Depuis 2010, les autorités proposent de nouvelles normes à appliquer dans les chantiers. Entre autres, le Guide de bonnes pratiques pour la construction de petits bâtiments en maçonnerie chaînée et le Code National du Bâtiment d’Haïti (CNBH) destinés aux propriétaires et aux professionnels de la construction. Il y a lieu de les diffuser à une plus grande échelle.
Par Guamacice Delice
Le premier document présente les recommandations à suivre pour que les bâtiments en béton armé et en blocs de béton creux d’usage courant en Haïti soient en mesure de résister de façon sécuritaire aux séismes et aux ouragans. Le second, long de 176 pages, s’applique à la construction, la rénovation, la réhabilitation et l’agrandissement des petits bâtiments résidentiels conventionnels. Si le MTPTC organise régulièrement des séances de formations spécialisées au bénéfice des promotions sortantes des entités de l’Institut National de Formation Professionnel (INFP), il est un fait que sur le terrain les professionnels formés sur le tas sont aussi importants, voire plus nombreux que ceux venant des centres de formation. D’où la nécessité de diffuser à grande échelle ces nouvelles règles.
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Construire sur des bases sûres
En Haïti, après chaque période d’intempéries, le problème de la construction anarchique refait surface. Celle-ci serait responsable en grande partie des dégâts et des pertes en vies humaines enregistrés au cours des cyclones et des séismes. Ces constructions sont localisées le plus souvent dans les zones dites à risque : aux confins des ravines ou dans les pentes abruptes, dans les zones d’éboulements et d’alluvionnement, sur les pentes instables, sur les déchets, entre autres. Après le tremblement de terre du 12 Janvier 2010, qui a coûté la vie à plus de 250 000 Haïtiens, la question était devenue si préoccupante que la nécessité d’une nouvelle approche dans la construction a été longuement posée. Pour éviter que les maisons ne tuent autant de personnes lors des catastrophes naturelles, il est important qu’elles soient construites sur des bases sûres. Après son « Guide de bonnes pratiques pour la construction de petits bâtiments en maçonnerie chaînée en Haïti », de septembre 2010, le Ministère des Travaux Publics Transports et Communication (MTPTC) a publié en janvier 2013, le Code National du Bâtiment d’Haïti (CNBH), qui s’adresse aux professionnels et propriétaires de la construction. Cet instrument, peu connu auprès du public cible, aurait deux objectifs : « la sécurité, la santé et le bien-être général des usagers », d’une part, et d’autre part, « l’accessibilité, la résistance structurale et la stabilité indépendamment des sollicitations et aléas considérés, la salubrité, l’éclairage, la ventilation, l’efficacité énergétique et la protection incendie ».
Il faut d’emblée assurer que les membres des couches défavorisées de la population ne sont pas les seuls à construire de manière anarchique. Des édifices de l’Administration Publique haïtienne ont été érigés au mépris de toutes normes. Certains d’entre eux étaient bien avant des maisons résidentielles dont l’État allait faire l’acquisition pour installer ses bureaux sans se soucier de l’environnement et des conditions d’élévation. On se souvient de cette fameuse photo de Kenol Aurélus qui a fait le tour du monde où il a pris en direct la chute du siège central de la Direction Général des Impôts (DGI) à Port-au-Prince en cette fin d’après-midi du 10 janvier 2010. Le bâtiment du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique a été détruit au même moment, tuant des cadres dont le professeur Micha Gaillard. Des édifices imposants comme le Palais de Justice n’ont pas pu résister à cette secousse de 7.2 sur l’échelle de Richter mettant un terme à la vie du doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, Me Carvès Jean. 6 ans après, la reconstruction avance à pas de tortue. Les dirigeants politiques se réjouissent du caractère antisismique et anticyclonique des locaux du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, du Ministère du Commerce et de l’Industrie, nouvellement érigés au Champ-de-Mars. D’autres édifices comme ceux de la Direction Générale des Impôts (DGI), de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti et de l’Administration Générale des Douanes sont en phase avancée. Cependant, ces constructions sont exécutées par des firmes étrangères qui appliquent les normes nationales et internationales dans ces chantiers. Les familles laissées sans-abri par cette catastrophe naturelle n’ont pas ce privilège et utilisent quant à eux des ingénieurs et des maçons formés sur le terrain. Certains de ces derniers, en particulier ceux qui militent dans le secteur avant 2010, ont cherché à se recycler, mais d’autres continuent à professer sans se donner la peine d’appliquer les nouvelles règles en matière de construction.
Les fondements de la construction sûre
Toute construction sûre repose sur les fondements « légal, environnemental et physique ». Ceux-ci font partie des principes à respecter et constituent une garantie pour la sécurité des occupants, selon le Ministère de la Santé Publique et de la Population. Le premier principe à respecter concerne le titre de propriété qui inclut un acte de vente notarié, le procès-verbal de l’arpentage et le reçu d’enregistrement de la Direction Générale des Impôts (DGI). Le Code National du Bâtiment Publique attire l’attention sur l’importance d’un permis de construire, qui doit être obtenu de la Municipalité : « La municipalité s’assure que les informations requises, y compris le titre de propriété, sont fournis au dossier d’application, que le plan en question est conforme au code de construction et que le terrain n’est pas localisé dans une zone à risque ou protégée ». La demande du permis de construire, qui doit être transmis au MTPTC dont l’avis technique positif est indispensable, doit être accompagnée d’un dossier en trois copies contenant les renseignements sur la maison à construire, sur la localisation du terrain, les pentes du site, la nature du sol. Le dossier tient aussi compte des « risques sismiques, cycloniques et d’inondation du terrain ». Les photos de celui-ci « prises sur différents angles, les plans d’ingénierie pour chaque niveau de la maison, une copie du titre de propriété et du plan d’arpentage et une de la patente de l’ingénieur ou de l’architecte le cas échéant » sont également requises.

Des documents élaborés par les autorités haïtiennes et partenaires regorgent de mise en garde par rapport aux aspects environnementaux de la construction. En 2016, un almanach de MSPP, DINEPA, Ministère de l’Intérieur, l’INFP, Collège National des Ingénieurs Haïtiens, le Nouvelliste, entre autres, découragent de construire, par exemple, au bord des ravines, des rivières et sur les pentes abruptes. La distance entre celles-ci et une construction doit être d’au moins 10 mètres. Le MTPTC et le MICT interdisent donc de construire dans des zones inondables, au-dessus d’un canal d’irrigation, sur les déchets, sur les pentes instables, sur les zones d’alluvionnements, d’éboulement et sur tout terrain instable, avec un « sol meuble, liquéfiable, d’argiles molles, marécageux ou de mangrove ». Tout cela, dans un souci de protéger les occupants. La maison ne devrait plus représenter une menace pour la vie des personnes.

passage du séisme, la plupart des constructions comportent des ceintures en béton
Par rapport à l’aspect physique et aux matériaux constituants du bâtiment, le Guide de bonnes pratiques pour la construction des petits bâtiments en maçonnerie chaînée en Haïti (2010) conseille « d’opter pour des formes régulières comme les carrés et les rectangles », soutenant que « les formes de bâtiments en L ou en T, par exemple, se comportent mal lors d’un séisme ». Les concepteurs de ce document désapprouvent la création de poteaux courts au rez-de-chaussée et à l’étage. « Le concept de maçonnerie chaînée permet d’éviter les poteaux courts », suggèrent-ils. Ils imposent en outre que les murs de cisaillement dans un bâtiment régulier soient distribués dans les deux directions principales du bâtiment. Ce recueil de conseils pour la maçonnerie chaînée montre plus loin que les édifices dont le rapport longueur / largeur est inférieur à 4 résistent mieux aux secousses sismiques.
En ce qui concerne les poutres, il ne suffit pas de les placer « sans joint de continuité, simplement sur un poteau ». Selon le Guide de septembre 2010, « (…) la continuité et la ductilité sont assurées par des barres d’armature entre les éléments structuraux et des étriers en qualité suffisante ». L’épaisseur du joint, qui doit être rempli, est de 10 mm, si l’on en croit le CNBH, dont la vulgarisation est en cours, notamment à travers les écoles de l’Institut National de Formation Professionnel (INFP).
En effet, le Ministère des Travaux Publics Transports et Communication organise des ateliers de travail régulièrement avec les étudiants de l’INFP, confirme Yolanne Théogène M. Dumas, formatrice au Centre Pilote de Formation Professionnelle. Madame Dumas révèle que les enseignants de cet établissement utilisent le Code National du Bâtiment d’Haïti dans le cadre des cours. Elle insiste sur le concept de maçonnerie chaînée qui a été systématisé en Haïti depuis le passage du séisme du 12 janvier 2010.
Nécessité de former les maçons
La maçonnerie chaînée est le concept que le maçon Cosnel Izrael a le plus maîtrisé et utilisé pour les nouvelles approches de la construction post-séisme. Il l’utilise dans sa propre maison qui reçoit un deuxième niveau actuellement, se réjouissant que le bâtiment érigé avant 2010 ait les bases adéquates. Néanmoins, l’usage de ces nouvelles pratiques dépend de la capacité du propriétaire d’un chantier de construction. Celui-ci peut ne pas opter pour la maçonnerie chaînée, par exemple, arguant qu’il n’en a pas les moyens, explique le professionnel de la construction, qui souligne par ailleurs que ses honoraires seront plus élevés s’il construit en maçonnerie chaînée. Malheureusement, M. Izrael n’a reçu aucune formation particulière sur le CNBH. Il a eu contact avec certaines règles par observation et en côtoyant d’autres collègues. C’est la même situation pour son confrère Marcel Velny, formé sur le tas aux nouvelles normes. Interrogés sur les pratiques qu’ils s’imposent après 2010, la maçonnerie chaînée revient souvent rappelant le principe qui veut que « l’ouvrier travaille au goût du maître ».
Il reste beaucoup à faire pour généraliser le concept de la construction sûre en Haïti. Il faut noter que les entités comme le notaire, la mairie, le MTPTC, l’ingénieur et architecte, le DINEPA, l’ED’H, les quincailleries et les centres de formation professionnelle sont concernés par un processus de construction. Que de constructions sont déclarées fermées par la mairie pour être envisagées dans une zone protégée ou sont menacées de démolition faute de titre de propriété. Dans bien des cas, c’est une rivière ou une ravine ou encore un séisme, voire un cyclone, qui terrasse votre maison parce que vous n’aviez pas opté pour une construction sûre.