Ayiti mon amour

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LA RÉALISATRICE Guetty Felin avec l’acteur Joakim Cohen. Yelen Cohen

Depuis le début du mois d’avril, le film Ayiti mon amour de Guetty Felin ne cesse de charmer les spectateurs. Le dernier film de la réalisatrice haïtienne-américaine est aussi le premier long-métrage de fiction entièrement tourné en Haïti par une femme d’origine haïtienne.

Tout a commencé par une nomination pour le Yellow Robin Award au Curaçao International Film Festival Rotterdam, puis à la 59e édition du San Francisco International Film Festival où le film Ayiti mon amour a été chaleureusement accueilli par ce public cinéphile. Mais c’est à Brooklyn le 1er juin dans une salle comble du BAM (Brooklyn Academy of Music) que le film de Guetty Felin a rencontré son public le plus enthousiaste. La réaction a été dithyrambique.

 JAMES NOËL et Anisia Uzeyman comptent également parmi les acteurs du film.
JAMES NOËL ET ANISIA UZEYMAN comptent également parmi les acteurs du film.

Ce film d’auteur est signé d’une réalisatrice polyvalente qui a vécu entre les États-Unis, Haïti et la France. Guetty Felin se dit très influencée et façonnée par son expérience de vie dans ces trois pays. « Je suis tombée amoureuse du cinéma à un très jeune âge dans les cinémas en plein air de Port-au-Prince en Haïti, explique-t-elle. Les “ombres électriques” scintillant sur le grand écran représentaient un contraste saisissant avec nos réalités tout en nous connectant avec le monde extérieur. Le cinéma, pour moi, était devenu mon petit sanctuaire, ma façon personnelle de réparer les fissures insidieusement mises en place par le système politique. Je voyais mes parents et les adultes autour de moi comme des personnages d’un film que je me créais constamment. » Guetty a réalisé plusieurs documentaires, courts-métrages et écrit trois scénarios de fiction. Entre 2004 et 2006, elle a été programmatrice du Jacmel Film festival et directrice des Ateliers de cinéma. Elle est fondatrice du Collectif2004-Images Haïti, une association à but non lucratif pour la promotion de la culture haïtienne. Guetty Felin a aussi co-réalisé plusieurs vidéos sur les artistes ayant exposé au Grand Palais en 2014-2015 dans le Cadre de l’exposition Haïti, deux siècles de créations artistiques.

Après le tremblement de terre, elle a réalisé un long-métrage documentaire sur Port-au-Prince, Des Pierres brisées, qui a été sacré meilleur documentaire au Festival international du film de Belize en 2012 et Grand prix du meilleur documentaire au FEMI en Guadeloupe en 2013. « Je pense sincèrement que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 n’a pas seulement altéré l’aspect physique du pays mais aussi le psychisme du peuple haïtien. Les blessures et fissures sont toujours très présentes. Parfois, j’ai l’impression que mes compatriotes sont fatigués de se battre contre les injustices, la pauvreté, les politiciens, la nature… Seule la jeunesse a la force de continuer. C’est pourquoi mon personnage central est un jeune homme qui essaie de comprendre le monde qui l’entoure », explique Guetty à propos d’Ayiti mon amour.

Ayiti mon amour est présélectionné pour le Festival de Cine Global Dominicano en novembre prochain et pour le Festival international del Nuevo cine latino-americano de La Havane en décembre. Le long-métrage sera présenté en août au comité de sélection pour les Oscars dans la catégorie des films en langue étrangère et fera sa première en Haïti au début du mois de septembre.

Stéphanie Renauld Armand


AMA
AMA

Un film, trois histoires

Haïti, cinq ans après le tremblement de terre. Dans un village côtier oublié du reste du monde, la mer gagne du terrain et bien que la mémoire du terrible désastre hante toujours les villageois, la vie continue. Le film Ayiti mon amour est l’histoire de vieilles blessures qui doivent guérir pour que la vie puisse reprendre son cours. Il présente trois histoires qui s’entremêlent, s’entrechoquent et coexistent. Celle d’un adolescent mal dans sa peau, Orphée (Joakim Cohen), en deuil de son père, qui se trouve entre deux âges, deux cultures et entre deux mondes : celui du rêve et de la réalité. Il est fasciné par les mangas et apprend le japonais. Personne ne semble le comprendre vraiment, à part Jaurès (Jaurès Andris), le pêcheur, son seul ami, obsédé par la dégradation environnementale, la hausse de la température de l’eau ainsi que la sécheresse qui affame ses vaches. Mais il est surtout préoccupé par sa femme bien-aimée qui est alitée, attristée par un certain mal du pays. Enfin, il y a la belle et mystérieuse Ama (Anisia Uzeyman), moitié muse, moitié âme errante, mais aussi personnage d’un roman d’un écrivain en mal d’inspiration. Dans le film, on croise le poète James Noël, la plasticienne Pascale Faublas et des villageois devenus comédiens, de plusieurs hameaux (Kabic, Ti-Mouyaj, Cap Rouge, Marigot) dans les environs de Jacmel.