
L’usine sucrière Jean Léopold Dominique de Darbonne est actuellement exploitée en deçà de son potentiel. La maigre subvention annuelle de l’Etat et les retards de décaissement réduisent son alimentation. Le Comité de gestion à sa tête préconise un partenariat public-privé pour un meilleur rendement.
Avec désolation, Emmanuel Beaummier, secrétaire du Mouvement des cultivateurs et distillateurs de Léogâne, montre l’état des terres avoisinant l’usine sucrière Jean Leopold Dominique de Darbonne. Ces terres de la troisième section Grande Rivière, l’une des zones les plus arrosées de la plaine de Léogâne, alimentaient l’usine en canne à sucre depuis son lancement en 1983. « Vous voyez ! s’exclame Edgard Beaummier, les terres agricoles sont maintenant occupées par des maisons construites par des ONG après le séisme sous le regard passif des autorités. » A l’intérieur d’une grande clôture, l’usine sucrière de Darbonne est là avec un vrombissement léger de moteur et quelques hommes assis à l’entrée.
Grosse usine, faible rendement
Nous sommes au mois de mai, la zafra n’a même pas encore commencé. Cette période de coupe de canne à sucre doit débuter le 15 janvier pour prendre fin le 15 avril. Au-delà de cette période, à cause des pluies, le taux de saccharose dans les cannes baisse et leur rendement n’est plus le même. Cette année encore, un retard de décaissement des 25 millions de gourdes de subvention annuelle de l’Etat retarde la zafra. Cette subvention est pourtant essentielle pour lancer les réparations dans l’usine, sur les routes agricoles et aussi pour acheter la canne des cultivateurs. Chaque année, la zafra crée une activité économique non négligeable à Léogâne avec plus de 2 000 emplois. Lorsqu’elle commence à temps, l’usine broie au moins 40 000 tonnes de cannes pour produire 34 000 sacs de sucre. En 2005, 60 000 tonnes de cannes broyées ont produit 52 000 sacs de sucre et 20 000 barils de sirop. L’année dernière, à cause du retard de décaissement, seulement 7 000 tonnes ont été broyées.
Une tonne de canne à sucre produit normalement 130 grammes de saccharose pour 1,25 sac de sucre. Il faut extraire tout le sucre des grades A, B et C pour obtenir finalement de la mélasse. L’usine de Darbonne produit seulement le sucre de grade A. Les distillateurs achètent le sirop riche en sucre de grade B et C pour produire du clairin. Ainsi, l’usine produit 0,8 sac de sucre par tonne de canne. « Dans nos moulins traditionnels, la canne broyée rend seulement 40 % de son jus, alors que l’usine de Darbonne les broie jusqu’à 98 % de leur jus, explique Edgard Beaummier. Avec la bagasse générée, l’usine produit l’électricité pour sa consommation et le surplus est vendu sur le réseau de l’EDH. »
Baisse de la production de canne
Jusque vers 1970, Haïti exportait du sucre à l’étranger grâce aux usines Hasco dans l’Ouest, Welsh dans le Nord et la centrale Dessalines dans le Sud. En 1980, l’Etat achète l’usine de Darbonne à l’Italie pour 70 millions de dollars. Elle avait une capacité de broyage installée de 3 000 tonnes de canne à sucre par jour. A partir 1987, dans le cadre des politiques néolibérales mises en place, elle a été fermée durant environ quinze ans. L’introduction d’éthanol frelaté sur le marché à la fin de l’année 1999 a causé une mévente du clairin à l’échelle du pays et occasionné la fermeture de distilleries et une baisse drastique de la production de canne à sucre. Sous pression des producteurs de Léogâne, le gouvernement a financé les travaux de réparation de l’usine de Darbonne et relancé son fonctionnement à 50 % de sa capacité.

Autrefois, l’usine HASCO prenait chaque année 120 000 tonnes de canne à sucre à Léogâne. Au début des années 1980, près 6 600 hectares de terres étaient plantés en canne à sucre. Actuellement, la superficie se situe autour de 2 500 hectares pour un volume de production de 35 tonnes à l’hectare. Les producteurs investissent très peu dans la culture de canne à cause des retards réguliers de l’usine. La commission de gestion de l’usine, dans ses rapports annuels, recommande un partenariat public-privé pour une meilleure gestion de celle-ci. Elle préconise l’introduction de nouvelles variétés de canne à sucre pour augmenter le rendement à l’hectare. A cause de la décote de la gourde, la hausse des prix des produits pétroliers et des coûts de réparation, les 25 millions de gourdes de subvention ne suffisent pas. C’est ainsi que la firme américaine BioTek négocie avec l’Etat haïtien pour participer à une exploitation plus rationnelle de l’usine.
Ralph Thomassaint Joseph