Enjeux : Ambitions et Défis pour les réceptifs Haïtiens

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DEB Haiti Photo par : Darwin Doleyres

Le pays dispose de nombreux atouts pour répondre aux nouvelles attentes des touristes mais beaucoup reste à faire pour que les professionnels du secteur puissent mieux vendre la destination Haïti.

Aujourd’hui, les touristes qui viennent dans la Caraïbe veulent faire davantage que se prélasser au soleil et boire du rhum punch, c’est ce qu’écrivait Arnie Weissman, rédacteur en chef de Travel Weekly, dans un article paru le 9 juin dernier. Ce constat est l’un des défis à relever par les agences réceptives haïtiennes. Développer des circuits et une offre touristique capable de concurrencer les autres pays de la Caraïbe, tout en positionnant Haïti comme une destination à valeur ajoutée et unique.

Des voyageurs plus avertis
Depuis plusieurs années, on constate un changement évolutif dans les habitudes de consommation des touristes. Le tourisme éco-responsable et le tourisme durable sont en forte émergence et en nette progression. En décembre 2014, l’Organisation des Nations Unies adoptait lors de son assemblée générale une résolution intitulée Promotion du tourisme durable et, notamment, de l’écotourisme aux fins de l’élimination de la pauvreté et de la préservation de l’environnement. Les voyageurs sont de plus en plus intéressés par la découverte des destinations qui ont une culture et une histoire à partager. Et ce ne sont pas les possibilités de circuits intéressants qui manquent ! La route de l’esclavage, celles du café ou du cacao sont autant d’exemples d’immersion à dimension éco-touristique qu’il est possible d’implanter en Haïti. Sans oublier les monuments historiques et les sites naturels qui doivent impérativement être restaurés et intégrés dans une stratégie de sauvegarde patrimoniale. Il y a le vaudou, le tourisme gastronomique et l’artisanat qui sont également des atouts distinctifs à exploiter.

Les défis des réceptifs
On compte cinq agents de voyages réceptifs dans l’annuaire des membres de l’ATH. Les plus reconnus sont l’Agence Citadelle, fondée par Pierre Chauvet, et Tour Haïti, fondé par Lionel et Jean-Cyril Pressoir. Présent sur le marché depuis dix ans, Tour Haïti a débuté ses opérations alors que le pays était plongé dans une crise politique. Difficile de comprendre ce qui les a poussés à s’aventurer dans ce secteur à cette époque. Pour Jean-Cyril Pressoir, PDG de Lojistik SA/Tour Haïti, le mot tourisme est devenu un peu trop à la mode à son goût : « Tout le monde parle de tourisme sans se rendre compte de ce que le tourisme implique. La politique rend tout investissement dans ce secteur très difficile. L’industrie touristique a besoin de stabilité et de sécurité. Tout le monde doit se sentir en confiance et les opérations doivent être garanties. Par exemple, c’est un problème qu’une route soit bloquée par une barricade. Mais si ces personnes se rendaient compte que le développement touristique était l’affaire de tous et que les touristes ne sont pas concernés par nos problèmes, on les laisserait passer tout simplement. C’est ce que la société dominicaine a décidé. Pour eux, les touristes sont sacrés. »

Photo par : Tatiana Mora Liautaud
Photo par : Tatiana Mora Liautaud

Explore Haïti est tout nouveau sur le marché. En opération depuis septembre dernier, ce nouveau joueur débarque à une époque un peu plus stratégique que Tour Haïti ou l’Agence Citadelle. Pour Raina Forbin, directrice administrative de l’agence, ils arrivent à un moment propice : « Selon les données du ministère du Tourisme, le secteur touristique se positionne en 3e place sur le marché haïtien en termes de revenus et de création d’emplois directs et indirects. Le secteur va continuer à progresser si les acquis des dernières années sont maintenus et les efforts sont poursuivis. Nous arrivons à un moment stratégique afin de renforcer le secteur. » Pour celle qui a participé, pour la première fois, à la foire touristique Top Resa en France le mois dernier, elle se dit surprise de voir à quel point le monde entier est intrigué par Haïti : « L’intérêt est là mais la question qui revient le plus souvent est : “Et la sécurité ?“ »

Elle poursuit en énonçant les trois enjeux prioritaires sur lesquels il faut sérieusement se pencher « L’éducation, la stabilité, les médias ! L’éducation car il faut préparer la population à ce tourisme de masse, afin qu’elle soit plus accueillante et comprenne les enjeux. Il faut aussi éduquer les prestataires de services du secteur afin de nous démarquer par notre professionnalisme et par notre hospitalité. La stabilité car il faut rassurer nos visiteurs et nos investisseurs potentiels afin qu’ils n’hésitent pas à investir. Les médias, dans le sens le plus large du mot, en incluant aussi et surtout ceux qui font des réseaux sociaux leur outil de propagande favori. Il faut arrêter de partager uniquement les mauvaises nouvelles. Il y a des accidents et incidents partout dans le monde, mais l’information est retenue localement. Les Haïtiens, d’ici et de la diaspora, doivent dans la mesure du possible, contenir les informations qui effraient le grand public. Il faut également partager le beau et le bon. »

Comment vendre Haïti ?
Lorsqu’on aborde la question de comment vendre Haïti, Jean-Cyril Pressoir est tout aussi incisif : « Nous devons jouer sur nos forces et ce qui nous rend uniques. Il ne faut pas copier les voisins et essayer d’être quelque chose que nous ne sommes pas. D’ailleurs, le marché du tourisme demande maintenant de l’authenticité. Il faut des hôtels de style gingerbread, des bungalows qui ont l’air de maisons paysannes mais avec tout le confort nécessaire. Il faut travailler notre gastronomie et promouvoir les produits du terroir. Haïti doit être une destination authentique avec un tourisme à échelle humaine. Si nous essayons de refaire du Punta Cana, nous allons nous casser les dents. »

Au final, Haïti possède les atouts nécessaires pour devenir une destination de choix. Reste à réunir les conditions gagnantes (investissements, routes, sécurité, électricité, prix compétitifs, service à la clientèle, sauvegarde du patrimoine, etc.) pour ne pas vendre une illusion, mais une expérience réelle et à la hauteur de ce qu’elle peut offrir.

Carla Beauvais