Né au Nouveau-Brunswick de parents haïtiens, Henri Pardo a tour à tour été acteur, metteur en scène et réalisateur avant de se lancer dans le documentaire avec la série Black Wealth Matters qui est diffusée le jeudi soir sur MAtv. En 10 épisodes, la série aborde de nombreux sujets, apportant un éclairage nouveau sur les membres de la communauté noire québécoise.
Les 10 épisodes de la série documentaire Black Wealth Matters (BWM) diffusée sur MAtv jettent un regard sur des acteurs noirs du Québec (majoritairement d’origine haïtienne) qui bâtissent à leur manière des richesses futures pour leur communauté. La série télé, qui devait à l’origine être consacrée au Forum économique international des noirs (FEIN), suit, le jeudi à 21 h, des professionnels, historiens, professeurs, artistes et entrepreneurs afin de discuter des différentes facettes conduisant au succès économique des communautés noires. Rappelons que cette première édition du FEIN, qui devait avoir lieu en novembre 2015, a été reportée à novembre 2016 quand sa fondatrice, Kerlande Mibel, a décidé de se lancer dans la course à la mairie de Montréal-Nord (épisode 5). Pour donner un avant-goût du FEIN 2016, Kerlande Mibel organise alors un événement en novembre 2015, qu’elle appelle la Non-Conférence FEIN.
Une série multithématique
Lorsqu’Henri Pardo, l’homme derrière la série, assiste à cet événement, il est enthousiasmé de finalement rencontrer « des gens dans différentes sphères d’activités, qui ont quelque chose de moderne et de positif à dire et qui veulent construire quelque chose ensemble ». Celui qui œuvre dans la fiction en tant que comédien et acteur a senti une flamme monter en lui. Même s’il n’a jamais réalisé de documentaire, il réussit à convaincre MAtv d’adopter la série qui venait de changer d’allure : « Cette plante-là qu’est le FEIN, elle était vivante et elle a changé. C’est la magie du documentaire ! C’est comme jardiner. Tu ne sais pas ce à quoi la plante va ressembler ou quand la pluie va tomber, tandis que dans la fiction, tu contrôles tout. Le documentaire, c’est tout le contraire. »
Pris de court, alors qu’il devait livrer le premier épisode au début du mois de mai suivant, Henri Pardo s’adapte. « J’ai dû m’ajuster et faire des thématiques, explique-t-il. J’ai compris que la série devenait un peu le Forum, parce que ça respectait vraiment les mêmes préceptes ancrés sur l’éducation, basés sur notre histoire, les technologies et les sciences, les succès d’hommes d’affaires, sur comment re-posséder nos lieux comme des quartiers, etc. Avec la série, je vais chercher une cote d’écoute de 40 000 personnes environ et le Forum lui-même va chercher environ 500 personnes. Donc, nous devenons des vases communiquants : le Forum m’aide et j’aide le Forum. »
La série documentaire aborde de nombreux sujets : l’investissement immobilier et la réappropriation des quartiers, consommer noir, la transmission des savoirs, les nouvelles technologies, le pouvoir politique, les médias et l’économie locale. Ce que le réalisateur veut transmettre c’est « notre amour-propre, l’amour que j’ai pour cette famille-là que je continue à découvrir. Avant, ça m’effrayait car je n’étais pas comme certains Haïtiens puis j’ai compris que, dans le fond, nous sommes tous tellement différents. Je n’accepte plus les définitions qu’on m’a imposées, les définitions blanches. Donc, c’est une série sur “être fier”. Je rencontre des gens qui sont “fucking fiers” d’aider leur prochain ! »
Un père très impliqué en Haïti
Cette fierté noire, cette quête identitaire, Henri Pardo lui-même y a été confronté. « Je suis né au Nouveau-Brunswick au mois de février, dans un banc de neige. J’ai pratiquement été élevé par des fermiers. J’ai fait du ski-doo. J’ai pêché, j’ai chassé le chevreuil, raconte-t-il avec humour. C’est ça mon enfance, pendant que ma mère, enseignante monoparentale, s’occupait de deux ados et travaillait d’un village à l’autre. Quand nous sommes arrivés à Montréal, j’avais 9 ans. Cela a été un point marquant de ma vie. Cela a été formidable parce que j’ai atterri à Côte-des-Neiges à l’école St-Pascal où sur 300 étudiants, je pense qu’il y avait 62 nationalités différentes. C’était un “breath of fresh air”. Dans les années 80, il n’y avait rien de fier à être Haïtien. Ma mère souffrait beaucoup à cause de son exil, nous ne parlions donc pas beaucoup d’Haïti. »
L’entrevue se fait de plus en plus intimiste et les confidences d’Henri sur son passé reflètent son besoin de mettre au monde cette série documentaire. « À Outremont, j’ai commencé à faire du théâtre. Mon “haïtienneté” était loin de moi, explique-t-il. J’ai même été militant noir au-delà d’Haïti. J’allais à la source. J’ai lu Cheikh Anta Diop. J’ai capoté ! J’étais un jeune, j’avais 20 ans. J’ai fait du théâtre avec le Black Theater Workshop sur l’histoire des noirs. Puis je suis revenu en Haïti quand mon père est décédé. Mon père, qui était enseignant et avocat, m’a longtemps éloigné d’Haïti car son absence, due à sa présence en Haïti où il donnait beaucoup de temps, a fait en sorte que je ne voulais rien savoir ni de lui ni d’Haïti qui le gardait loin de nous. Puis, malgré son décès, j’étais en colère contre mon père, parce qu’en tant qu’Haïtien autoritaire comme ce n’est pas possible, même dans sa mort il m’obligeait à me rendre en Haïti pour ses funérailles, ce que je ne voulais pas faire. J’y suis allé à cause de ma mère. Je suis allé là-bas et j’ai cherché le trouble ! J’ai cherché mon demi-frère partout car je me suis dit, je suis sûr que mon père a été infidèle à ma mère [Henri nous a confirmé qu’il n’avait pas de demi-frère, NDLR]. Tout ça a changé quand un jeune du quartier m’a dit : merci de nous avoir donné ton père. Là, j’ai réalisé ce que mon père a fait là-bas. J’ai vu l’école qu’il a fondée (École Jean-Jacques Dessalines aux Gonaïves), j’ai vu une ville entière pleurer leur maître, leur prof. J’ai vu tout ce monde-là être mille fois plus triste que moi, même dans ma rage. Et ça m’a juste fait constater que, dans le fond, il a fait des grandes choses et que ce pays-là est grand. J’avais 26 ans. Le 7 juillet, cela fera vingt ans qu’il est décédé. C’est là que les choses ont changé. Je suis revenu. J’ai “dealé” avec mes “father-son issues”. J’ai appris que les grands hommes ne peuvent pas nécessairement être de bons papas. Moi, je serai ce bon père-là avec mon fils. »
« J’ai eu peur de ne pas être aimé »
Les barrières continuent à se dresser devant Henri lorsqu’il veut apprendre le métier de comédien au Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec : « Je suis entré au conservatoire. On m’a fait mal. Ce ne sont pas des pédagogues, je pourrais en parler pendant des heures ! Tout ce que j’avais de feu, de volonté en moi, on l’a cassé. Donc, j’ai perdu ma force j’ai perdu ma colère, j’ai perdu mon enthousiasme, mon goût du risque. J’ai eu peur d’être mauvais, de ne pas être aimé. On m’a jeté dehors du conservatoire. Ça m’a pris deux ans à rebâtir ma confiance et ma carrière. Puis, j’ai réalisé un jour que ce n’était même pas comédien que je voulais être mais metteur en scène… sauf que là, je faisais plus de cinéma et de télévision que de théâtre. Donc, je suis allé à l’INIS (Centre de l’Image et du Son), à 35 ans, et j’ai appris mon métier de réalisateur. Tout ça, dans la volonté de raconter d’autres histoires car je plafonnais. Il n’y avait pas beaucoup de rôles pour les noirs. Mais la peur était toujours présente tout comme la responsabilité de faire vivre ma famille. Donc, j’ai fait beaucoup de pubs, du corporatif. Mais entrer dans l’industrie du cinéma, même problème, ça n’a pas marché. Alors, je me suis que j’allais faire les choses pour moi, à ma manière ! Et là, je travaille. »
C’est ce parcours qui a fait réaliser à Henri qu’il ne peut aller à l’encontre du sang qui coule dans ses veines. Maintenant, son propre reflet se retrouve à travers son art et dans Black Wealth Matters, il tient à ce qu’on découvre « des gens influents qui sont très allumés. Il y a une espèce de remaniement de rôle dans la communauté. J’ai comme l’impression que ces jeunes-là, qui sont nés ici, sont allés à l’école ici et ont graduellement découvert la fierté d’être noirs, d’être Haïtiens, veulent passer à autre chose. J’ai l’impression qu’il faut juste dire je serai solidaire », dit-il.
Dans dix ans, il espère que le legs de Black Wealth Matters sera « de le voir comme un moment déterminant ». « J’espère que dans dix ans on dira que j’ai contribué à donner ce goût au changement que ces jeunes vivent, explique Henri Pardo. À cause de ce moment charnière de transformation, peut-être que dans dix ans il va y avoir quinze business issus grâce aux personnes qui se trouvent dans cette série documentaire. »
http://matv.ca/montreal/mes-emissions/black-wealth-matters
Will Prosper
