Dans tous les domaines de la vie, politique, économique, technologique… de grandes mutations s’opèrent. Le secteur de la construction n’échappe pas à ce fait. Construire autrement aujourd’hui est plus qu’une nécessité, c’est un devoir. Nos ingénieurs, nos architectes doivent se mettre au diapason des nouvelles techniques de construction.
Par GeorGes E. Allen
L’habitat social en Haïti doit être repensé. Tous les professionnels de la construction s’accordent sur cette évidence. En effet, parmi toutes les réalités qui justifient la nécessité de construire autrement, deux sont d’ordre majeur. Premièrement, les risques sismiques qui pèsent sur Haïti. Deuxièmement, la concurrence qui s’est établie depuis quelques années entre les firmes de construction locales et les compagnies étrangères, notamment les entreprises de construction de la République Dominicaine. Concurrence qui allait s’accentuer au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a ouvert le grand chantier de la reconstruction en Haïti. L’industrie haïtienne de la construction a toujours connu la croissance en dépit du fait que l’État en général, les gouvernements passés en particulier , n’ont pas toujours eu de véritable politique de logement. Selon des chiffres rendus publics par la AMCHAM (la Chambre de commerce américaine) en juillet 2015, ce secteur avait créé dans le pays près de 200.000 emplois directs et indirects. Plus que jamais, alors qu’Haïti fête les sept ans du séisme ravageur, une grande interrogation liée à l’industrie de la construction se pose. De quels genres de bâtis avons-nous besoin aujourd’hui ? Ici intervient le paradigme de l’innovation.
‘’Les importateurs et distributeurs de matériaux de construction ont un grand rôle à jouer en ce sens. En première analyse, ils se doivent de participer à des foires internationales sur la construction ; question d’identifier des systèmes nouveaux et innovants pour ensuite les reproduire ici en Haïti…’’, a conseillé Daniel Jadotte, propriétaire de la quincaillerie CERAMEX et également chairman du comité de construction de la Chambre de commerce américaine. L’homme d’affaires n’est pourtant pas dupe, sachant clairement que des systèmes et techniques en vigueur dans d’autres pays ne seront pas applicables en Haïti pour la simple et bonne raison que la maintenance ne fait pas partie intégrante de notre culture. ‘’ Malheureusement, en Haïti l’entretien n’est pas dans nos habitudes. Plus d’une fois, nous avons reconstruit ou réhabilité les routes du Nord et du Sud par exemple. Ce, à cause d’un dé cit de maintenance. Ce qui constitue un vrai problème dans ce pays…’’, a déploré Monsieur Jadotte. En somme, l’absence de service d’entretien périodique représente un frein à l’innovation dans le secteur de la construction en Haïti.
L’appropriation des produits innovants

Le marché de la construction qui est porteur de croissance est aussi un domaine très dynamique. La stagnation et l’archaïsme sont un choix déficitaire à ne pas faire. Grâce à la technologie, les produits, outils et matériaux de construction sont de plus en plus raffinés et sophistiqués. Intervient ici un point paradigmatique qu’est la formation professionnelle. Malheureusement, il n’existe toujours pas en 2016 de cursus de formation à la pointe de la technologie à l’INFP (Institut national de formation professionnelle), entité étatique créée par le décret-loi du 14 Mars 1985 et placée sous la tutelle de la Secrétairerie d’État à la formation professionnelle. ‘’ L’absence de formation professionnelle appropriée et adaptée aux nouvelles réalités de la construction constitue un autre frein pour le secteur…’’, a souligné avec amertume Daniel Jadotte. Pour exemplifier, il ajoute : ‘’ La plaque de plâtre, appelée en anglais ‘’Sheetrock’’, est devenue à la mode et très utilisée dans la construction en Haïti depuis le tremblement de terre pour son caractère parasismique. L’incroyable est qu’à l’INFP il n’existe pas de techniciens formés dans l’utilisation et l’installation de ce produit. Après le séisme, les grands projets internationaux de construction qui nécessitaient l’application du Sheetrock ont été confiés à des firmes étrangères puisqu’Haïti ne disposait pas de professionnels en la matière…Des ouvriers dominicains notamment ont eu la part belle.’’ Ce problème de formation d’ouvriers, de techniciens professionnels, soulevé par cet homme, trentenaire dans l’importation et la vente de matériaux de construction, explique en partie le monopole octroyé par l’État haïtien à un groupe dominicain comme Estrella qui avait emporté 376 millions de dollars de contrat sous l’administration de Michel Martelly.
Respect des normes, un défi…
De plus en plus d’institutions et de particuliers font appel aux ingénieurs et architectes quand il s’agit de la construction de leurs bâtiments commerciaux ou leur logis. Ce réflexe de s’en remettre aux professionnels de la construction s’est accru après le cataclysme de 2010. Toutefois, l’autoconstruction est pratiquée par une majorité significative de personnes en Haïti. Pour réduire les risques de cette pratique, trois ouvrages à l’usage des professionnels de la construction ont été publiés, il y a six ans, par le ministère des travaux publics transports et communications (MTPTC) dans lesquels sont prises en compte les menaces sismiques et cycloniques qui pèsent sur le pays. Le Guide des bonnes pratiques pour la construction de petits bâtiments en maçonnerie chaînée en Haïti, le Guide de renforcement parasismique et paracyclonique des bâtiments ; Le Code national du Bâtiment D’Haïti (CNBH), représentent trois ouvrages élaborés à l’intention des architectes, des ingénieurs, voire des contremaîtres et des maçons… Paradoxalement, les normes de construction en vigueur ne sont pas toujours respectées. ‘’Il faut la création d’institutions fortes qui pourront contrôler et faire respecter les normes et les règlements en matière de construction…’’ a plaidé l’architecte Yva Salvant, conseillère au comité de direction du CNIAH (Collège National des Ingénieurs et Architectes Haïtiens). Les innovations dans la construction, outre l’aspect esthétique, doivent répondre à certaines contraintes comme le climat, la situation géographique du pays et l’espace environnemental entre autres.
‘’Récemment des membres du CNIAH ont participé à un programme assez intéressant qui traitait de la construction en Bambou… Je pense qu’il faudrait faire des recherches très poussées, explorer les possibilités de construire avec ce produit notamment en ce qui concerne les petites maisons ou les résidences. À cet effet, une politique de plantation à grande échelle du Bambou serait nécessaire…’’, a proposé Madame Salvant. L’approche innovante de l’architecte est d’autant plus cruciale qu’elle a fait remarquer que les maisons qui avaient pu résister au cataclysme de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter en janvier 2010 ont été, pour la plupart, des Gingerbreads (ancienne maison en bois construite à l’époque coloniale).

Matcon, un concept pour construire autrement
Depuis 2015, des professionnels de la construction : ingénieurs, architectes, contracteurs entre autres, se réunissent durant au moins trois jours par an pour faire la promotion de l’industrie de la construction en proposant des échanges constructifs pour mieux structurer cette sphère autour d’une foire baptisée Matcon. Cette activité à laquelle participent des dizaines de compagnies de construction est une imitative de l’AMCHAM dont les objectifs consistent à : Faciliter le développement des nouveaux projets de constructions pour la croissance des ventes et du marché de l’immobilier ; permettre aux entreprises locales de rencontrer des acheteurs potentiels et d’explorer des innovations en dehors de leurs secteurs ; soutenir les compagnies de construction dans leurs efforts visant à réglementer l’industrie de la construction.
Depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le terme Reconstruction, qui englobe dans une large mesure la construction, est non seulement à la mode mais prononcé dans presque tous les discours officiels.