Compétitivité, haïti doit se mettre au diapason

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PHOTOGRAPHIES PAR TIMOTHE JACKSON/ CHALLENGES
PHOTOGRAPHIES PAR TIMOTHE JACKSON/ CHALLENGES

Haïti est en 128e position sur les 137 pays répertoriés dans le rapport 2017-2018 du Forum Économique Mondial sur la compétitivité. Cela suscite tout un débat au sein la société haïtienne qui cherche à comprendre ce qui empêche Haïti d’être davantage performant mais aussi à trouver les meilleures solutions pour stimuler la croissance économique du pays.
Par Guamacice Delice

Le classement du forum économique mondial est fondé sur 12 éléments de progrès qui garantiraient la compétitivité d’un pays. Ces progrès doivent être remarquables dans les infrastructures, l’environnement macroéconomique, la santé, l’éducation primaire, l’efficacité du marché du travail, l’innovation, entre autres. » Or Haïti a affiché de faibles notes dans nombreux de ces domaines. Par exemple, pour la sophistication de ses entreprises et son innovation, Haïti est arrivé en dernière position (137e). 

Ses infrastructures le classent à la 136e place. Le pays est 135e pour l’efficacité du marché des biens et 134e pour le développement du marché financier et la maturité technologique. Son seul point positif réside dans son environnement macroéconomique (61e) et dans l’efficacité de son marché du travail.

Refaire un état des lieux
Si le classement d’Haïti a suscité de nombreuses questions, il n’a pas pour autant surpris. Les principaux acteurs du secteur privé des affaires, du gouvernement et de l’administration publique ainsi que les associations socioprofessionnelles savaient que la situation était grave . C’est dans cette perspective que leurs représentants respectifs avaient pris rendez-vous au Centre de Convention de la Banque de la République d’Haïti fin septembre à Port-au-Prince. Au cours de cette conférence internationale, l’état des lieux a été fait et les mesures pour redresser la barre ont été amorcées. Ainsi, un plan d’action 2017-2020 devait être proposé, suivi de la mise en place d’un secrétariat de réforme. Pour les acteurs de ce Forum sur la Compétitivité et l’Investissement 2017, les secteurs pouvant garantir la compétitivité d’Haïti sont les suivants : l’agriculture et l’agro-industrie, les technologies de l’information, le tourisme, la culture et les industries créatives, la construction et l’immobilier, l’énergie et les industries textiles. Le gouvernement haïtien semble avoir bien saisi et s’engage à « agir sur le cadre réglementaire ; définir une stratégie à adopter ; créer les infrastructures appropriées et en dernier lieu à faciliter les financements, notamment l’accès aux crédits ».

Le coup de colère d’Etzer Emile
La compétitivité d’Haïti nécessite de nombreux efforts : le renforcement et le maintien de la stabilité politique, l’augmentation du niveau des investissements publics au profit de la population, son attractivité aux investissements privés à travers un cadre légal adapté et un système de justice fiable, la lutte contre la corruption, le renforcement des programmes d’appui aux PME et des politiques liées à l’innovation, selon l’économiste Etzer Emile.
L’expert n’éprouve aucun complexe à accuser ses propres concitoyens. C’est « nous-mêmes » qui sommes seuls responsables du retard de notre pays par rapport à ses voisins dans le domaine de la compétitivité. « La gouvernance politique, économique et des entreprises, ne se révèle pas suffisamment efficace et innovante. Nous ne sommes pas compétitifs parce que nous avons failli à notre mission de construire et de maintenir des institutions fortes, des infrastructures adéquates et une économie solide », assène l’économiste haïtien. En ce sens, Etzer Emile questionne nos choix, nos actions et nos comportements, martelant que « nous n’avons pas travaillé dans le sens de la performance ».

UN SUPERVISEUR évalue la qualité des chaussures confectionnées.
UN SUPERVISEUR évalue la qualité des chaussures confectionnées.

Quatre propositions
Etzer Emile rêve d’un pays compétitif et offre ainsi plusieurs propositions dont certaines ont déjà été envisagées par les autorités politiques. La première consiste à « travailler au renforcement et au maintien de la stabilité politique ». Depuis 1986, l’instabilité politique demeure un mal récurrent en Haïti. Quand ce n’est pas le Coup d’État, ce sont les manifestations de rue qui débarrassent les gouvernements. Malheureusement, ceux qui récupèrent le pouvoir n’ont souvent pas la compétence de bien gérer la cité. Depuis 30 ans, le militantisme supplante le savoir-faire au niveau de l’administration haïtienne et l’illégitimité de certains élus fragilise la situation du pays de manière générale.
La deuxième proposition d’Etzer Emile est d’« augmenter le niveau des investissements publics au profit de la population ». Il faudrait remonter des décennies dans l’histoire d’Haïti pour retrouver un budget qui n’est pas en grande partie destiné aux dépenses. À titre d’exemple, 85 milliards des 144 milliards de gourdes du budget 2017-2018 sont destinés aux dépenses de fonctionnement de l’État.
« Rendre le pays plus attractif aux investissements privés à travers un cadre légal adapté et un système de justice fiable », c’est la troisième proposition de l’économiste Etzer Emile. Les agents du secteur privé et du secteur public n’ont pas cessé de dénoncer le problème de vétusté de la législation haïtienne. Cette situation désavantage les deux secteurs. Il existe trop de contraintes qui ralentissent énormément la marge de manœuvre du secteur privé. En outre, la question de la protection des biens privés reste un problème très sérieux à adresser…
Etzer Emile préconise enfin de « lutter contre la corruption ». Au niveau international, la corruption est présentée comme l’un des principaux obstacles au développement. Tous les auteurs qui abordent la question haïtienne estiment qu’elle est culturelle. Haïti est né dans la corruption, pour certains, allusion aux manœuvres des anciens libres, qui, afin de tout accaparer au détriment de la masse, eurent recours aux faux et usages de faux. Mais la corruption qui fait le plus de mal à Haïti aujourd’hui prend la forme de la contrebande. Ce que le Forum Économique du Secteur Privé appelle un fléau fait perdre entre 500 millions à 1 milliard de dollars au pays chaque année, selon les autorités. De plus, la concurrence déloyale qu’elle entraîne décourage l’investissement, comme le déplore l’Association des Industrie d’Haïti (ADIH)…
Il faut enfin « renforcer les programmes d’appui aux PME et les politiques liées à l’innovation et le financement », conseille Etzer Emile, qui croit qu’Haïti a intérêt à se concentrer sur le tourisme, l’agro-industrie, les mines, les industries créatives et les technologies.

Le suivi des forums est nécessaire
Invité à intervenir lors de la deuxième journée du FCI 2017, le professeur Daniel Isenberg de Babson College, Massachussetts, États-Unis, a proposé « la création d’écosystèmes d’entreprises alignées sur la croissance ». Cette stratégie est fondée, selon lui, sur la nécessité pour les entreprises haïtiennes de respecter les principes de la mise à échelle. Mais, ce forum n’est pas le premier du genre à avoir été organisé en Haïti depuis 2010. En mars 2012, les États Généraux de l’Investissement se réunissaient à Port-au-Prince avec presque les mêmes acteurs et le même régime politique. « Cet événement qui s’est donné pour objectif de replacer Haïti sur la carte mondiale des destinations des investissements privés nationaux et étrangers avait réuni plus de 450 participants et compté une cinquantaine d’interventions », comme il est écrit sur le site internet du Ministère de l’Économie et des Finances(MEF). Les discussions avaient débouché sur une « matrice d’actions » soutenue en Conseil des Ministres par le titulaire de l’époque, Wilson Laleau, en mars 2013. Les « trois principales mesures » retenues dans cette synthèse des discussions étaient : « la création d’une commission pour la révision du cadre légal des affaires, la création d’un centre de développement de l’entreprise et de l’entreprenariat et l’élaboration d’une politique industrielle ». On se demande alors pourquoi les assises de septembre 2017 n’ont pas été tenues autour du suivi de ces mesures ? Un bilan du suivi des États Généraux de 2012, s’il y en avait, aurait été un signe de continuité de l’État. Or, les spécialistes d’Haïti ne s’en étonnent pas. Pour eux, ce pays est un État d’évènement. On ne fait que créer ou attendre des évènements afin de dépenser de l’argent ou en solliciter davantage. Est-ce pour cela alors que rien ne change depuis si longtemps ?.

Le Petit Larousse définit la compétitivité tantôt comme une entité « qui est susceptible, grâce à ses qualités, à ses caractéristiques, de supporter la concurrence » tantôt comme une activité « qui offre ses produits à un prix tel qu’ils peuvent faire concurrence aux autres produits similaires sur le marché ». Pour le site economie.gouv.fr, la compétitivité « traduit l’aptitude pour une entreprise, un secteur d’activité ou l’ensemble des acteurs économiques d’un pays à faire face à la concurrence ». Généralement, on distingue la compétitivité des entreprises de celle de l’État. La compétitivité d’entreprise est présentée comme la capacité d’une entreprise « à faire face à la concurrence, c’est-à-dire à maintenir et à accroître ses parts de marché face à la concurrence des autres entreprises nationales ou étrangères ». Les investissements dans la recherche de développement et la capacité d’adaptation aux demandes spécifiques des clients sont aussi indispensables. La compétitivité d’État est, selon l’Union Européenne, la « capacité d’un État à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». Cette définition prend le contre-pied de l’idée largement répandue selon laquelle la compétitivité serait synonyme de performance à l’exportation. « Une nation est compétitive si elle parvient à accroître durablement le bien-être de ses habitants. Pour y parvenir, il n’y a pas d’autres choix que de chercher à accroître la productivité des facteurs de production », comme le précise le rapport européen de 2003 sur la compétitivité.

Les facteurs de compétitivité sont nombreux et certains sont les mêmes, tant pour les entreprises que pour les États. De plus, ils interfèrent souvent les uns avec les autres. Le site LCL.com en repère quelques-uns, dont le coût du travail, la durée du temps de travail, l’organisation du travail, la qualité du dialogue social et l’investissement en formation continue des salariés. Il y a également le coût des matières premières et de l’énergie, la qualité des produits fabriqués, le taux de change et la capacité des entreprises à trouver des capitaux. Pour finir, il y a l’effort de recherche et d’innovation dans les secteurs porteurs ainsi que le soutien à l’exportation, la prise en compte des facteurs de développement durable, la stabilité de l’environnement fiscal et social, l’existence d’une véritable politique industrielle et, plus généralement, les politiques publiques améliorant le cadre dans lequel évoluent les acteurs économiques. Celles-ci concernent, entre autres, la qualité des infrastructures, des réseaux routiers et de communication, et des services publics.