Faire réaliser des objets artisanaux par les artisans et les exporter en quantité vers les marchés preneurs, c’est le défi que s’était fixé Caribbean Craft lors de sa création en 1990. 28 ans plus tard, la petite entreprise reste la seule véritable « industrie » sur ce créneau porteur mais fragile.
Fondée en 1990 et basée à Port-au-Prince, Caribbean Craft a connu la grâce et les obstacles… Malgré tous les problèmes économiques, sociaux et politiques qui secouaient Haïti, l’entreprise spécialisée dans l’exportation d’artisanat continua de croître, devenant à la fin des années 90 le principal fournisseur d’artisanat haïtien pour le marché touristique des îles des Caraïbes.
Se battre pour exister sur les marchés étrangers
Pas facile de maintenir sa place sur le marché étranger lorsque l’on fait face à la fois aux difficultés intérieures, comme toutes les industries (grèves, blocages administratifs, spoliation par l’État d’un terrain pour ériger la Place Hugo Chavez, achat de matières premières importées) et à une concurrence sévère dans les boutiques touristiques des îles de la Caraïbe. Une seule solution, transporter sa vitrine de foires en salon à l’étranger pour décrocher de gros clients, et être créatifs. C’est ce que Caribbean Craft a fait. Créée par Joël Dresse, son père François Dresse, Robert Nadal et la compagnie Art Frame, la compagnie Caribbean Craft est rachetée par les Dresse en 2001. En 2006, c’est ue femme qui prend la tête de la société, Magalie Noel Dresse, un détail qui comptera plus tard. En 2008, Caribbean Craft a été la première société haïtienne à investir dans une salle d’exposition permanente au « Atlanta American Mart », l’un des plus grands marchés de gros du monde. Cette présence a permis de faire connaître l’entreprise et ses produits à plusieurs détaillants importants comme HomeGoods et Anthropologie, devenus des clients sur la durée.
Être et demeurer créatif
Caribbean Craft est spécialisé dans les articles artisanaux et peints à la main, sculptures en métal, le papier mâché, la sculpture sur pierre et la vannerie. L’entreprise a toujours mis en valeur Haïti comme un centre de créativité artistique et d’inventivité, où les talents, les styles et des lignes colorées sont source de milliers de différents articles de décoration. Mais cela ne l’a pas empêché de regarder ailleurs et de faire appel à des designers étrangers pour adapter ces talents aux attentes et tendances des marchés importateurs. Paradoxalement, le tremblement de terre et l’attention particulière projetée sur Haïti, ont stimulé à terme la production. Bien que Caribbean Craft ait perdu son atelier, l’entreprise a réussi à acquérir de nouveaux comptes américains comme West Elm, Restoration Hardware, chaussures TOMS, Land of Nod, Crate and Barrel, Starboard, Urban Zen ou le Smithsonian Museum. Ainsi depuis 2011, leur liste de clients couvre les États-Unis, le Canada, la France, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Australie, le Japon, la Corée, Taïwan, Israël et la plupart des îles des Caraïbes. Travailler étroitement avec ces compagnies a permis de développer de nouveaux designs et produits et grâce à ces nombreuses relations, Caribbean Craft a pu se relever après 2010.

Une entreprise engagée socialement
«Le tremblement de terre nous a obligés à revoir nos priorités, car les gens avaient tout perdu », explique Joel Dresse. «En 2010, nous avons formé et donné du travail à 1 300 artisans pendant 3 mois pour fabriquer un bracelet en papier mâché et en bouteille en plastique, en collaboration avec World Vision », poursuit-il. Ces artisans ont été recrutés dans 16 camps de réfugiés autour de Port-au-Prince. Le programme d’alimentation a commencé immédiatement après le tremblement de terre en février 2010, fournissant un repas gratuit par jour à 25 travailleurs. En octobre, le programme touchait 120 travailleurs et a nourri plus de 300 artisans quotidiennement pendant plusieurs années. En 2011, avec l’aide de la Fondation Clinton, West Elm et PRODEV, Caribbean Craft a commencé un programme d’alphabétisation pour que les artisans et ouvriers apprennent à lire. «15 % de nos équipes ne savaient pas lire, un handicap qui fait obstacle à leur progression. Même un compte en banque est inaccessible à une personne qui ne sait pas lire », constate Magalie Dresse, PDG de la compagnie. « En 2014, nous avons atteint notre objectif : 100 % de notre équipe sait comment lire et écrire, alors que seulement 53 % de la population haïtienne est alphabétisée ».

Haïti est entre nos mains
Être un exemple d’entreprise prospère et socialement responsable en Haïti est un élément essentiel dans la vision managériale de Caribbean Craft, qui ambitionne de générer suffisamment de ventes pour renforcer les communautés artisanales isolées autour d’Haïti. Salaires équitables, assurance maladie et accidents, un système de retraite et des prêts sans intérêt pour répondre à leurs propres besoins lorsque les crises frappent, sont autant de mécanismes qu’ils ont mis en place pour atteindre cet objectif. Caribbean Craft s’efforce de trouver des usages écologiques pour les matériaux recyclés. Le fer découpé est fabriqué à partir de fûts en acier recyclé ; le papier mâché provient de sacs de ciment vides et il est collé avec un amidon fabriqué à partir de farine de manioc. Autant d’aspects qui sont aujourd’hui indispensables lorsque l’on veut travailler avec des entreprises étrangères pour lesquelles la responsabilité sociale est un engagement auprès des clients finaux.
Stéphanie Renauld Armand