais il ne faudra pas attendre tout de l’extérieur. Il faut participer et s’impliquer grâce aux coopérations et partenariats.
Stéphanie Renauld Armand, avec l’aide de l’agronome Y.N.