82 % des enfants nés en milieu rural en Haïti ne sont pas enregistrés à l’état civil et n’existent pas légalement. Ils sont ainsi privés de leurs droits sociaux notamment en matière de santé et d’éducation. C’est le cas de plusieurs milliers d’enfants dans le Plateau central.
Nous sommes à Lacaboye, petite localité de Aguahedionde, troisième section communale de Hinche. Dans cette maison vit une famille de cinq enfants. L’aîné est majeur et les autres ont déjà plus de dix ans. Aucun d’entre eux ne va à l’école et ne dispose d’un acte de naissance. Leur père, Marcel Marcelus, n’a pas fait les démarches auprès des officiers de l’état civil pour des raisons pécuniaires. « Une fois passé le délai légal pour les papiers, les officiers réclament une quantité d’argent sur chaque mois qu’aurait vécu l’enfant jusqu’à son âge actuel. Je suis allé faire un acte de naissance pour un enfant de 12 ans, l’officier m’a fait payer 50 gourdes par mois jusqu’aux 12 ans de l’enfant. Pour moi, c’est beaucoup d’argent. Je n’ai pas les moyens de faire un acte de naissance pour chacun de ses enfants qui ont déjà atteint plus de dix ans », une situation privant ces enfants de leurs droits à l’éducation. Certaines écoles publiques de la communauté Hinchoise acceptent des enfants du CEP au CM2, même sans papiers. Après l’École élémentaire, sans acte de naissance, tout s’arrête pour ces enfants. À l’heure de l’examen d’entrée au Lycée, une pièce d’identité est obligatoire.
Un état civil pour exister
L’agent du département de Service de Protection des Enfants de la World Vision, Vilherne Petit-Frère, qui nous accompagnait lors de la visite, explique les multiples raisons pour lesquelles les parents omettent encore de déclarer la naissance de leurs enfants.« La méconnaissance de l’importance du document en est une, d’ailleurs certains parents n’ont eux-mêmes pas de certificat de naissance. Ils ignorent à quoi cela sert de toute façon. Ils ne connaissent pas non plus les exigences légales qui imposent une autre procédure pour les déclarations tardives de naissance ». Dans certains milieux, poursuit Vilherne Petit-Frère, les bureaux d’enregistrement sont difficiles d’accès et cela exige des frais de transport compte tenu de la distance. Il existe également une stigmatisation par rapport aux distinctions faites dans les actes de naissances (déclaration père, déclaration mère, déclaration simple) – Système de décrets (arrêtés), etc. La femme ayant eu un enfant avec un homme, attend de celui-ci qu’il le déclare lui-même, en tant que père, à la naissance de son enfant. Et la mère doit faire face à des stéréotypes sociaux quand elle doit elle-même déclarer la naissance de son enfant en dehors des liens du mariage, même quand la loi lui donne le droit de le faire. Dans les milieux ruraux, les gens dépensent de 50 à 3 000 gourdes pour un acte de naissance. Et compte tenu du manque de disponibilité des registres et formulaires dans les bureaux d’état civil, certains officiers se permettent d’imprimer eux-mêmes leurs registres, donc des parents se retrouvent souvent avec un faux acte de naissance et l’enfant n’est pas réellement enregistré. Selon les derniers résultats de l’EMMUS VI, le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans enregistrés à travers tout le pays s’élève à 85 %. Le département du Centre accuse 77 %, le Nord 90 %. Les résultats de YHBS (Youth Healthy Behavior Survey) conduite par la WVIH en 2016, dans les zones d’intervention de la World Vision (Nord, La Gonâve et Plateau Central) ont démontré que seulement 71,6 % des enfants ont un certificat de naissance.
La procédure en vigueur
Selon le Code civil haïtien, la déclaration de naissance doit être enregistrée par l’officier d’état civil dans les 25 mois (au lieu d’un mois dans la rédaction antérieure) de la naissance. Au-delà du délai légal, une procédure judiciaire permettant au Doyen du tribunal de première instance d’autoriser l’enregistrement tardif d’une naissance est requise en rendant : soit un jugement de Déclaration tardive de naissance, si les parents du requérant sont vivants ; soit un jugement de Tenant lieu d’acte de naissance, si les parents du requérant sont décédés. Le système d’enregistrement des actes de naissance en Haïti est très compliqué et engendre beaucoup d’erreurs. Le système de remise, de fermeture, d’authentification et de transmission des registres présente énormément de risques, de perte, de falsification. Avant d’être remis aux Officiers, les registres étaient censés être scellés et signés, page par page, par le Doyen du Tribunal civil. Cette procédure n’est jamais respectée parce que le Service national d’Inspection et de Contrôle d’état civil ne dispose pas suffisamment de registres pour remettre aux Officiers. De plus, il n’existe pas d’orthographe officielle pour les noms de famille haïtiens. Chaque Officier a la latitude d’écrire le nom comme il l’entend.
L’implication de la World Vision
L’organisation non gouvernementale met en œuvre des activités pour contribuer à l’amélioration du système de déclaration à la naissance et la décentralisation de l’enregistrement des naissances. World Vision aide les parents à travers des actions de sensibilisation et de formation, les visites domiciliaires, la mobilisation des officiers d’état civil, des Comités de protection de l’enfant, des groupes de jeunes et des groupes d’Action Communautaire (GAC). Des campagnes de sensibilisation ont été faites sur l’enregistrement à la naissance. Le plaidoyer de World Vision commence déjà à approcher les directeurs départementaux de santé publique de ces zones d’intervention ainsi que le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique pour encourager et faciliter la mise en place de mécanismes favorisant la déclaration des enfants à la naissance.
Aljany N. Zephirin