Tant que Haïti n’aura pas atteint un niveau satisfaisant de production pour les besoins locaux et l’exportation, la gourde restera une monnaie très faible par rapport au dollar. C’est pourquoi, comme l’estiment certains spécialistes, l’emphase doit être mise sur le secteur du textile qui s’est optimisé ces dernières années contrairement à l’agriculture. L’économiste William Savary analyse les fonctionnalités de l’exportation dans une économie de marché à laquelle Haïti est soumise.
Par Wandy Charles
«Quel que soit le montant, un pays n’exporte jamais assez », confie sans détour l’économiste William Savary, membre fondateur de « Haitian Stock Exchange ». Et Haïti n’échappe pas à cette règle. Cependant, aussi insuffisante ou significative soit-elle, l’exportation est presque une obligation. Le développement, la croissance de l’exportation, c’est la guerre commerciale. Le pays s’est aligné dans une perspective d’économie de marché, cet exercice devient un passage obligé pour continuer d’exister sur l’échiquier économique tel que le prescrit la Banque Mondiale, Le Fonds Monétaire International, la Banque Interaméricaine de Développement et bien d’autres institutions dont la politique est synthétisée dans le « Washington Consensus ».
Haïti s’est donc soumis à ce jeu où le marché est influencé par les pressions stratégiques des États-Unis, des organisations régionales dont CARICOM, NAFTA. Selon M. Savary, des 8 milliards de dollars de Produit intérieur brut d’Haïti, l’exportation n’atteint pas les 2 milliards. Ceci représente 15 % du PIB. L’économiste estime que cette somme est nettement inférieure par rapport à ce que pourraient générer les 30 à 40 % de la population active, soit 2 à 3 millions de travailleurs qui contribuent à la production dédiée à l’exportation. M. Savary insiste sur le fait que cette frange de la population peut agir davantage sur l’essor de l’économie nationale, laissant comprendre qu’Haïti dispose encore des ressources nécessaires. Par le passé, Haïti était un pays essentiellement agricole et exportait en quantité le cacao, le café, le coton, le vétiver et la mangue. L’Île caraïbe produisait aussi des céréales (riz, maïs…) et des vivres alimentaires en quantité suffisante pour la consommation locale.

Une agriculture en agonie
«Vu les pressions à la baisse sur les prix, la réduction extrême des tarifs douaniers, la dévaluation de la gourde, la pression à la hausse sur les équipements et outils nécessaires, le secteur agricole en Haïti est en agonie. Son apport au GDP est réduit et le secteur comme il est administré pendant plus de trois décades a du mal à contribuer de façon optimale à la croissance de l’économie nationale et au commerce extérieur », explique le PDG de la Société Haïtienne de Valeurs Mobilières S.A. Ainsi, on ne peut plus parler de l’agriculture comme un secteur porteur de l’économie nationale. L’exode rural, l’importation et le manque de moyen technique et financier constituent les véritables freins au développement de l’agriculture. Cependant pour inverser la tendance, William Savary propose de redynamiser le secteur, de transiter vers l’Agro-industrie et l’exploitation des ressources minières. « Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans cette forme archaïque, l’agriculture ne peut plus rapporter grand-chose à l’économie », regrette-t-il. Il faut, selon lui, une réforme en profondeur et la définition de nouvelles stratégies en matière de politiques agricoles. Cela inclurait une meilleure gestion de nos ressources naturelles et des expertises adéquates. La façon dont les ressources disponibles (la terre, l’eau, l’environnement) sont aujourd’hui exploitées ne peut générer des revenus qui correspondent aux besoins actuels. « Il faut l’engagement de nouvelles expertises, une réforme en profondeur et la conception de nouvelles stratégies en matière de politiques agricoles. Cela aboutirait à un meilleur rendement, une meilleure gestion de nos ressources naturelles ».

Le textile : secteur porteur de l’économie
En vertu de la loi Hope (1 et 2) adoptée par le congrès américain depuis les années 2006, le secteur textile haïtien a connu un essor considérable. Les avantages uniques qu’elle octroie ont permis au secteur de passer de l’industrie d’assemblage de tissus coupés à la manufacture de produits quasiment finis. Aujourd’hui, on peut s’approvisionner en tissus, même négocier avec les patrons, et fabriquer des vêtements étiquetés « Made in Haïti ». Ainsi le rendement par mètre carré dans l’industrie textile dépasse désormais celui obtenu dans l’agriculture. S’il y a environ 8 mille km2 de surface de plaine et de vallée cultivables, il n’est plus juste de définir Haïti comme un pays agricole, malgré ce que disent la plupart des experts en la matière. L’économiste William Savary plaide pour l’optimisation du secteur textile. D’abord, les entrepreneurs dans le domaine doivent décrocher des contrats additionnels. Ainsi ils pourront construire de nouvelles usines en espérant accroître leurs capacités de production. L’État de son côté devra se pencher sur le côté légal, certaines lois sont trop restrictives. Aussi faut-il renforcer la formation professionnelle afin que les ressources humaines soient mieux qualifiées. Enfin, il y a cet aspect récurent de la réalité du pays qu’il faut à tout prix gérer, à savoir l’instabilité qui se greffe souvent sur les mouvements de revendications des ouvriers. Pour une augmentation de l’exportation, il faut à tout prix gérer cette instabilité, insiste-t-il. Car Les troubles sociopolitiques nuisent souvent à la ponctualité des livraisons, à la production et empêchent de nouveaux investissements. Dans certains cas, ils servent de freins à l’obtention de nouveaux contrats, sources fiables de création d’emplois. Plus de stabilité permettrait de stimuler les investisseurs à placer leur mise et également leur confiance sur Haïti.

Les principaux produits exportés par Haïti
Arrivent en tête les textiles, viennent ensuite les huiles essentielles et en dernier lieu les produits de base comme les déchets métalliques et plastiques, les mangues, le café et le cacao. Les exportations vers les États-Unis d’Amérique représentent 85 %, celles à destination de la République dominicaine environ 4 %, le Canada et le Mexique absorbent respectivement 3 % et 2 % de nos productions d’exportation, les autres pays comme la Belgique, Royaume, Chine, Suisse… de seulement 1 %. Haïti a exporté pour environ 980 000 dollars américains de biens et services en 2017 et moins de 500 000 en 2018 en raison de la baisse de production du pays.