Gangs 2.0, comment vivront les 5 millions d’habitants de Port-au-Prince en 2030?

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Istock/ Getty Images
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Port-au-Prince vit déjà sur une bombe démographique, économique, urbanistique, environnementale et sécuritaire. Ceux qui s’amusent à armer les jeunes des quartiers pauvres ou qui les laissent dans un état de vulnérabilité en pensant les contrôler, ou en comptant sur la PNH, devraient savoir que depuis la guerre de l’indépendance, voire depuis la proclamation de Sonthonax, l’Haïtien rend difficilement les armes. Car se désarmer revient pratiquement à « se rendre ».

Ils ne le feront éventuellement que contre un autre emploi. Je n’ai aucun doute que des unités d’élites lourdement armées puissent mettre en déroute certains jeunes bandits afin de faire « régner la loi et l’ordre ». Mais, ce n’est que par l’éducation intégrale, une formation utile, des emplois et un cadre de vie décent qu’on parviendra à désarmer durablement une jeunesse vulnérable ; une jeunesse exposée à toutes sortes de manipulations et d’aventures, les meilleures comme les pires. Or, aujourd’hui, à Port-au-Prince, des « écoles professionnelles en gangstérisme » à ciel ouvert recrutent et graduent des jeunes qui acquièrent de solides compétences pour la survie, en organisation de bandes, en maniement des armes, en crime organisé, sans compter en communication, technologie, (pour ceux qui s’expriment dans les médias). De plus, ils ont la quasi-certitude d’un « emploi », risqué certes, mais rémunéré au terme de la formation. Mieux que les pouvoirs publics, vu leur âge, ils exploitent habilement les plateformes numériques, les réseaux sociaux, pour avoir accès aux infos, pour alimenter les fake news ou faire de la pub. Qui dit mieux, contre le chômage dans un environnement pauvre en lien social ? Qui dit mieux face à la banalisation du crime par certains responsables, dans certains médias, dans certaines musiques ? Comment vivront les 5 millions d’habitants de Port-au-Prince en 2030 ? La réponse dépendra de l’organisation du grand Port-au-Prince par tous ses maires et d’une économie capable de créer des emplois pour les habitants et les jeunes en particulier. Sans espaces verts entourant la ville, sans terrains ou parcs pour des jeunes, sans loisirs et centres récréatifs, sans jardins publics, Port-au-Prince sera une grande prison, invivable et violente. Sans grandes avenues et sans routes, sans transport public organisé, il sera de plus en plus difficile pour les policiers, les ambulanciers, les pompiers etc.. de circuler pour des services d’urgence, sauf en hélicoptère. Sans écoles et centres de santé de qualité de proximité, pour éviter inutilement des grandes distances, les embouteillages continueront de rendre la vie des habitants misérable. Sans chantiers de bâtiments et travaux publics pour construire/reconstruire, sans nouvelles usines, nouvelles entreprises de services, le chômage des jeunes aggravera les foyers de violence. Aussi, les maires et le gouvernement central devraient poser le problème de la violence des gangs dans un contexte plus global et plus prospectif. Ce n’est pas par hasard que la violence a élu domicile dans les quartiers pauvres et ceci est une injustice intolérable. Mais personne n’est vraiment à l’abri. La probabilité que ces 5 millions d’habitants vivent encore au milieu des décombres de 2010 du centre-ville en 2030 est là. La probabilité que Canaan et Cité Soleil ne fassent qu’un, sans services administratifs et organisation de plus, en 2030 reste grande. La probabilité que Petion-Vile et Jalousie ne fassent qu’un en 2030, sans augmentation de services publics, est tout aussi grande. Ni ville, ni bidonville, ni bassins-versants, ni aires protégées, ni nouvelles routes, ni réseaux d’égouts, bref une vaste agglomération multiforme sans ou avec peu de services de base d’eau, d’électricité, sans emplois, un Port-au-Prince 2030 à éviter à tout prix. Ce sera encore un plus grand foyer de violences et la PNH n’y pourra quasiment rien. Vivement un nouveau cadre de vie dans toutes les villes du pays menacées comme Port-au-Prince. Vivement la révolution du capital humain et des emplois jeunes. Il n’y a pas de raccourcis pour les pays pour « changer le système ». Sinon, toutes ces armes se retourneront les unes après les autres contre la société, en commençant par ceux qui la dirigent. Les investissements privés, publics et la bonne gouvernance ne peuvent plus être des slogans pour les gouvernements. La bombe démographique et la bombe du chômage sont hélas déjà amorcées. Port-au-Prince et ses maires, ses éducateurs, ses sociologues, ses urbanistes, ses environnementalistes, ses architectes, ses employeurs, comme ses forces de Police ne devraient pas avoir le sommeil, non plus. Il faut le rêve d’un grand Port-au-Prince, après celui d’Estimé avec des habitants profitant d’un cadre de vie plus décent, profitant d’une vue dégagée de la baie, des espaces verts, des aires protégées, des montagnes qui l’entourent. Mais, sans un État de droit pour faire appliquer les lois, le respect du foncier, et sans s’attaquer au phénomène de corruption qui gangrène la société, ce sera mission impossible. Sinon, l’autre option consiste à fuire la pieuvre tant qu’il en est encore temps car Haïti dispose heureusement de 27 750 km2. Investissez et créez des emplois ailleurs pour les jeunes. Ainsi, vous éviterez de nourrir le monstre afin qu’il n’atteigne pas les 5 millions d’habitants de sitôt et sans préparation. La république de Port-au-Prince étouffe Port-au-Prince.

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Par Nesmy Manigat